Robert Nisbet et la tradition sociologique

IMG Auteur
Published : February 02nd, 2015
1492 words - Reading time : 3 - 5 minutes
( 0 vote, 0/5 )
Print article
  Article Comments Comment this article Rating All Articles  
0
Send
0
comment
Our Newsletter...
Category : Today's Article

 

 

 

 

« La liberté individuelle n'est possible que dans le contexte d'une pluralité d'autorités sociales, de codes moraux et de traditions historiques, servant d’obstacles intermédiaires à la puissance de l'État sur l'individu. » R. Nisbet, « Conservatives and Libertarians: Uneasy Cousins », Modern Age, XXIV, Hiver 1980.

 

 

 

Robert A. Nisbet, sociologue et historien né en 1918, a enseigné dans les deux départements d'histoire et de sociologie à l'Université de l'Arizona et à l'Université Columbia. Après sa retraite, il a continué à travailler comme chercheur à l'American Enterprise Institute. Il a été aussi membre élu de l'American Philosophical Society et de l'Académie américaine des arts et des sciences. Au moment de sa mort, en 1996, il avait écrit 17 livres et acquis la réputation d’être l'un des plus originaux et des plus influents théoriciens de la société américaine de sa génération.

 

Le conservatisme traditionnel est le fil conducteur qui unit presque tous les travaux de Robert Nisbet. À la suite de Tocqueville et de Frédéric Le Play, il a défendu dans son œuvre l'importance des communautés locales et des institutions sociales intermédiaires entre l’individu et l’État. Il a dénoncé la confusion du social et du politique, conduisant à la destruction des communautés naturelles. Il a mis en garde contre le progrès continu du pouvoir central de l'État et s’est opposé, pour cette raison, au militarisme des gouvernements de gauche comme de droite. George Nash, auteur d’un livre de référence sur l’histoire du mouvement conservateur américain (The Conservative Intellectual Movement in America since 1945), considère Robert Nisbet, avec Russell Kirk et Richard Weaver, comme l'un des trois plus remarquables intellectuels conservateurs traditionnalistes.

 

La tradition communautaire

 

Nisbet note l’existence de deux traditions dans la pensée sociale et politique occidentale :

 

1° la conviction développée par Hobbes, Rousseau, Bentham et d’autres, que le gouvernement doit avoir un contrôle total sur toutes les institutions et les groupes naturels. Pour eux, le pouvoir exercé au nom du peuple est par nature illimité. 

 

2° la conviction exprimée par Cicéron, Thomas d'Aquin, Burke, Tocqueville, Proudhon et Le Play, qu'il existe et qu’il faut maintenir une séparation nette entre les institutions sociales et l'État en tant que tel, entre le social et le politique.

 

Le dogme démocratique, comme on le voit chez Rousseau, est que des structures telles que les écoles publiques pourraient faire aussi bien, voire mieux que les familles et les parents pour élever et instruire les enfants. Contre ce dogme, Nisbet défend l'attachement des conservateurs aux institutions sociales issues de la communauté locale. Selon lui, elles sont mieux à même de répondre aux besoins humains que les gouvernements eux-mêmes. En d'autres termes, les familles élargies peuvent faire un meilleur travail d'aide sociale que les programmes étatiques, et les écoles privées réussissent mieux et à moindre coût que les écoles publiques. C’est pourquoi, selon Nisbet, la décentralisation et la subsidiarité sont des valeurs conservatrices par excellence. Les conservateurs encouragent le volontariat ainsi que l'accent mis sur le pouvoir local et sur le quartier. Si nous voulons avoir une société aussi libre que stable, il faut réhabiliter le prestige et l’autonomie du secteur privé, par opposition au secteur public.

 

Une des raisons pour lesquelles le totalitarisme a pu si facilement s’imposer au cours du XXe siècle, suggère d’ailleurs Nisbet, rejoignant ici Hannah Arendt, c'est que les hommes, dépouillés de leur identité sociale traditionnelle, ont aspiré à mettre quelque chose à sa place. Ce sentiment d'appartenance a été rempli par l'État totalitaire, qui s'est développée sur les ruines de ces associations intermédiaires. Il a offert à des hommes déracinés une source de sens, servant ainsi de substitut à l'identité sociale des petites associations, supprimées ou marginalisés par la bureaucratie massive.

 

La croissance continue du pouvoir exécutif central

 

La plupart des grands philosophes politiques modernes en Occident, de Hobbes à nos jours, ont pris comme point de départ de leur réflexion sociale l'idée d'une assemblée unique ou d’un État central tout-puissant. Ce pouvoir est posé juridiquement et temporellement comme antérieur et supérieur à toutes les communautés. Or, selon Nisbet, c’est ce modèle d'association politique qui s’est imposé en Occident depuis la Révolution française. C’est pourquoi les différentes autorités traditionnelles et communautaires que sont la famille, la communauté locale, l'église, ou d'autres, ont été de plus en plus subordonnées au pouvoir de l'État central.

 

Ainsi, aux États-Unis, avec le New Deal, est apparu le Welfare State, développé à l’échelle nationale, dont les programmes n'ont jamais été réduits après la Grande Dépression. Ensuite, avec la Seconde Guerre mondiale, le système social et éducatif est devenu peu à peu beaucoup plus centralisé, exerçant une influence significative sur les communautés locales.

