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Derrière cet acronyme barbare AGRASC se cache une entité peu connue du public : l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués. Lors des enquêtes menées par les forces de police et de gendarmerie, ce sont des centaines de millions d’euros d’avoir criminels (trafics en tous genres, escroqueries, vols, abus de biens sociaux, etc.) qui font l’objet de saisies et de confiscations.Cet établissement public administratif, créé par la loi n° 2010-768 du 9 juillet 2010, est placé sous la double-tutelle des ministères de la Justice et du Budget. Dirigé par un magistrat de l’ordre judiciaire, en application des articles 706-159 et suivants du code de procédure pénale, il a pour rôle d’améliorer le traitement judiciaire des saisies et des confiscations en matière pénale. Dans ce cadre, l’agence :
- assure la gestion centralisée de toutes les sommes saisies, sur un compte qu’elle a ouvert à la Caisse des Dépôts et consignations (CDC) ;
- procède à l’ensemble des ventes avant jugement de biens meubles saisis, décidées par les magistrats lorsque ces biens meubles ne sont plus utiles à la manifestation de la vérité et qu’ils sont susceptibles de dépréciation.
- assure la destruction des véhicules confisqués après avoir été immobilisés et mis en fourrière ;
- procède à l’ensemble des publications, auprès des Bureaux de conservation des hypothèques, des saisies pénales immobilières ;
- assure la gestion de biens saisis, procède à leur vente et à la répartition des produits en exécution de toute demande d’entraide internationale ou de coopération émanant d’une autorité judiciaire étrangère,
- à ce titre, l’Agence a été désignée par la France, le 25 février 2011, comme bureau de recouvrement des avoirs au sens de la décision 2007/845/JAI du 6 décembre 2007 du Conseil de l’Union européenne ;
- veille le cas échéant, à l’information préalable des créanciers (créanciers publics ou victimes) avant exécution de toute décision judiciaire de restitution et à l’indemnisation prioritaire des parties civiles sur les biens confisqués à la personne condamnée.
Le sous-titre du dernier rapport annuel de l’agence est évocateur « Nemo ex delicto consequatur emolumentum » ( « nul ne doit tirer profit de son délit »). Pour 2014, il fait état de l’enregistrement de 13 161 affaires (22 397 biens en numéraires et 1 871 biens en comptes bancaires, pour un total de 159 millions d’euros).
L’Agence est parfois amenée à traiter des situations particulières. Un bateau au mouillage dans le port de Saint-Suliac, sur la Rance (35) risquant à tout moment de s’échouer et d’occasionner ainsi des risques importants pour la navigation ainsi qu’une pollution aux hydrocarbures. Ce bateau a été confisqué par un jugement du TGI de Paris, mais ne pouvant être vendu à ce stade, la décision ayant fait l’objet d’un appel. Pour éviter tout incident, l’AGRASC s’est donc vu confier un mandat de gestion concernant ce bateau, afin de le vider de son gasoil, de le remorquer et de le placer en gardiennage dans un lieu sûr. Le bateau, à sec et totalement nettoyé, attend désormais la décision définitive de la juridiction d’appel, tout risque d’incident ou de pollution étant désormais écarté.
Plus « classique » cette affaire de blanchiment d’argent. En juin 2007, la Brigade de répression du banditisme (BRB) de la préfecture de police de Paris recueillait un renseignement relatif à un réseau exploitant des machines à sous de type « bingo ».
L’enquête menée en collaboration avec les douanes et les services fiscaux établissait que ce réseau, structuré autour d’un noyau familial, exploitait ces machines à sous dans des bars parisiens, de Seine-Saint-Denis et des Hauts-de-Seine, par l’entremise de sociétés dirigées par des gérants de paille. Les protagonistes de cette affaire se livraient à des investissements fonciers au moyen des gains illicites estimés entre 40 000 € et 50 000 € mensuels.
L’Office central de répression de la grande délinquance financière (OCRGDF) identifiait 16 sociétés civiles immobilières, 2 bars et 4 agences immobilières dans le patrimoine familial, évalué à plus de 1 M€. Le 4 mai 2010, le tribunal correctionnel de Bobigny condamnait une partie des prévenus, notamment à des peines d’emprisonnement et prononçait la confiscation de biens acquis par eux au nom des sociétés civiles immobilières. Par arrêt du 3 février 2012, la cour d’appel de Paris confirmait la confiscation de ces biens immobiliers. Le pourvoi formé contre cette décision était rejeté le 27 février 2013. Le 15 avril 2013, l’AGRASC s’occupait de la réalisation de ce bien immeuble. Dès lors les loyers recueillis étaient versés à l’AGRASC. Une fois les diagnostics réalisés, le droit de préemption municipal levé, la vente par adjudication était organisée le 7 octobre 2014, le bien était acquis pour 760 000 € par une SCI familiale francilienne et la vente régularisée le 5 décembre 2014. L’intégralité de ce prix a été versé début 2015 au budget général de l’État. Depuis sa création en 2010, l’AGRASC a ainsi saisi et confisqué environ un demi-milliard d’euros.
