Suite
de l’article précédent
Il
est une idée judéo-chrétienne qui a joué un rôle crucial dans la naissance de
la liberté, c’est l'idée que l'homme est naturellement enclin au péché. « Dieu a conféré à sa créature, avec le libre arbitre, la capacité de mal
agir, et par-là même, la responsabilité du péché » affirme Saint
Augustin dans son traité sur le libre arbitre De Libero Arbitrio.
Pas
de péché sans liberté, ni de liberté sans possibilité de pécher. Certes, le
Dieu chrétien est un juge qui récompense la « vertu » et punit le « péché ».
Mais cette conception de Dieu est justement incompatible avec le fatalisme
car l’homme ne pourrait pas être coupable et faire son mea culpa s’il
n’était pas d’abord libre de déterminer lui-même son comportement. Reconnaitre
sa faute morale, sa culpabilité, c’est reconnaître qu’on aurait pu agir
autrement et c’est donc faire appel à la responsabilité morale de l’individu.
Mais
cette idée du péché, inconnue du monde antique a également incité les hommes
à élaborer des systèmes de contrepouvoirs, pour se protéger aussi bien de
dirigeants corrompus que de la tyrannie de la majorité ou des groupes de
pression.
L’émergence
de la doctrine du droit naturel
Aux
XVe et XVIe siècles, les disciples de Saint Thomas d’Aquin, proches de
l’Université de Salamanque en Espagne, furent les véritables précurseurs du
libéralisme : Vitoria, Suarez, Mariana, Molina, Lessius... Tous ces auteurs
affirmèrent que les hommes possèdent des droits naturels qui précèdent la
société politique, légitimant ainsi l’établissement d’un État limité, chargé
de veiller au respect de ces droits fondamentaux.
Dans
la théologie médiévale, la providence n'est pas une intervention permanente de
Dieu dans la vie des hommes, comme si Dieu agissait à notre place et sans
notre consentement. Au contraire, Dieu donne à chaque créature, selon sa
nature, des facultés lui permettant de subvenir elle-même à ses besoins
et atteindre ainsi son plein développement. Dieu ne fait pas le bien de la
créature à sa place. Et plus on s'élève dans l'échelle des êtres, du minéral
à l'homme, plus Dieu délègue à sa créature le pouvoir d’agir elle-même. Il
confie à l'homme la liberté de se gouverner lui-même et de gouverner le monde
avec sa raison, selon la vertu de prudence. Ainsi, Saint Thomas d’Aquin écrit
: « Retirer à la perfection des créatures, c'est retirer à la perfection
du pouvoir divin (...) Dieu n'est offensé par nous que du fait que nous
agissons contre notre propre bien. » La
Providence nous donne donc les moyens d'être à nous même notre propre
providence. Et il ajoute : « Un homme peut diriger et gouverner ses actions.
Par conséquent la créature rationnelle participe de la divine providence non
seulement en étant gouverné mais également en gouvernant. »
Pour
que l’homme fasse le meilleur usage possible de sa liberté, Dieu lui donne un
outil qui est sa raison et un mode d’emploi pour l’éclairer qui est la loi
naturelle.
La loi naturelle s’exprime en nous
par des inclinations telles que l’amour de la vérité, l’obéissance à la
raison ou la fameuse règle d’or : « Ne fais pas à autrui ce que tu ne
voudrais pas subir ». Ces inclinations sont selon lui innées. En effet, écrit
Saint Thomas, « il faut considérer que le juste naturel est ce vers quoi la
nature de l'homme l'incline ».
Toutefois, cette lumière intérieure
ne suffit pas pour bien agir. L’élaboration de normes concrètes d’action et
leur application à des situations particulières est nécessaire. Il revient
alors aux juristes de définir ces normes, en accord avec la loi
naturelle : ce sont les lois humaines. Mais la loi naturelle est
supérieure à la loi humaine et elle s’impose universellement, y compris aux
Princes. « Par la connaissance de la loi naturelle, l'homme accède
directement à l'ordre commun de la raison, avant et au-dessus de l'ordre
politique auquel il appartient en tant que citoyen d'une société
particulière ».
Il
existe donc un droit antérieur à la formation de l'État, un ensemble de principes généraux que
la raison peut énoncer en étudiant la nature de l'homme telle que Dieu l'a
créée. Ce droit s'impose au monarque, au pouvoir, qui doit dès lors le
respecter. Et les lois édictées par l'autorité politique n’ont force
obligatoire que selon leur conformité au droit naturel.
Le
pouvoir limité
Les
réformateurs protestants avaient souligné le fait que chaque personne est à
la fois un pécheur et un saint :
1° L'idée que la
personne est un pécheur fonde la nécessité de mettre des
constitutionnelles pour limiter le pouvoir et empêcher la tyrannie.
2°
En tant que créatures saintes de Dieu les hommes ont des droits fondamentaux.
Les protestants reprennent à leur compte la notion traditionnelle selon
laquelle nous portons l’image de Dieu. À ce titre, nous exerçons la
souveraineté de Dieu, et dans l'exercice de cette souveraineté, la personne
est fondée à participer aux élections et à contrôler les actions des
responsables politiques.
Les
adeptes du réformateur Jean Calvin ont utilisé ces principes pour penser ce
qui allait devenir le concept de pouvoir limité. Luttant contre la
persécution dans la seconde moitié du XVIe siècle, les calvinistes ont
commencé à développer l'idée que les communautés sont formées par des
contrats volontaires. L’idée est que le pouvoir des dirigeants n’existe que
pour protéger la communauté. Et ses habitants possèdent certains droits
fondamentaux inaliénables qui leur sont garantis par ces autorités. Ces
droits sont naturels, ils ne peuvent être ni octroyés, ni supprimés par les
autorités.
Ces
idées, qui ont fait leur chemin dans la culture européenne depuis plus de
mille ans, ont traversé l'Atlantique sur le Mayflower en 1620. Lorsque les
pèlerins sont arrivés dans le Nouveau Monde, ils ont établi une société
fondée sur les principes qu'ils avaient appris des puritains calvinistes en
Angleterre. D’autres groupes de chrétiens fuyant les persécutions les ont
suivis dans le Nouveau Monde et ont établi des gouvernements fondés sur les
mêmes principes, formant ce qui allait devenir l'expérience américaine.
Plusieurs
des idées qui ont alimentées cette période d'innovation politique ont été
développées dans les écrits du philosophe politique du 17ème siècle John
Locke, puis ont été reprises au siècle des Lumières par les penseurs de la
liberté. Mais en France, ce fut dans un contexte de lutte contre la
monarchie… et contre l’Église que ces idées se développèrent.
Suite
de l’article
|