Richard Weaver : les idées ont des conséquences

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Published : January 26th, 2015
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« Pendant quatre siècles, tout homme a été non seulement son propre prêtre, mais aussi son propre professeur d'éthique, et la conséquence en est une anarchie qui menace même le consensus minimum autour des valeurs nécessaires à l'ordre politique. » Richard Weaver, Ideas Have Consequences

 

 

Né en 1910 à Weaverville, Caroline du Nord, Richard M. Weaver est un conservateur traditionaliste qui fut d’abord socialiste avant de fréquenter l'Université Vanderbilt de Nashville, marquée par le mouvement des Agrariens du Sud, mouvement de contestation du modernisme. Weaver devient alors l'héritier intellectuel de John Crowe Ransom, Robert Penn Warren, Donald Davidson, et Allen Tate, agrariens célèbres et grands défenseurs du christianisme, du gouvernement de Jefferson, des traditions rurales et de la civilité du Sud.

 

Spécialiste de littérature anglaise à l'Université de Chicago, Richard Weaver a déploré ce qu'il considère comme un déclin de la civilisation depuis le Moyen Âge chrétien. En 1948, dans un livre célèbre, Ideas have consequences (Les Idées ont des conséquences) il a retracé ce déclin en remontant aux travaux de Guillaume d'Ockham († 1349). Il a aussi mis en garde contre la montée de la spécialisation scientifique et l’hégémonie de la méthode expérimentale. Enfin, sur le plan social et politique, il défend la liberté individuelle couplée avec le devoir et la responsabilité sociale. C’est le concept de « liberté disciplinée ». L’idée de droit naturel est au cœur du travail de Richard Weaver, c’est-à-dire l'idée que les lois positives doivent suivre la structure de l'être qui peut être découverte dans la nature des choses, en particulier dans la nature humaine. 

 

Aux origines de la crise du monde moderne

 

Ideas Have Consequences est un ouvrage de philosophie dans la mesure où son auteur tente d'analyser les caractéristiques de la désintégration moderne en les renvoyant à l’unité d’une cause première. Pour Weaver, l'explication du déclin de la civilisation doit être recherchée dans le domaine des idées. Notre façon de penser affecte la façon dont nous agissons, et les tendances intellectuelles qui prévalent dans une société déterminent son caractère moral et politique. Y a-t-il eu, dans les siècles qui précèdent, un mauvais virage sur la route qui a conduit aux illusions contemporaines ?

 

Selon Weaver, le moment crucial date de la fin du Moyen Âge, du conflit entre les réalistes et les nominalistes scolastiques. Les réalistes acceptent l'idée de Platon selon laquelle il existe des formes idéales, ou des essences universelles dont les choses particulières dans le monde ne sont que de simples approximations. Aristote a rectifié ce point de vue en récusant l’existence d’un monde séparé des Idées. Néanmoins, il conserve l’idée que les formes sont irréductibles à la matière et qu’elles constituent la réalité ontologique du monde.

 

Guillaume d'Occam a contesté cette idée en affirmant que les noms généraux ne sont que des commodités de langage plutôt qu'une haute expression des réalités ontologiques. Ce n’est pas une question de simple sémantique :

 

La question finalement en cause est de savoir s'il existe une source de vérité supérieure, et indépendante de l'homme, et la réponse à cette question est décisive pour le destin de l'humanité. Le résultat pratique de la philosophie nominaliste est de bannir la réalité perçue par l'intellect et de poser la réalité de ce qui est perçu par les sens. Avec ce changement dans l'affirmation du réel, toute la culture prend le virage de l'empirisme moderne.

 

L’abandon du « réalisme logique » a des conséquences. Le nihilisme est une conséquence du nominalisme. Le refus des universaux, ajoute Weaver, signifie « la négation de tout ce qui transcende l'expérience », et donc la négation de la possibilité d'une vérité absolue, ce qu’il appelle le nihilisme. Et lorsque les vérités morales disparaissent, c’est la civilisation qui entre en décadence.

 

La métaphysique du conservatisme 

 

 

Le grand intérêt de Richard Weaver, c’est qu’il explore le soubassement philosophique du conservatisme. Selon Weaver, un conservateur est un réaliste, qui croit que la réalité possède une structure indépendante de sa propre volonté et son désir. Le monde était là avant lui et continuera d’exister après lui, avec ou sans son consentement. Cette structure autonome ne se compose pas seulement du monde physique, mais aussi de nombreuses lois, principes et finalités qui régissent le comportement humain. Bref, la métaphysique du conservatisme est le réalisme classique de Platon et d’Aristote.

 

Le conservateur « réaliste » affirme l'existence d'un ordre objectif de formes ou d'universaux qui définissent la nature des choses, y compris la nature humaine, et ce qu'il cherche à conserver ce sont ces institutions qui marquent la reconnaissance et le respect de cet objectif global

 

Au contraire, tous les « radicaux » et les « libéraux » veulent imposer des lois à la réalité, contre cette structure du réel. Ils ne croient pas que les choses existent au-dessus et au-delà de la portée de l'homme. Autrement dit, l'homme peut faire ce qu'il veut et les lois du monde doivent se plier à toutes ses envies. Les radicaux agissent au mépris de la nature. À l’opposé, le conservateur apprend à commander à la nature en lui obéissant.

