C’est une totale non-surprise : la France, ce gros bébé joufflu un peu peureux, après avoir choisi l’entremets lacté, s’est laissé pousser une paire de molaires et va attaquer le macaron. Joie, liesse et flonflons : Macron est élu, youpi youpi.
Tous les médias sont d’accord, au moins pour célébrer l’excellente nouvelle : grâce aux efforts énormes déployés par toute la population française dans un acte de civisme et de courage rare, la beuhête immonheude a une nouvelle fois été repoussée. Que vibre encore avec ferveur la République, une, indivisible et ouverte du lundi au vendredi de dix heures à midi et de quatorze à seize, sauf le jeudi où il y a nocturne jusqu’à dix-sept heure mais c’est sur rendez-vous, merci.
À présent, les éditos et les chroniques se bousculent déjà pour à la fois pousser un petit ouf de soulagement (un tantinet exagéré compte tenu du risque nul d’avoir Marine Le Pen aux commandes suite à ce scrutin) et pour disséquer les résultats et montrer à quel point notre homme nouveau va devoir jouer finement dans les prochaines semaines.
Cependant, comme cette presse passe un peu vite sur les résultats de ce scrutin, revenons-y, d’autant qu’ils éclairent la performance de Macron d’une lumière un peu moins vive que celle avec laquelle nos médias la mettent en valeur.
D’une part, le score de Macron s’entend sans tenir compte des blancs, des nuls et de l’abstention. Pourtant, les nuls et les blancs comptent pour 4 millions d’électeurs ce qui est un record. Pourtant, l’abstention a augmenté entre le premier et le second tour (ce qui ne s’était jamais vu) et représente tout de même 12 millions de personnes. Ces chiffres bruts signifient déjà que ceux qui n’ont pas voulu prendre part au choix proposé (Beau Républicain vs Hydre Fachisse Au Ventre Fécond tralalila tralala) sont presque aussi nombreux que ceux qui ont élu Macron et plus que Marine Le Pen. Cela signifie aussi que, comme aux élections précédentes, Macron n’est pas élu par une majorité de Français, ni même une majorité d’inscrits, mais seulement une majorité de votes exprimés.
D’autre part, le score de Marine Le Pen, s’il reste très à distance du vainqueur, n’en marque pas moins une victoire pour le Front National qui compte maintenant 11 millions d’électeurs, c’est à dire quatre de plus au moins qu’au premier tour.
Ces deux éléments signifient que le nouveau président va devoir se révéler maître en matière de dentelle politicienne, puisqu’il va devoir composer avec une forte majorité de mécontents, d’électeurs qui l’ont désigné « par défaut » et d’opposants farouches, ce qui se traduira par plusieurs défis majeurs.
Il lui faudra trouver une majorité présidentielle. Mais s’il semble raisonnable d’imaginer qu’il devrait y arriver, cela n’a rien d’évident. Certes, contre la droite la plus bête du monde et une gauche complètement éparpillée, il est probable que notre homme parvienne à assembler, comme je le mentionnais dans un précédent billet, une majorité composée pour partie de débutants chanceux et de vieux briscards de la politique, recyclage malheureux de partis en déshérence. Le changement, ce ne sera pas maintenant, car ce sera trop compliqué.
Majorité dans la poche, il lui faudra s’assurer qu’elle soit suffisamment stable pour lui permettre d’appliquer son programme, au demeurant très pastel sur le plan des réformes. Il ne faudrait pas que « En Marche » se transforme en « En Piétinant » voire « À Reculons » si les députés et les ministres commencent à jouer une partition plus personnelle. Sur les quarante dernières années, cela s’est déjà vu, des couacs gouvernementaux ou législatifs, et pas toujours lorsqu’une majorité était fébrile.
Et quand bien même : l’un des principaux soucis du pays étant que son administration est un monstre froid et mou qui ne se cornaque guère sans doigté, diplomatie et un temps qui s’accommode mal des impératifs médiatiques, on peut raisonnablement imaginer que les vibrantes tentatives que notre nouveau président tentera de lancer pourraient se heurter à un mur d’immobilisme ou d’indifférence à peine polie. Cela s’est déjà vu, sur les quarante dernières années, et il serait étonnant que cela ne se reproduise pas maintenant.
Enfin, une fois la majorité trouvée, stabilisée et l’administration convaincue, il lui faudra gagner l’assentiment de tous les Français qui devront vivre avec les choix et autres bricolages plus ou moins heureux qu’il entendra mettre en musique, sachant qu’en plus, il y a toujours un écart notable (pour ne pas dire risible) entre la dure réalité et le programme délicatement imprimé sur les papiers colorés de l’aimable propagande électorale. Un programme qui termine en peau de saucisson, sur les quarante dernières années, cela s’est déjà vu. Une « réforme présidentielle » qui se transforme en « méforme gouvernementale », aussi. Des grèves de ronchons systématiques, encore. Et des gens qui attendent le pouvoir au tournant, tout autant.
Enfin, pendant les cinq années qui se profilent, il restera bien évidemment tous les problèmes à régler déjà existants pour la France (sa dette, son chômage, sa compétitivité, et j’en passe), auxquels s’ajoutent tous les problèmes du monde à supporter (tant du côté de l’Europe que du reste du monde, des tensions géopolitiques, du terrorisme et j’en passe encore), auxquels on se devra d’additionner encore toutes les palpitantes affaires plus ou moins crapuleuses, tordues ou bizarres qui ne manqueront pas d’émailler la vie politique française. Palpitance et consternation : chopera-t-on le nouveau président à faire de la trottinette électrique pour retrouver sa maîtresse ? Éviterons-nous les impairs protocolaires, les discours alambiqués de premier de l’an, les saillies consternantes sans queue ni tête ?
Bref, il y a loin de la coupe aux lèvres et le parcours de Macron s’annonce d’ores et déjà semé d’embûches. La probabilité que la situation française soit meilleure dans 5 ans que celle qu’on connaît maintenant est directement dépendante des efforts réels, tangibles, palpables que lui, son gouvernement et sa putative majorité feront réellement. Or, si le passé est un guide, il n’indique malheureusement qu’une réponse, et elle est négative.
On ne peut qu’espérer le contraire. Pour le moment, il ne pleut pas.