Comme la chasse, la période électorale est ouverte. Les faisans sont lâchés, et déjà, des coups de feu se font entendre. Cependant, ce n’est pas parce que la droite se tire allègrement des rafales de calibre 50 dans les doigts de pied qu’il faudrait en oublier ce que fait la gauche. Ici, je ne parle pas de la gauche Hamon, mélange instable d’utopie et de taxation musclée, mais de la gauche Macron, nouvel espace d’expression des possibles qui destructure l’intemporel à grand coup de conceptualisations stratosphériques.
Avant d’aller plus loin, faisons immédiatement taire ceux qui auraient encore la naïveté de considérer le frétillant jeune premier au centre de l’échiquier politique : si ce dernier clame avec véhémence qu’il n’est ni de droite, ni de gauche, force est cependant de constater que c’est au Parti Socialiste qu’il fut inscrit jadis, que c’est dans un gouvernement socialiste qu’il a généreusement contribué à l’époustouflante réussite hollandesque. Difficile aussi d’oublier que ses soutiens sont résolument de gauche : aux députés qui se sont officiellement joints au trémoussement « En Marche ! », on doit ajouter d’autres appuis comme celui de Pierre Bergé (qu’on peut difficilement classer à droite, n’est-ce pas) ainsi que les tendresses quasi-officielles de Ségolène Royal, réputée pour ses choix politiques judicieusement calculés, et pour le moment toujours officiellement socialiste.
Bref, notre brave Emmanuel n’est ni à droite, ni à gauche tout en parvenant à être franchement plus à gauche qu’à droite. Ceci posé, puisqu’on nous dit avec véhémence que le temps de ces clivages binaires est dépassé, oublions cet aspect purement politicien et concentrons nous enfin sur le programme de notre homme : après tout, avec la déconfiture que subit actuellement Fillon, il devient indispensable de savoir où l’ex-ministre de Hollande veut nous emmener, d’autant plus qu’à force de voir ses concurrents tomber, il pourrait bien décrocher la timbale.
Las. Si notre homme est facile à voir puisqu’il suffit d’allumer la télé ou d’ouvrir un journal, son programme est en revanche bien plus évanescent.
Bon, soit, il y a bien un site web joliment 2.0 qui permet de nous éclairer sur les pensées profondes du gourou Skippy Macron, même si de vilaines langues trouvent ça tout de même furieusement vague. Il va de soi que ces folliculaires ont tort : la consultation du site permet de remplir rapidement son âme de ces réalités concrètes et palpables comme sur la sécurité par exemple, avec « Le terreau sur lequel les terroristes ont réussi à nourrir la violence, à détourner quelques individus, c’est celui de la défiance », dont l’aspect si violemment visionnaire permet d’aboutir à la conclusion qu’il faut plus de police de proximité (Combien ? Qui paie ?) et plus de policiers tout court — mettez-m’en un pack de 10.000 siouplaît — (Qui Paie ? Comment ?) parce qu’à l’évidence, c’est ce dont on a besoin pour traquer les automobilistes jusque dans les chiottes… Ou les terroristes disons plutôt mais bref, vous voyez.
Pour les 35 heures, idée géniale reprise avec brio par un peu plus de 0 pays dans le monde, monsieur Macron admet sans ambages que c’est « une avancée sociale non contestable », qu’on ne remettra donc pas en cause (elle est incontestable, on vous dit) même si elle a « un bilan contrasté » ce qui place haut l’utilisation de l’euphémisme électoral, et surtout, ce qui permettra tout de même d’« adapter sans remettre en cause le principe ». Tout ceci sent bon le précis, le pointu, le carré, le propre, le savamment planifié et la prise de décision ferme.
Il y a d’autres tuiles amusantes sur le site, je vous encourage à en cliquer quelques unes pour bien rouler sur du concret et du solide bien ferme. Lâchez-vous : quoi qu’il arrive, vous avez toujours les petites roulettes derrière, vous ne risquerez jamais de tomber.
