Tiens, ça y est : les journalistes semblent s’éveiller au fait que les indépendants en ont plus qu’assez de leur régime d’assurance sociale, le RSI. Peut-être est-ce la proximité des élections ? Peut-être est-ce la timide apparition de ce mot dans le discours de certains candidats, et du thème plus général de la protection sociale des commerçants et des artisans ? Peut-être est-ce la grogne, jusqu’à présent diffuse, qui commence à cristalliser ?
Il faut dire que ce régime des indépendants est devenu pour certains candidats l’un des enjeux de la campagne présidentielle puisque ces derniers ont indiqué leur intention de supprimer ce régime. Benoit Hamon évoque sa disparition au profit d’un « statut social unique de l’actif », terme un peu vague qui couvrirait aussi bien le salarié que l’indépendant. Marine Le Pen envisage de, je cite, « le remettre sérieusement à plat » là où une dissolution pure et simple serait probablement plus efficace. François Fillon voudrait semble-t-il le remplacer par une « Caisse de protection des indépendants », ce qui a un parfum de redite et ne respire guère l’efficacité. Emmanuel Macron a, lui aussi, évoqué la question dans son style inimitable où de grands moulinets chaleureux viennent brasser tendrement une grosse bouffée d’air tiède.
Notre prochain président décidera-t-il d’une vraie remise à plat de ce véritable scandale ?
Allez savoir. En tout cas, les signes sont de plus en plus abondants que la France qui ne compte pas ses heures et qui se paye généralement au lance-pierre commence à en avoir plus qu’assez d’un régime qui devient de plus en plus prohibitif, qui assure de plus en plus mal et qui a le toupet de harceler ses assurés avec l’obstination bornée que seule peut déployer une administration confie dans son monopole et ses habitudes.
En effet, pour les indépendants, selon le troisième baromètre réalisé par leur syndicat et dont Le Figaro publie les résultats, 76% d’entre eux ne sont pas satisfaits du RSI et 94% estiment que sa mise en place en 2008 n’a pas constitué une avancée pour leur protection sociale.
C’est évidemment une façon fort diplomatique de présenter une véritable « catastrophe industrielle » (ce sont les mots de la Cour des comptes en 2012) touchant plus de six millions d’indépendants en France. On se rappellera des précédents billets dans lesquels je revenais sur les mésaventures de cette institution calamiteuse qui, au contraire des plaies d’Egypte qui ne durèrent qu’un temps limité, s’est abattue sur la France depuis plusieurs années et dont on ne parvient toujours pas à se débarrasser.
Cependant, après des années pendant lesquelles les autorités, avec l’autisme compact qui les caractérisent, n’ont absolument rien fait et ont même laissé les coudées franches au RSI pour continuer à empiler ses exactions, on assiste à présent à des mouvements de plus en plus marqués de la part des assurés eux-mêmes. Il faut dire que beaucoup d’entre eux, poussés à bout par ce mammouth bureaucratique destructeur d’emploi, ont pu consacrer cette partie de l’énergie auparavant nécessaire à développer leur activité à rentrer dans le lard de l’imposant pachyderme ravageur.
Dans le baromètre, ceci se traduit, par une statistique de plus en plus élevée du départ des travailleurs indépendants vers le statut nettement mieux géré de travailleur salarié : « S’ils étaient 13% en 2015 (+ 6 points), 23% (+ 10 points) des chefs d’entreprise s’étaient organisés à 2016 pour rompre, en toute légalité, tout lien avec cet organisme », détaille l’étude. Ce n’est plus quelques mécontents qui claquent la porte, ce sont des centaines de milliers d’indépendants qui fuient le navire en perdition.
Il y a de quoi.
Entre les appels de cotisations farfelus, qui changent d’une fois à l’autre sans qu’on puisse expliquer exactement pourquoi, la gestion calamiteuse des usagers (dont 35,6% estiment que les services du RSI sont injoignables) ou de leurs dossiers qui se font balader d’un service à un autre, les innombrables problèmes informatiques aussi impromptus que commodes pour expliquer les erreurs accumulées, le régime est devenu un véritable cauchemar pour une proportion croissante d’affiliés.
Dans ce sombre tableau brille cependant une lumière qui réchauffera le cœur de ceux qui sont concernés. En effet, si le RSI semble bien générer un puissant mécontentement de la part des affiliés (et certains vont même parler de haine), au moins les cadres qui travaillent au sein de cette institution ne s’en plaindront pas trop : ces cadres ont obtenu une augmentation de salaire de 13% fin 2016 !
Plus amusant encore, on apprend dans le tract outré de la CGT qui a découvert le pot au roses que ce régime a réussi le tour de force d’augmenter ses cadres à l’insu de toutes les organisations syndicales représentatives du personnel et au mépris du rapport de la Cour des comptes. Dans la foulée, le régime n’a pas cru bon d’augmenter le reste du personnel, ce dont se plaint abondamment la CGT (avec l’absence de lucidité qui lui est maintenant habituelle).
On s’étonnera en effet qu’un régime qui surponctionne à droite et à gauche puisse se permettre ces largesses pour ses cadres. On s’étonnera moins que la CGT puisse réclamer l’open-bar, en lieu et place d’une austérité qui ferait honneur à un régime qui s’enfonce dans le n’importe quoi vibrant d’incompétence. Mais après tout, tant que les fonds coulent à flot, il serait dommage de ne pas en profiter, n’est-ce pas ?
En attendant de savoir si, finalement, les instances dirigeantes du RSI cèderont à la pression populaire de ses salariés et augmentera tout le monde avec le geste auguste de celui qui vit confortablement de l’argent des autres, soyez certains que les entrepreneurs et indépendants qui paient pour ce bastringue continueront de recevoir leurs factures (et parfois, en plusieurs exemplaires, avec variation des montants et des explications), pendant que d’autres continueront à se battre pour obtenir leur dû lorsqu’ils tombent malade.
En parallèle, les candidats à la présidentielle ont, semble-t-il, pris la mesure du malaise qui règne. Si, pour le moment, les solutions qu’ils préconisent ressemblent à des bricolages ou des impasses, au moins peut-on se réjouir de voir que ce problème, qui traîne depuis plus de dix ans – la création du monstre remonte à décembre 2005, semble avoir atteint le débat public.
À ce rythme, haut les cœurs, dans dix ans, ce problème sera presque résolu !