Entretien
avec Jesús Huerta de Soto, publié dans WirtschaftsWoche
L’économiste
espagnol met en garde contre la phobie anti-déflationniste présente en Europe
et voit en l’euro le garant d’une politique d’austérité soutenable.
Professeur
Huerta de Soto, le taux d’inflation dans la zone euro n’est que de 0,4%.
Sommes-nous menacés par la déflation, comme le soutiennent de nombreux
spécialistes ?
La déflation
consiste dans la contraction de l’offre monétaire. Ce n’est pas ce qui se
passe dans la zone euro. L’agrégat monétaire appelé M3 croît au rythme de
2% ; l’agrégat M1, plus restrictif, à un rythme supérieur à 6%. De fait,
le taux d’inflation dans la zone euro est en deçà de l’objectif de la Banque
centrale européenne (BCE), inférieur à 2%. Mais ce n’est pas une raison pour
aviver la crainte de la déflation, comme le font quelques banquiers centraux.
Ils soutiennent que la chute des prix est une mauvaise chose. Ce n’est pas
vrai. La déflation des prix n’est pas un désastre, mais une bénédiction.
Expliquez-nous
cela
Pensez, par
exemple, à mon pays, l’Espagne. Les prix à la consommation y sont, en ce
moment, en baisse. En même temps, l’économie croît à un rythme annuel
d’environ 2%. En 2013, 275 000 emplois ont été créés et le chômage est tombé
de 26% à 23%. Les faits démentent les effets négatifs annoncés de la
déflation malfaisante.
Cela
signifie-t-il que nous devions nous réjouir de la déflation ?
Tout à fait.
Elle est particulièrement salutaire lorsqu’elle naît de la conjonction d’une
offre monétaire stable et d’une augmentation de la productivité. Un
exemple : l’étalon-or au XIXº siècle. À cette époque, la quantité d’or
augmentait seulement d’1% à 2% par an. À la même période, les entreprises du
secteur industriel générèrent les augmentations de richesse les plus
importantes de l’histoire. La BCE devrait donc tourner son regard vers
l’étalon-or et réduire l’objectif de croissance de M3 de 4,5% à 2%. Si la
zone euro avait une croissance d’environ 3% par an - qu’elle pourrait
atteindre si elle se libérait du carcan qu’imposent les réglementations
gouvernementales - les prix diminueraient d’environ 1% par an.
Si la
déflation est si avantageuse, pourquoi en a-t-on si peur ?
Je ne crois
pas que les citoyens ordinaires redoutent la chute des prix. Ce sont les
représentants du courant économique dominant qui attisent la phobie
anti-déflationniste. Ils font valoir que la déflation augmenterait la charge
de la dette réelle, ce qui entraînerait une baisse de la demande agrégée.
Mais ceux qui mettent en garde contre la déflation ne disent pas que les
créanciers en profitent, ce qui fait qu’ils accroissent leur demande. De
fait, l’accroissement de la charge de la dette réelle qui découle de la
déflation a un effet salutaire : il affaiblit l’incitation à solliciter
des prêts, mettant ainsi fin à la tendance à l’endettement.
N’est-il
pas à craindre que les citoyens réduisent leur consommation si demain tout
doit être meilleur marché ?
C’est là une
remarque que l’on entend constamment et qui est difficile à comprendre. Il
suffit de jeter un coup d’œil sur l’accroissement des ventes d’ordiphones,
qui se produit alors même que les acheteurs savent qu’ils vont coûter moins
cher dans quelques mois. Il y a eu aux États-Unis une déflation de plusieurs
décennies après la Guerre Civile. Cependant, la consommation augmenta. Si les
gens repoussaient leur consommation à cause de la chute des prix, il
arriverait un moment où ils mourraient de faim.
Mais la
chute des prix réduit les ventes des entreprises et diminue leur désir
d’investissement. Etes-vous disposé à l’ignorer ?
L’essentiel
pour une compagnie, ce ne sont pas ses ventes, mais ses bénéfices,
c’est-à-dire la différence entre recettes et dépenses. Le prix des ventes
diminuant, la pression incitant à réduire les coûts augmente. Les compagnies
finiront par remplacer les travailleurs par des machines. S’il faut produire
plus de machines, la demande de travail augmentera dans les secteurs de biens
d’investissement. Ainsi, les travailleurs qui ont perdu leur emploi dans le
secteur des biens de consommation à cause de la déflation trouveront d’autres
emplois dans celui des biens d’investissement. Le stock de biens d’investissement
augmente sans générer de chômage massif.
Ne
simplifiez-vous pas trop les choses ? En réalité, les compétences des
chômeurs et les exigences des employeurs divergent parfois considérablement.
Je ne dis pas
que le marché est parfait. C’est pourquoi il est essentiel que le marché du
travail soit suffisamment flexible pour que les entrepreneurs créatifs soient
incités à embaucher de nouveaux travailleurs.
À suivre
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