Ce site n’est cependant qu’une « vision » du programme de Macron, ce qu’on peut en apercevoir au travers d’une longue-vue de marine, une nuit de brouillard, quelque chose lancé en attendant la version définitive.
Et ça tombe bien : pour cette dernière, il y a la promesse d’avoir enfin le détail du programme fin Mars ah non pardon début Mars que dis-je excusez-moi c’est plutôt dans une dizaine de jours pour la partie fiscale enfin bon, très vite on le voit.
En attendant, histoire de donner un peu de matière à une presse qui, toute favorable qu’elle soit au révolutionnaire en costumes sur mesure, a bien besoin d’étoffer un peu le discours de notre homme providentiel, quelques petits nuggets croustillants ont été dernièrement lancés dans les médias en guise d’apéritif.
Il faut dire que l’accusation de n’avoir aucune proposition vraiment concrète, avec du poil, de la sueur et du coup de menton musclé, a fini par agacer le leader d’En Marche !. Pas de programme, lui, Emmanuel Macron, celui qui va révolutionner la politique en France ? Oh, non mais alors ! J’t’en foutrai, moi, du pas’d’programme, et tiens, en voilà de la mesure qui dépote !
Oui, youpi, supprimons l’impôt sur la fortune ! Que voilà une bonne idée qui, sans être révolutionnaire (il suffit de se rappeler que c’est quelque chose qu’on nous ressort régulièrement depuis sa mise en place), trouvera grâce chez ceux qui comprennent un peu la façon dont l’économie fonctionne. Oui, youpi, compensons cette suppression par une augmentation des droits de succession hein quoi pardon ?!
Quelle idée lumineuse que de sucrer un impôt mortifère pour le remplacer par une iniquité encore plus grande ! Sucrer l’impôt sur la fortune pour augmenter l’impôt sur la mort, c’est tellement moral, tellement libéral-compatible ! Alors que d’autres pays, en Europe, n’ont pas de droits de succession, la révolution aurait précisément été d’abolir cette nuisance moralement hideuse. Macron loupe magistralement en la marche.
Et ce qu’on voit avec l’impôt est rejoué, de la même façon, avec les cotisations qu’il entend baisser, en compensant cette baisse par une augmentation de la CSG. L’idée consiste bien sûr à faire passer progressivement le domaine de la sécurité sociale du bastion pourri des syndicats français au bastion nettement plus enviable de l’État jacobin centralisateur français. Forcément, ça va bien se passer.
Heureusement, en lot de consolation, Macron propose de supprimer l' »exit-tax », l’imposition des plus-values latentes sur des valeurs mobilières en cas de départ à l’étranger, qui ne rapporte de toute façon rien et qui incite nettement les porteurs de projets innovants à fuir avant toute réalisation de gains.
Néanmoins, cette proposition semble bien maigre face aux figures imposées du Facepalm qu’on subit lorsqu’on découvre un peu de croûtons concrets dans cette soupe clairette de poncifs vagues.
Au vu des derniers sondages d’une élection présidentielle qui s’annonce pleine de rebondissements et de consternation, Emmanuel Macron pourrait être notre prochain président. Ce sera d’autant plus facile pour lui s’il continue à surfer sur son océan de vague et de flou où chaque jour qui passe lui permet de rester dans l’ambiguïté et d’engranger des points d’opinion favorable.
Le pays dont il héritera, épuisé par 40 ans de sociale-démocratie de plus en plus molle et au peuple gavé aux idéaux collectivistes, refusera toute réforme, même les plus timides qu’il propose. Englué dans une majorité fragile et un immobilisme garanti sur facture par son positionnement typiquement hollandesque, le président Macron continuera à enfiler les perles que Hollande et Sarkozy enfilèrent avant lui.
Bonne nouvelle cependant : en tant que Picard, il déclarera sans doute le tuning comme sport national.
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