Je suis récemment allé voir Blade Runner 2049 histoire de me faire
une idée de la vision du futur que nous sert aujourd’hui l’usine à rêves d’Hollywood.
Le film s’est trouvé être une excellente illustration de notre
surinvestissement dans une technologie aux rendements décroissants qui nous
mène tout droit vers la ruine, et du techno-narcissisme qui afflige la classe
supposée pensante de la société, qui ne comprend absolument pas à quoi est
lié cet effondrement. Plus Hollywood met en scène de magies informatiques,
moins ses histoires deviennent cohérentes. Hollywood s’effondre, et ce n’est
pas qu’à cause des singeries d’Harvey Weinstein.
Les films de ce genre
concernent toujours plus le moment présent que l’avenir, et Blade Runner 2049 est
truffé de rétro-anachronismes – d’objets qui nous entourent et n’existeront
certainement plus dans le futur. Le maître-mot de nombreuses dystopies
futures des temps modernes est la présence supposée d’automobiles.
Le film original de Mad Max n’était pas
seulement qu’une longue course poursuite – bien que tout ce dont se
souviennent ceux qui l’ont vu semble être son paysage désertique et la
combinaison en cuir de Mel Gibson. Au fil et à mesure que les séries se sont
succédées, les véhicules comme les courses poursuites sont devenus de plus en
plus grandioses, jusqu’à ce que dans la plus récente édition, le film ne
concerne plus que Charlize Theron au volant d’un camion. Je me suis toujours
demandé où Mel achetait ses nouveaux filtres et durites de radiateurs, et où
il faisait le plein. Dans un monde aussi brisé, il n’existerait pas de chaîne
de production et d’approvisionnement.
Blade Runner 2049 commence donc par une scène montrant
le détective, joué par Ryan Gosling, dans une voiture volante, filant
au-dessus d’un paysage ressemblant plus à la carte mère d’un ordinateur qu’à
un paysage terrestre. Au fil et à mesure de l’histoire, il rentre et sort de
sa voiture volante plus souvent qu’une maman de San Fernando pendant ses
rondes quotidiennes pour ses enfants. Voilà qui nous envoie un message bien
plus significatif que les captures monotones de la production, qui veut que
nous ne puissions imaginer aucun avenir – ou aucune société humaine – qui ne
soit pas centré sur les voitures.
Mais n’est-ce pas exactement
là la raison pour laquelle nous avons investi tant d’espoir (et tant de
subventions publiques) dans les activités d’Elon Musk ? Après tout, le
Grand rêve de notre culture d’idées chimériques est d’être à jamais capables
de conduire jusqu’à l’hypermarché le plus proche. C’est la fantaisie ultime
de notre société superficielle de la consommation. Ceux-là même qui nous
vendent ce mode de vie, et qui en tirent profit, l’espèrent tout autant que
les schnocks sous-payés et suralimentés qui peuplent les rayons de produits
en réduction. Dans les sombres recoins de notre mythologie postmoderne, il
n’existe pas d’avenir, pas de vie humaine, sans les voitures.
Ce qui nous mène au faux
raisonnement très commun au genre de la science-fiction : la technologie
peut l’emporter sur la nature et continuer d’exister. C’est là que notre
techno-narcissisme se fait le plus sentir. Les films Blade Runner se passent
dans la banlieue de Los Angeles, peuplée de mégastructures qui vibrent de
publicités holographiques. D’où vient l’énergie qui sert à construire tout
cela ? Supposément de quelque chose que M. Musk est en train d’inventer
et dont nous n’avons pas encore entendu parler. Très franchement, je ne crois
pas en un tel miracle.
Les citoyens de cette Los
Angeles de 2049 sont une cohue de charognards en guenilles qui enchaînent les
bols de ramen sous une bruine sans fin. Il semblerait qu’ils n’aient rien à
faire d’utile. Je ne peux pas m’empêcher de me demander comment cette
économie hypothétique peut supporter une telle population de laissés pour
compte. Nous savons comment notre économie actuelle soutient les millions de
gens qui ne travaillent pas, et qui enchaînent les bols de ramen entre deux
visites au salon de tatouage : grâce à des subventions basées sur une
fraude comptable garantie par des réserves décroissantes de pétrole pouvant
être extraites du sol. Mais cela ne pourra pas continuer bien longtemps. Vous
savez pourquoi ? Parce que tout ce qui ne peut pas durer, ne dure pas.
S’il y a un point sur lequel Blade Runner 2049 ne se
trompe pas, c’est son emprunt rétro-anachronique au présent de notre culture
dénuée de joie de vivre. Le talent de cette vision du futur ressort particulièrement
de l’absence totale de talent dans la vie américaine postmoderne. Tout est
question de surfaces mécaniques, et plus rien n’a de substance.
Je suis sorti de la salle au
bout de deux heures. Pour moi, le film était trop morne, et trop intellectuellement
insultant. Mais je ne blâme pas Ryan Gosling. L’air sceptique qu’il arbore
tout au long du film est simplement parfait.