La Cour des comptes qui a pour mission de s’assurer du bon emploi de l’argent public et d’en informer les citoyens (selon l’article 47-2 de la Constitution) a, pour la première fois depuis la création de l’AGRASC, procédé à un contrôle de cet établissement et a adressé le 29 juin 2016, sous forme d’un référé (nous reviendrons à cette notion en fin du billet), les résultats de son enquête aux autorités de tutelle que sont le ministre des Finances, le garde des Sceaux et le ministre du Budget. Ce document s’articule en deux parties :
- une, première, ou la Cour dresse «un premier bilan positif de la création et de la gestion de I‘AGRASC. Par son action, ce nouvel organisme illustre le bénéfice que peut tirer la Justice d’une plus grande proximité avec des gestionnaires publics, dans le respect de l‘indépendance des magistrats »;
- une seconde, ou elle relève que « les mécanismes d’affectation des excédents budgétaires de l‘agence à plusieurs ministères, qui dérogent aux principes d’unité et d‘universalité budgétaire, ne manqueront pas de nuire à son développement».
Alors que la garde des Sceaux en 2014 affirmait que « la confiscation des avoirs criminels est un axe fort de l’action de la justice pénale, aux côtés des sanctions traditionnelles » et que la plaquette de l’AGRASC mentionne expressément son action pour « améliorer l’indemnisation des parties civiles et informer les créanciers publics », la Cour des comptes est plus nuancée quant aux résultats.
Au terme de ses investigations, la Cour :
- « observe que l’action publique ne tire pas encore le plein bénéfice de cette nouvelle approche pénale »,
- elle souhaite la simplification de la transmission des informations nécessaires au suivi des flux financiers entre les tribunaux et l’administration fiscale. « Ces flux sont d’une telle opacité que le montant total des avoirs effectivement confisqués et recouvrés sur le territoire national demeure une donnée inconnue » ;
- de même pour ce qui est des biens immobiliers confisqués « Alors que 126 biens confisqués ont été confiés à I’AGRASC entre 2011 et 2015, seules 15 ventes avaient été réalisées au cours de cette période, dont trois n’ont rien rapporté » ;
- constate que la gestion comptable des avoirs confisqués doit être rationalisée, afin de simplifier les circuits administratifs et de mieux indemniser les victimes,
- « quoi qu’en forte progression, le niveau des indemnisations des victimes paraisse encore en deçà de son potentiel (1 ,6 M€ en 2014 et 8,1 M€ en 2015) »…
- « l’indemnisation n’est d’ailleurs pas présentée comme une priorité de l’agence »…
- « cette situation est paradoxale alors que l’indemnisation des victimes est présentée comme une priorité et que les dépenses budgétaires correspondantes, portées par la mission justice, sont en augmentation ».
- relève que l’AGRASC voit son développement et ses investissements ralentis par des mécanismes d’affectation de ses excédents à plusieurs ministères qui dérogent inutilement aux principes budgétaires,
- « L’AGRASC est dotée par la loi d’un mécanisme spécifique de financement : aucune ressource ne lui est attribuée par l’État et elle se finance majoritairement à partir du produit des sommes saisies » ;
- « Les dépenses courantes de l‘agence, efficacement contrôlées, témoignent d‘une gestion sobre. De la sorte des excédents se sont rapidement constitués »….
- « Dès 2015, près de 5 M€ ont ainsi été transférés, dont la moitié au ministère de la Justice pour l’acquisition de divers matériels de fonctionnement et le financement de frais de déplacement de magistrats d’outre-mer »…
- « Ce dispositif appelle plusieurs critiques. Formellement il s‘écarte des principes d’unité et d’universalité budgétaire qui exigeraient que les excédents soient reversés en recette diverse du budget général de l’État »…
- « En outre, il finance majoritairement, non pas le fonds des repentis comme initialement annoncé et qui reste marginal, mais des dépenses de fonctionnement sans lien évident avec les missions de I’AGRASC et parfois sans visibilité pour les services ».
Comme on le voit, bien des choses restent à améliorer. Comme indiqué plus haut dans ce billet, ce document de la Cour des comptes est un référé, c’est-à-dire une «Communication adressée par le Premier président de la Cour des comptes à un ministre pour lui faire part des observations formulées par la Cour à l’issue d’un contrôle ». Hélas, comme vous le savez, les rapports de la Cour des comptes n’ont aucun effet contraignant pour les services mis en cause. Pour ce qui est du référé. Celui-ci obéit à une procédure quelque peu différente qui est rappelée en bas de celui-ci :
Voici donc les réponses des deux ministères concernés :
- la réponse du garde des Sceaux. Celui-ci est plutôt d’accord avec la simplification des procédures et « les premiers travaux dans ce sens sont lancés ». En ce qui concerne l’affectation des excédents financiers de l’AGRASC, il « défend son beefsteak », on pouvait s’en douter ;
- la réponse commune du ministre des Finances et du secrétaire d’État chargé du budget est à peu près la même que celle du garde des Sceaux pour les procédures. En ce qui concerne l’affectation des excédents… c’est une fin de non-recevoir… argumentée : « Ce mécanisme d’attribution n’a en rien obéré la capacité de l’agence à développer ses activités, car, en dépit d’un prélèvement de 7 M€ en 2016, son niveau de trésorerie, de 9,7 M€ au 1er janvier 2016, est estimé à 6,9 M€ fin 20 16, soit un montant particulièrement élevé au regard des coûts de fonctionnement de l’agence »… Le ministère des Finances connaît bien les chiffres non ?
C’est une de « nos spécificités » bien françaises. Une institution de contrôle et de vérification des services de l’État dresse des constats, diffuse des rapports… et n’a aucun pouvoir de faire « changer les choses ». En ces périodes de promesses électorales, quel(le) candidat(e) « s’engagera » à donner de véritables pouvoirs à la Cour des comptes ? On peut rêver, non ?
Chers lecteurs, je vous aime et vous salue.
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