De nombreux économistes mainstream, probablement la majorité d’entre eux ayant une opinion sur le sujet, s’opposent à l’encadrement des banques centrales par le respect de toute règle monétaire stricte. Une confortable majorité s’oppose ainsi au standard or, en tout cas selon un sondage fréquemment cité. Pourquoi ?
Commençons par mettre les choses dans leur contexte. Par standard or, j’entends un système monétaire dans lequel l’or est la monnaie de référence. Une quantité d’or définie représente l’unité de compte (par exemple le dollar) tandis que les pièces d’or ou les lingots peuvent être obtenus en échange de devise papier ou par retrait d’un dépôt.
Par standard or automatique ou classique, j’entends un système sans interférence significative des banques centrales dans le fonctionnement du marché de production, dans les mécanismes d’arbitrage qui équilibrent le stock d’or monétaire avec la demande d’or d’investissement.
Les États-Unis ont pris part au standard or classique entre 1879 (quand la convertibilité du dollar en or fut enfin rétablie, après sa suspension pendant la guerre de Sécession) et 1914.
Maintenir le statu quo
Pourquoi le standard or n’est-il pas plus populaire auprès des économistes modernes ? Milton Friedman a émis l’hypothèse que les économistes monétaires hésitent à critiquer les banques centrales car elles sont de loin leur employeur le plus important. En fournissant des preuves, j’ai dans un autre article suggéré que les perspectives de carrière engendrent un biais en faveur du statu quo. La plupart des économistes mettent leur expertise au service du régime actuel tout en ignorant des solutions alternatives qui les rendraient obsolètes. Il y a trop de risques à tenter de déterminer si le régime actuel est le meilleur système monétaire.
Mais aujourd’hui, je voudrais présenter une hypothèse alternative, qui appuie au lieu de remplacer l’hypothèse des perspectives de carrière. Je suggère que la plupart des économistes du système s’opposent à l’idée d’un standard or qui s’autorégule car ils ont été formés en tant qu’ingénieurs sociaux. Ils considèrent que l’objectif de l’économie en tant que science, comme l’ingénierie, est de prédire et de contrôler les phénomènes, et non de les expliquer.
Ce sont des experts, cependant un standard or qui s’autorégule n’a pas besoin de leur expertise. Ils préfèrent donc un système qui les met en valeur. Ils détournent le regard de la possibilité qu’ils essayent d’optimiser un système ptolémaïque. De ce fait, ils préfèrent ne pas étudier les alternatives.
Les résultats du standard or classique sont supérieurs à bien des égards à ceux de l’argent papier moderne. Par rapport à celui-ci, le standard or classique affiche une inflation plus basse (en fait proche de zéro), rend les prix plus prévisibles (donnant ainsi plus de visibilité aux marchés financiers), exige moins de coûts d’extraction (lorsque nous comptons l’or produit pour fournir des pièces et des lingots à des investisseurs privés dans un système monétaire basé sur l’argent papier) et impose une plus grande discipline fiscale.
Le régime du standard or classique aux États-Unis entre 1879 et 1914, malgré la fragilité du système bancaire, n’a pas fait pire en termes de stabilité cyclique, de chômage ou de croissance réelle.
Des politiques monétaires restrictives inutiles
Le standard or classique, qui n’a quasiment pas généré d’inflation sur de longues périodes, ce n’est pas un accident. Ce fut le résultat systémique de la croissance lente du stock d’or monétaire. Hugh Rockoff a mis en évidence qu’entre 1839 et 1929, la production d’or annuelle fut en moyenne de 1,07 à 3,79% du stock d’or existant, avec une exception durant la décennie 1849-1859 (6,39% de croissance après la découverte de filons en Californie et en Australie).
De plus, en cas de demande accrue pour l’or (par exemple si un grand pays rejoint le standard or international), en augmentant le pouvoir d’achat de l’or on stimule sa production, ce qui stabilise à nouveau le pouvoir d’achat du métal jaune sur le long terme.
Un exemple récent de critique historique pauvrement étayée est fourni par les auteurs Stephen Cecchetti et Kermit Schoenholtz. Ils pensent que le standard or a déterminé la croissance de la masse monétaire et de l’inflation aux États-Unis jusqu’en 1933. Ils ont donc ainsi attribué au standard or les taux d’inflation supérieurs à 20% que l’on a connus durant la Première Guerre mondiale, surtout en 1917, ainsi qu’une déflation de plus de 10% quelques années plus tard, en 1921.
Ces taux ont en fait été produits par les politiques de la FED, qui commença ses opérations en 1914. Le standard or classique a pris fin pendant la Grande Guerre, alors qu’il était abandonné par tous les belligérants européens, si bien qu’il n’a pas contraint la FED durant ces années.
Cecchetti et Schoenholtz ont donc tort lorsqu’ils affirment que le standard or a produit une grande volatilité de l’inflation (tout en mentionnant, sans insister, que l’inflation moyenne était bien plus basse avec le standard or, tandis que la croissance réelle était légèrement supérieure). Ils blâment également à tort le standard or, au lieu de pointer du doigt les politiques monétaires de la FED ou encore les règles en vigueur qui étaient responsables de la faiblesse du système bancaire de l’époque, pour les paniques bancaires de 1930, 1931 et 1933.
Les études du bilan de la FED et de ses activités durant les années 30 ont montré qu’elle possédait de grandes quantités d’or (Bordo, Choudhri et Schwartz, 1999 ; Hsieh et Romer, 2006, Timberlake 2008). Les politiques monétaires restrictives qu’elle adopta ne furent donc pas forcées par une pénurie d’or.
Opinion d’expert
Il y a bien sûr des historiens économiques sérieux qui ont fait des recherches sur les performances du standard or classique et qui le critiquent quand même. Ils présentent deux arguments principaux : tout d’abord, ils associent eux aussi le standard or avec la même période d’entre-deux-guerres pour attribuer à tort le chaos de cette période aux restes du standard or, au lieu de les remettre sur le compte des interférences des banques centrales sur ce mécanisme.
Pour réfuter cet argument, Timberlake a pertinemment demandé comment le standard or (et non les banques centrales qui essayaient de le gérer) a pu déstabiliser l’économie mondiale durant l’entre-deux-guerres alors que ce même système parvint à maintenir la stabilité avant la Première Guerre, lorsque les banques centrales intervenaient moins, ou n’existaient pas comme aux États-Unis ? (…)
Pour les experts, des politiques déterminées par leurs soins ne peuvent être que plus efficaces qu’un système qui s’autorégule. (…) Récemment, Alan Greenspan a affirmé que répliquer le standard or fut en fait sa politique en tant que président de la FED. Les experts pensent sincèrement pouvoir faire mieux, grâce à leur savoir. Pourtant, leurs interventions peuvent empirer les choses. (…) Par exemple lorsqu’ils utilisent un modèle erroné (à ce titre, il suffit de voir combien de décennies la courbe de Phillips a régné), ou qu’elles poursuivent des objectifs qui ne sont pas dans l’intérêt du peuple.
Article de Larry White, publié le 3 juin 2017 sur alt-m.org