Après l’Espagne, l’Institut de l’Entreprise s’est
penché sur le cas de l’Irlande, souvent considéré comme « la success
story des exercices de consolidation budgétaire entrepris dans le
prolongement de la crise financière de 2008. »
Revenons en
arrière quelques instants. Dans les années 1990, la réussite de l’Irlande
était éclatante. À tel point que le pays fut qualifié de « Tigre
celtique ». Il y avait de quoi avec une croissance annuelle moyenne de
7,5 % dans la décennie 90 et de 5,1 % entre 2001 et 2007. Ce succès
a été rendu possible par une « forte ouverture internationale », « une
réelle attractivité fiscale pour les entreprises et d’une façon générale un
très bon climat des affaires que symbolise le taux d’imposition des sociétés
de 12,5 %, et enfin la qualité de la main d’œuvre irlandaise et de son
cadre institutionnel. » Nathanael Mason-Schuler, auteur du rapport,
précise que « la hausse du PIB par habitant y a été très importante,
l’Irlande dépasse la France à compter de 1997. »
Cela dit, dès
la fin des années 1990, l’économie irlandaise connaît des faiblesses, comme
par exemple :
-
la dégradation de
sa compétitivité, avec l’augmentation des coûts salariaux ;
-
l’existence d’une
bulle immobilière et l’explosion des crédits entraînant l’hypertrophie du
système bancaire ;
-
la croissance des
dépenses publiques, plus importante que celle du PIB.
Dès 2007,
l’Irlande plonge dans la crise avec l’éclatement de la bulle domestique et
« une récession économique importante marquée par une contraction
cumulée du PIB nominal de près de 20 % de 2008 à 2010. » La crise
financière mondiale viendra accentuer cette crise initialement irlandaise.
Dès 2008, le
gouvernement tente de la juguler. Mais « vu le volume du besoin de
financement irlandais et les difficultés d’accès au financement de marché,
l’Irlande doit se résoudre, à compter de l’automne 2010, à solliciter une
assistance internationale massive ». Au total, l’assistance financière
sera de 85 milliards d’euros.
Le programme
mis au point par l’Irlande et la Troïka (Union européenne, Banque centrale
européenne et Fonds monétaire international) a trois volets :
-
un volet financier,
avec la recapitalisation des établissements bancaires et la création d’un
fonds de réserve ;
-
un volet
budgétaire, avec la réduction du déficit public à moins de 3 % ;
-
un volet
économique, avec des réformes structurelles, en particulier du marché du
travail.
C’est ainsi,
qu’entre 2010 et 2013, les dépenses de l’État irlandais ont été réduites de
près de 10 % en valeur, soit de presque 6 milliards d’euros. Comme
l’indique le rapport de l’Institut de l’Entreprise, cela a supposé
« d’inverser considérablement l’évolution récente des dépenses publiques
irlandaises qui progressaient depuis le milieu des années 1990 de 10 %
par an moyenne. »
Les dépenses
des collectivités locales ont, elles aussi, été réduites. Notamment, le
nombre de collectivités a baissé d’environ deux tiers, et le nombre d’élus
locaux a chuté de 1 627 à 949. Les prestations sociales ont connu des
baisses ciblées en même temps que des réformes structurelles étaient menées.
Parallèlement,
les prélèvements obligatoires ont augmenté (TVA, élargissement de l’assiette
de l’impôt sur le revenu, création d’une taxe sur les propriétés, etc.), mais
le taux d’impôt sur les sociétés a été maintenu à 12,5 % malgré la
pression de certains pays (dont probablement la France).
Toutes ces
mesures, détaillées par l’Institut de l’Entreprise, ont abouti à la sortie
officielle de l’Irlande du programme d’assistance financière internationale
le 15 décembre 2013, trois ans après son lancement. Dès 2011, le pays
renouait avec la croissance. Les dernières prévisions tablaient sur une
croissance de 3 % en 2014. Le chômage a baissé de trois points depuis
2012, passant de 15,1 % à 11,8 % (rappelons qu’il était de
4,5 % en 2007).
Pour autant,
l’activité économique irlandaise « est encore nettement inférieure à son
niveau d’avant crise » et l’Irlande reste fragile. Sa dette publique est
encore supérieure à 120 % du PIB. Les premiers remboursements de la
dette contractée auprès de la Troïka n’interviendront pas avant 2017.
Ce qui me
semble remarquable dans le cas irlandais – et qui pourrait inspirer la France
– tient en quatre points.
Premier point,
bien que le pays ait connu de nombreuses vicissitudes politiques – voire des
crises – depuis 2007, les partis au gouvernement se sont entendus « sur
la nécessité d’une thérapie de choc et d’un sursaut national ». Il faut
bien reconnaître que l’on en n’est pas encore là en France. Il n’y a même pas
de consensus sur la situation du pays.
Deuxième
point, le gouvernement irlandais s’est appuyé sur les partenaires sociaux. En
particulier, il a signé deux grands accords « avec les multiples
syndicats de la fonction publique et des représentants de la police et de
l’armée, visant notamment à faire accepter les mesures drastiques de baisse
de la masse salariale. » Là encore, le fossé avec la France est béant.
Chez nous, la plupart des syndicats préfèrent descendre dans la rue plutôt
que de discuter.
Troisième
point, les réformes irlandaises ont été drastiques pour la sphère publique
mais n’ont pas empêché le retour de la croissance. Et cela est dû au fait que
l’Irlande s’est appuyée, pour son redressement, sur les entreprises et sur la
mondialisation. Le taux d’impôt sur les sociétés a été maintenu à
12,5 % ; l’ouverture de l’économie à l’international n’a pas été
remise en cause.
Quatrième et
dernier point, la bête et méchante logique de rabot n’a pas été appliquée. Au
contraire, les réformes menées par le gouvernement irlandais ont été mûrement
réfléchies, et initiées avant l’arrivée de la Troïka.
Les Irlandais
ont dû faire de gros sacrifices. Le ministre des finances, Michael Noonan, a
décrit la crise comme « la pire depuis la Grande famine de la pomme de
terre au XIXème siècle » et a rendu hommage à ses compatriotes,
« les vrais héroïnes et héros » du redressement. Mais au moins les
Irlandais, contrairement aux Français, savent-ils pourquoi ils ont fait ces
sacrifices.
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