 

Nisbet rappelle que, contrairement à la croyance populaire, les penseurs de gauche n’ont jamais été opposés à la guerre en soi. Ils ont toujours trouvé beaucoup de potentiel révolutionnaire dans la guerre. « Napoléon, écrit-il, a été le modèle parfait de la révolution ainsi que de la guerre, pas seulement en France mais dans presque toute l'Europe, et même au-delà. Marx et Engels étaient deux étudiants qui souhaitaient la guerre, profondément reconnaissants à l’égard de sa capacité à initier des changements institutionnels à grande échelle. De Trotsky à Mao et Chou En-Lai, l'uniforme du soldat a toujours été l'uniforme de la révolution. »

 

Dans Twilight of Authority (1975), Nisbet montre un certain scepticisme quant à l’engagement américain dans la guerre et dénonce la militarisation des sociétés occidentales sous le masque de la démocratie humanitaire (voir le chapitre The Lure of Military Society, p. 146-193). Les intellectuels de gauche ont été pratiquement unanimes à favoriser l'entrée des États-Unis dans la Première Guerre mondiale quand ils ont compris quelle opportunité elle représentait pour opérer un changement institutionnel. De plus, « en temps de guerre beaucoup de réformes, d'abord défendues par les socialistes, ont été acceptées par des gouvernements capitalistes », ajoute Nisbet. « La péréquation des richesses, l'impôt progressif, la nationalisation des industries, l'augmentation des salaires et les régimes d'assurance chômage, les régimes de retraite, ont tous été réalisés en temps de guerre. »

 

Conservateurs et libertariens

 

Il est difficile, écrit Nisbet, d'imaginer une combinaison plus contradictoire avec le conservatisme traditionnel que l'aventurisme militaire et la croisade idéologique qui a marqué la fin de la Guerre Froide. Dans Conservatism : Dream and Reality (1986), un mince volume d’une centaine de pages, Robert Nisbet fournit peut-être la meilleure discussion de ce qu’est le conservatisme.

 

Le conservatisme américain partage avec le libertarianisme plusieurs idées communes. Le conservatisme, explique Nisbet, peut être considéré tout aussi clairement que le libertarianisme comme une philosophie ancrée dans l'opposition à l'étatisme. Il insiste sur le fait que la philosophie du conservatisme a toujours été catégorique sur le caractère sacré de la propriété. Il cite Russell Kirk et Richard Weaver à cet effet : la propriété et la liberté sont indissolublement liées. Deuxièmement, il y a un large consensus entre les conservateurs traditionalistes et  les libertariens sur ce que devrait être l'égalité légitime dans la société. Cette égalité est, en un mot, juridique. Nisbet renvoie à Burke et à Mill sur cette question. Pour l'un comme pour l'autre, l'égalité devant la loi est indispensable à l'épanouissement de la liberté individuelle.

 

En revanche pour les conservateurs, la liberté, bien qu'importante, n'est qu'une des nombreuses valeurs nécessaires à la société juste. Non seulement la liberté peut mais doit être limitée lorsqu’elle montre des signes d'affaiblissement ou lorsqu’elle risque de mettre en danger la sécurité nationale, l'ordre moral ou encore le tissu social.

 

L'ennemi commun aux libertariens et aux conservateurs est ce que Burke appelle le pouvoir arbitraire. Mais, ajoute Nisbet, du point de vue conservateur, ce type de puissance devient presque inévitable quand un peuple se met à ressembler à celui de Rome au cours des décennies qui ont précédé l’ascension d'Auguste en 31 avant JC,  à celui de Londres dans la période antérieure à Cromwell, à celui de Paris avant l'avènement de Napoléon à la tête de France, à celui de Berlin pendant la majeure partie de Weimar, et certains diraient, à celui de New York dans les années 1970. Ce n'est pas la liberté, mais le chaos et la licence qui dominent lorsque les autorités morales et sociales celles de la famille, du voisinage, de la communauté locale, et celles de la religion ont perdu leur attrait pour les êtres humains.

 

Selon Nisbet, il faut reconnaître la différence très importante entre les diverses formes de coercitions : celle de la famille, de l'école et de la communauté locale et celle de l'État bureaucratique centralisé. L

 

À lire

 

Robert Nisbet, The Quest for Community, 1953

 

Robert Nisbet, The Sociological Tradition, 1966

 

Robert Nisbet, La tradition sociologique, PUF, 1984. Édition de poche, PUF, « Quadrige », 2000.

 

Robert Nisbet, Twilight of Authority, 1975

 

Robert Nisbet, The History of the Idea of Progress, 1980

 

Robert Nisbet, Conservatism: Dream and Reality, Milton Keynes, GB, Open University Press, 1986

 

Nicolas Kessler, « Une approche de l’œuvre de Robert Nisbet (1913-1996) », L’Année sociologique, 2000, n°1, p. 147 à 194

 

 

 

Data and Statistics for these countries : France | All
Gold and Silver Prices for these countries : France | All
<< Previous article
Rate : Average note :0 (0 vote)
>> Next article
Damien Theillier est professeur de philosophie en terminale et en classes préparatoires à Paris. Il est l’auteur de Culture générale (Editions Pearson, 2009), d'un cours de philosophie en ligne (http://cours-de-philosophie.fr), il préside l’Institut Coppet (www.institutcoppet.org).
Comments closed
Latest comment posted for this article
Be the first to comment
Add your comment
Top articles
World PM Newsflow
ALL
GOLD
SILVER
PGM & DIAMONDS
OIL & GAS
OTHER METALS
Take advantage of rising gold stocks
  • Subscribe to our weekly mining market briefing.
  • Receive our research reports on junior mining companies
    with the strongest potential
  • Free service, your email is safe
  • Limited offer, register now !
Go to website.