Entretien avec
Jesús Huerta de Soto, publié dans WirtschaftsWoche, 2ème partie
(lire la 1ere
partie)
L’économiste
espagnol met en garde contre la phobie anti-déflationniste présente en Europe
et voit en l’euro le garant d’une politique d’austérité soutenable.
Quel rôle
joue la politique dans tout cela ?
Le problème
vient de ce que les politiques ont un horizon temporel trop court. C’est
pourquoi il faut un cadre de politique monétaire qui les discipline eux et
les syndicats. En Europe, c’est la fonction de l’euro. La monnaie commune a
empêché les gouvernements d’utiliser la planche à billets et de dévaluer leur
devise pour occulter les erreurs de leurs politiques économiques. Les erreurs
de politique économique sont ressenties directement à travers une perte de
compétitivité du pays en question. Cela conduit les politiques à réaliser de
dures réformes. En Espagne, deux gouvernements ont accompli des réformes en
un an et demi, chose que je n’aurais pas osé imaginer auparavant. Pendant ce
temps, la situation économique s’améliore et l’Espagne recueille les fruits
de ses réformes.
Pour
l’Espagne, vous avez peut-être raison, mais en Italie et en France on n’a pas
encore assisté à de profondes réformes…
… ce qui
prouve que la situation devra s’y aggraver encore davantage avant que les
réformes ne se produisent. L’expérience montre que plus la situation
économique est mauvaise, plus la pression qui incite à la réalisation de
réformes est forte. Les succès qu’ont obtenus les réformes en Espagne et dans
d’autres pays de la zone euro font croître la pression à Paris et à Rome. Le
taux élevé de chômage a exercé en Espagne un effet à la baisse sur les coûts
de la main-d’œuvre. Avec une moyenne d’environ 20 euros de l’heure, ils
représentent seulement la moitié de ceux de la France. Les Français ne
pourront pas éviter un traitement économique de choc, même si la société s’y
oppose. Pour que cette pression en faveur de réformes en France et en Italie
soit la plus forte possible, l’Allemagne doit poursuivre sa consolidation
fiscale.
La BCE
subit une pression de plus en plus forte qui l’exhorte à « ouvrir le
robinet » monétaire et à dévaluer l’euro. La pression vient de la
communauté scientifique, des marchés financiers et des politiques.
Les principaux
courants de la pensée économique, le keynésianisme et le monétarisme,
expliquent que la Grande Dépression des années 30 s’est produite parce qu’on
n’avait pas injecté assez de monnaie. Cela a créé une mentalité
anti-déflationniste en science économique. Les politiques se servent des
autorités universitaires pour forcer la BCE à revenir à l’inflation. Les
gouvernements adorent l’inflation parce qu’elle leur donne l’occasion de
vivre au-delà de leurs possibilités et d’accumuler d’énormes quantités de
dette, qu’ensuite la banque centrale dévalue par l’intermédiaire de
l’inflation. Il ne faut pas s’étonner si, précisément, les adversaires de la
politique d’austérité mettent en garde contre la déflation et diabolisent les
règles stables de l’euro. Ils s’abstiennent de dire aux citoyens quels sont
les coûts réels de l’État providence.
Le
président de la BCE, Mario Draghi, a cédé à la pression et promis de sauver l’euro,
en utilisant, si nécessaire, la planche à billets. Est-ce une erreur ?
Attention.
Pour le moment, Draghi a surtout fait des promesses, mais il a rarement agi.
Il est exact que la BCE a réalisé de généreuses opérations de financement et
a baissé les taux d’intérêt. Mais le rendement réel des obligations à 10 ans
est plus élevé que celles des États-Unis. En ce qui concerne les actifs
totaux, la BCE en a moins fait que d’autres banques centrales occidentales.
Tant que les gardiens de l’euro parleront mais n’agiront pas, l’Italie et la
France seront poussées à faire des réformes. C’est pourquoi, il est
fondamental que la BCE résiste à la pression des gouvernements et du monde
financier anglo-saxon et n’achète pas les obligations d’État.
En
particulier, quel rôle jouent les marchés financiers anglo-saxons ?
La presse
anglo-saxonne et les marchés financiers font ostensiblement campagne contre
l’euro et les politiques d’austérité menées en Europe continentale. Je ne
suis pas un fanatique des théories de la conspiration, mais l’opposition
frontale émanant de Washington et Londres semble révéler des intentions
cachées hostiles à l’euro. Les américains craignent que les jours du dollar
en tant que devise mondiale de réserve ne soient comptés, si l’euro réussit à
survivre et à se maintenir comme monnaie forte. L’Amérique a perdu sa
discipline monétaire après la Seconde Guerre Mondiale.
L’euro
peut-il survivre à long terme sans une union politique ?
La plupart des
citoyens ne sont pas favorables à une union politique. Celle-ci n’est pas
souhaitable non plus, parce qu’elle diminuerait la nécessité d’une austérité
fiscale. Le meilleur système monétaire dans une société libre est celui de
l’étalon-or, avec pleine couverture de tous les dépôts et sans banques centrales
dépendantes des États. Tant que cet étalon-or n’existera pas, nous devrons
défendre l’euro. Parce qu’il prive les gouvernements de l’accès à la planche
à billets et les force à consolider les budgets nationaux et à réaliser des
réformes. Il fonctionne comme l’étalon-or.
Entretien
réalisé par Malte Fischer 30 Octobre 2014
Chef
économiste de WirtschaftsWoche
malte.fischer@wiwo.de
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