Par Charles Gave dont la pensée est toujours salutaire.
Il y a deux semaines, dans la chronique « Lettre ouverte à notre nouveau Président », j’avais essayé de montrer que si le poids de l’État dans l’économie augmentait, alors la croissance économique baissait de façon structurelle.
Dans le papier de cette semaine, je vais m’attacher à prouver (une fois encore) que si les taux d’intérêts sont anormalement bas, alors la croissance économique se met à baisser de façon tout aussi structurelle et qu’il ne peut pas en être autrement. Je ferai cette démonstration en analysant l’économie américaine, mais cela est vrai pour toutes les économies.
Commençons par une définition : je considère que les taux d’intérêts sont certainement anormalement bas si les taux d’intérêts sur les placements sans risques (bons du Trésor à trois mois) ont des rendements négatifs en termes réels. Je m’explique. Si les taux d’intérêts sont à 3 % et l’inflation à 4 %, celui qui aurait épargné 100 se retrouvera avec un pouvoir d’achat d’environ 99 après une année, ce qui veut dire qu’il se sera appauvri. La banque centrale aura donc procédé à ce que Keynes appelait de tous ses vœux, c’est-à-dire à « l’euthanasie du rentier », car pour Keynes empêcher les gens d’épargner était LA façon de faire croître le niveau de vie. Dans sa « Grande Théorie », les récessions sont en effet créées par l’excès d’épargne. Pour les empêcher, il faut donc simplement ne pas rémunérer les épargnants, voire les spolier.
Dans le graphique suivant, ces périodes «Keynésiennes» de taux d’intérêts réels négatifs sont hachurées en vert.
La ligne en trait rouge représente la hausse du PIB par habitant aux USA sur les 10 années précédentes. Quand la ligne rouge est à 2 % sur l’échelle de gauche, cela veut dire que le PIB US par tête est monté de 2 % par an sur la décennie précédente, ce qui est tout à fait satisfaisant et correspond plus ou moins à la tendance historique qui a prévalu de 1958 à 2005.
La thèse que je vais soutenir est que les taux d’intérêts trop bas entraînent automatiquement un écroulement de la croissance et donc sont l’une des causes des ralentissements structurels, l’autre étant bien sûr une croissance incontrôlée des dépenses étatiques.
Pour prouver le lien de causalité, il suffit de constater que sur le graphique, j’ai avancé de deux ans les périodes de taux d’intérêts bas, ce qui veut dire que si les taux d’intérêts sont anormalement bas, deux ans plus tard la croissance commence à ralentir.
Je précise ce point car la totalité des économistes pensent que les taux bas sont une conséquence de la faible croissance alors même qu’ils en sont la cause.
Comme le lecteur peut le voir en regardant la relation aux États-Unis, nous avons eu trois périodes de taux réels très bas : 1957 à 1959, 1970 à 1980 et 2002 à aujourd’hui et ces trois périodes ont été suivies à chaque fois deux ans plus tard par un véritable effondrement de la croissance structurelle du PIB par habitant.
Et cela est parfaitement logique.
Commençons par une évidence quasiment « philosophique ».
Le taux d’intérêt est LE prix qui permet à la demande d’épargne d’être égale à l’offre d’épargne, un peu comme il existe un prix du blé qui permet à l’offre et à la demande d’être à l’équilibre pour cette matière première. Si le gouvernement, dans sa grande sagesse, décide de fixer le cours du blé à un niveau trop bas, la demande va être supérieure à l’offre et il faudra procéder à des rationnements autoritaires (files d’attente, un peu comme dans la Sécu aujourd’hui). Ceux qui sont proches du gouvernement (dont le rôle dans ce cas est de distribuer les tickets de rationnement) mangeront bien sûr de la brioche tandis que les opposants mourront de faim comme au Venezuela aujourd’hui. Comme le disait l’un de mes professeurs il y a bien longtemps : « Toute société doit choisir à un moment ou à un autre entre la main invisible d’Adam Smith ou le coup de pied dans le derrière de Joseph Staline… »
Des taux d’intérêts « bas » favorisent donc en réalité ceux qui sont « proches » du gouvernement et de la banque centrale, telles les banques d’affaires, qui ont un accès quasiment illimité à l’argent « subventionné », ce qui défavorise bien sur les entrepreneurs qui eux n’ont pas les connections politiques nécessaires.
Pour faire simple, les taux bas favorisent donc la spéculation et défavorisent l’investissement.
Donnons un exemple chiffré.
Si le taux d’intérêt est à son niveau d’équilibre, c’est-à-dire là où la demande d’épargne = l’offre d’épargne, tous ceux qui ont une rentabilité inférieure à 5 % ne peuvent pas emprunter. N’empruntent que ceux qui ont une espérance de gain supérieure à 5 %, soit grosso modo les entrepreneurs qui sont dans des secteurs de croissance, et tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Si la banque centrale, qui bien sûr sait mieux que le marché là où les taux devraient être, met les taux à 2 % que va-t-il se passer ?
Dans le système économique, il y a de nombreuses affaires qui rapportent 3 % ou 4 %.
Les Goldman Sachs de ce monde, proches (ô combien !) de la banque centrale, vont immédiatement emprunter à 2 % pour faire une OPA sur ces valeurs, ce qui va forcer ces affaires à emprunter pour racheter leurs propres titres à la place d’investir dans l’espoir de faire monter leurs cours à un niveau où le risque d’OPA hostile disparaît.
La VALEUR de ces sociétés va donc monter en bourse (bull market), mais la quantité de capital productif dans l’économie ne va pas monter puisque plus personne n’investit et que tout le monde se met à faire de l’ingénierie financière. Bien entendu, le niveau de la dette va monter dans des proportions considérables, ce qui rendra le système très fragile en cas de récession (voir la récession de 2009).
Comme le stock de capital ne monte plus, la productivité du travail se met à baisser et du coup, les salaires stagnent. Et donc, les riches deviennent plus riches puisque ce sont eux qui possèdent les actifs qui montent et les pauvres qui n’ont que leur force de travail à offrir, voient leur niveau de vie baisser, c’est-à-dire qu’ils deviennent plus pauvres. Et quand les riches deviennent plus riches et les pauvres plus pauvres, en général les pauvres se mettent à voter pour ceux que les riches appellent des démagogues. Nous y sommes en plein.
Mais comme le PIB ce n’est que le nombre de travailleurs multiplié par leur productivité, la croissance du PIB se met à ralentir de façon structurelle, ce qui, à terme, rend le remboursement de la dette de plus en plus difficile.
Conclusion
Depuis vingt ans, la politique économique menée dans nombre des pays du monde suit les principes du keynésianisme : pour éviter les récessions, la dépense publique ne cesse de monter tandis que les taux d’intérêts sont maintenus à un niveau artificiellement bas, ce qui garantit une mauvaise allocation du capital et qui permet en plus de financer les déficits de l’État à bon compte. Ces deux politiques amènent donc automatiquement à une baisse structurelle de la croissance. Il ne peut en être autrement.
L’Union soviétique, qui a pratiqué ces deux politiques pendant toute son existence, a échoué lamentablement « in fine ». Les technocrates qui nous gouvernent ont tiré de cette expérience non pas les leçons qu’il aurait fallu en tirer mais la certitude que les Russes avaient échoué parce qu’ils avaient de mauvais technocrates. Et eux, ils sont « compétents », ce qui veut dire qu’ils ont toujours été premiers de classe.
Les mêmes causes cependant produisent toujours les mêmes effets.
L’issue finale sera la même.