 

Weaver a vigoureusement défendu le droit inviolable à la propriété privée, le nommant « le dernier droit métaphysique. » Il a utilisé cette formule pour souligner que le droit à la propriété privée existe indépendamment de son utilité sociale. Cela dit, il avait une conception économique et sociale proche du distributivisme de H. Belloc et G. K. Chesterton et n’a pas défendu la propriété privée dans toute son extension, comme l’ont fait certains penseurs réalistes, notamment dans l’école autrichienne, à la suite des scolastiques.

 

La crise du droit naturel

 

Le principe du droit naturel, issu de la tradition catholique, a connu une forte renaissance dans les années 1950, même parmi des écrivains non catholiques comme Walter Lippmann, Peter Viereck ou Leo Strauss. La reconnaissance du fait qu’il existe une « loi naturelle » qui détermine ce qui est objectivement bien ou mal est inextricablement lié au réalisme classique. La « nature humaine », telle qu'elle est comprise par la théorie traditionnelle du droit naturel, peut être définie en vertu de la participation de chaque être humain à la forme ou à l’essence humaine qui le constitue invariablement. En outre, cette nature indique à l’intelligence certaines fins naturelles et l’existence d’un bien objectif pour l’être humain.

 

À l’époque moderne, explique Weaver, une nouvelle doctrine de la nature est apparue, rendant incompréhensible cette doctrine classique du droit naturel, héritée d’Aristote et de Cicéron. En effet, la pensée occidentale depuis Guillaume d'Occam s'est tournée vers la compréhension du monde par la méthode expérimentale plutôt que par la pensée conceptuelle. La nature avait longtemps été considérée comme l’imitation d’un modèle transcendant. La science a désacralisé la nature en la réduisant à une machine.

 

Cette révision a eu deux conséquences importantes pour l'enquête philosophique. Premièrement, elle a encouragé l’étude expérimentale de la nature, la science moderne, faisant admettre l’idée fausse que la science dévoilait l’essence de la nature. Deuxièmement, par la même opération, elle a supprimé la doctrine des formes imparfaitement réalisées. Aristote avait reconnu un élément d’inintelligibilité du monde, mais la conception de la nature comme un mécanisme rationnel a expulsé cet élément. L'expulsion de l'élément d'inintelligibilité dans la nature a été suivie par l'abandon de la doctrine du péché originel. Si la nature physique est la totalité et si l'homme fait partie de la nature, il est impossible de le penser comme souffrant d’un mal constitutionnel; ses fautes doivent désormais être attribuées à sa simple ignorance ou à une certaine forme de misère sociale. C’est la doctrine de la bonté naturelle de l'homme.

 

Depuis que l'homme s’est proposé de ne pas aller au-delà des apparences du monde, il doit considérer comme sa plus haute vocation intellectuelle d’interpréter les données fournies par les sens. La question de savoir pour quoi le monde a été fait devient désormais sans signification, parce qu’une telle demande suppose quelque chose d'antérieur et de supérieur à la nature dans l'ordre des existants. Ainsi, ce n'est pas le fait mystérieux de l'existence du monde qui intéresse l'homme moderne, mais les explications de la façon dont le monde fonctionne afin de le dominer par la technique.

 

Dans un recueil d’articles publié après sa mort, on trouve un essai intitulé : « Conservatism and Libertarianism : The Common Ground. » (« Conservatisme et libertarianisme : le terrain d’entente »). Selon l’auteur il y a deux facettes de la pensée conservatrice. D'un côté, il y a ceux qui mettent l'accent sur la compréhension du monde à travers des principes hérités de l’histoire. De l’autre, il y a ceux qui s’efforcent d'examiner les choses à la racine et de formuler des théories cohérentes. Les libertariens sont plutôt de ce côté-là et les traditionalistes de l’autre. Weaver défend la nécessité d’un équilibre entre les deux.

 

 

 

À lire :

 

 

 

Richard Weaver, Ideas Have Consequences, 1948.

 

Richard Weaver, The Ethics of Rhetoric, 1953.

 

Richard Weaver, Visions of Order The Cultural Crisis of Our Time, 1964.

 

Richard Weaver, Life without Prejudice and Other Essays, 1965.

 

In Defense of Tradition: Collected Shorter Writings of Richard M. Weaver 1929-1963

 

 

 

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Damien Theillier est professeur de philosophie en terminale et en classes préparatoires à Paris. Il est l’auteur de Culture générale (Editions Pearson, 2009), d'un cours de philosophie en ligne (http://cours-de-philosophie.fr), il préside l’Institut Coppet (www.institutcoppet.org).
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