Le premier septembre 2017, le Nikkei Asian Review a publié un article
intitulé China sees new world order with oil
benchmark backed by gold, écrit par Damon Evans. Il nous explique en
introduction que « la Chine devrait bientôt lancer un contrat à terme
sur le pétrole, libellé en yuans et convertible en or, dans le cadre de ce
que les analystes perçoivent comme un évènement potentiellement transformateur
pour l’industrie ». Peu de temps après la publication de cet article,
son sujet a été largement repris par des analyses de sensation au travers de
la blogosphère. Mais ce que nous dit l’article du Nikkei n’a absolument aucun
sens. Permettez-moi de vous dire ce que j’en pense, et d’approfondir sur ce
que j’ai déjà
expliqué sur Daily Coin.
Toutes les rumeurs et analyses
relatives à l’or, au pétrole et au yuan qui se propagent désormais dans la
blogosphère sont basées sur l’article du Nikkei. Mais cet article ne fournit
aucune source officielle. L’histoire a été inventée par Damon Evans. Revenons
donc sur les déclarations faites dans son article.
Il est vrai que le Shanghai Futures Exchange (SHFE) – qui ne
doit pas être confondu avec le Shanghai Gold
Exchange (SGE) – a récemment lancé une succursale baptisée Shanghai International Energy Exchange (INE)
pour permettre aux entreprises étrangères de négocier un nouveau contrat à
terme sur l’or libellé en yuans, qui devrait être lancé un peu plus tard cette
année (symbole du produit : SC). Des informations concernant ce contrat
peuvent être obtenues ici.
Dans les sources officielles en revanche, aucune mention n’est faite de l’or.
Officiellement, ces contrats ne sont pas « convertibles en or ».
La seule connexion relativement
vague que nous puissions soulever est que l’INE « acceptera des devises
étrangères comme… marge commerciale ». Nous ne savons pas si cela inclut
l’or – qui n’est techniquement pas une devise étrangère. Quoi qu’il en soit,
même si l’or finit par être utilisé comme marge commerciale, cela ne signifie
pas que le contrat sera « garanti par l’or ».
Le titre de l’article publié par
le Nikkei stipule clairement que la Chine cherche à établir un nouvel ordre
mondial avec son nouveau contrat garanti par l’or. Dans ce contexte, le terme
« garanti » fait référence, aux yeux d’une majorité de lecteurs, à
une parité fixe. Par le passé, par exemple, nous avons eu une parité fixe
entre l’or et le dollar. Cela signifie que le dollar a été garanti par l’or
au travers du Trésor des Etats-Unis, et que des dollars pouvaient être
échangés contre de l’or à un prix fixe, et vice-versa. Pour ce qui est de l’article
du Nikkei, une parité fixe est sous-entendue entre le yuan, ou le pétrole (ce
n’est pas clair) et l’or. Mais comment la Chine pourrait-elle garantir quoi
que ce soit grâce à l’or ? La banque centrale de Chine défendrait-elle
un prix fixe de l’or en yuans ? Au travers de contrats à terme sur le
pétrole ? Impossible.
Très rapidement, l’article du
Nikkei a été transformé pour que finalement, les analystes commencent à
suggérer que l’or du SGE sera éventuellement utilisé pour garantir le yuan.
Le problème de cette théorie est que l’or des coffres du SGE n’appartient pas
au gouvernement chinois et n’est pas autorisé à être exporté hors du marché
domestique de la Chine (ce qui n’est pas très pratique pour les producteurs
de pétrole étrangers). Ces analystes ont suggéré que l’or présent dans les
coffres du SGEI puisse être utilisé. Mais cet or n’appartient pas non plus au
gouvernement chinois, et ne peut provenir que du marché international de l’or…
et être acheté en dollars.
Mais revenons-en à la logique
derrière la phrase « contrats à terme sur le pétrole libellés en yuans
et convertibles en or ». Les contrats à terme sont des accords entre
deux négociants quant au prix futur d’une marchandise (habituellement libellé
dans une devise, et dans le cas de l’INE, en yuans). Il ne peut pas y avoir
de troisième marchandise ou devise impliquée dans ces contrats à terme. Il
est impossible qu’à la date de livraison physique d’un contrat – quand du
pétrole est physiquement échangé contre des yuans – l’un des deux négociants
dise « vous savez quoi, je ne veux pas de votre pétrole, je préfèrerais
de l’or ». Inutile de dire que le gouvernement chinois ne se mêlera pas
du négoce de contrats à terme. La banque centrale de Chine n’interviendra pas
quand le propriétaire d’un contrat à terme décidera de demander de l’or. Le
nouveau contrat à terme sur le pétrole libellé en yuans n’aura, une fois de plus,
rien à voir avec l’or.
Ce qui est toutefois possible, c’est
que lorsqu’une position à découvert sur SC livrera du pétrole en échange de
yuans, elle sera tout à fait en mesure d’acheter de l’or avec le fruit de sa
vente. Il est possible de le faire directement sur le SGEI, sur
lequel sont cotés trois produits physiques libellés en yuans.
Souvenez-vous toutefois qu’il n’est
aujourd’hui interdit à aucun producteur de pétrole d’acheter de l’or (ou quoi
que ce soit d’autre) en dollars. C’est là la fonction même de la monnaie. La
monnaie est utilisée depuis toujours pour mener à bien ce que l’on appelle
les échanges indirects. Des
biens sont vendus contre de la monnaie, et grâce à cette monnaie, d’autres
biens peuvent être achetés. L’or peut être acheté, depuis toujours, avec la
monnaie obtenue de la vente de pétrole. Et les contrats à terme sur le
pétrole n’y changeront rien. Selon l’article du Nikkei, un analyste aurait
dit ceci :
Il s’agit d’un transfert de
leurs actifs depuis l’or noir vers le métal jaune. C’est une décision
stratégique que d’échanger leur pétrole contre de l’or, plutôt que contre des
obligations américaines, qui peuvent être imprimées à partir de rien.
Mais les producteurs de pétrole sont
libres d’acheter de l’or avec leur yuans ou leurs dollars, avec ou sans ces
nouveaux contrats à terme. Les contrats de l’INE n’annuleront pas l’obligation
pour le Koweït, par exemple, d’investir dans les obligations américaines.
Rien ne changera donc après le lancement de ces contrats à terme.
Souvenez-vous également que les
contrats à terme ne débouchent que rarement sur des livraisons physiques. Les
contrats à terme sont utilisés pour les activités de couverture et de
spéculation. En général, les marchandises sont physiquement négociées sur le
marché au comptant. Du pétrole contre des dollars, du chocolat contre des
francs suisses, du fromage hollandais contre des euros, et ainsi de suite.
Les contrats à terme ne sont pas nécessaires à l’échange de pétrole contre
des yuans. Nikkei nous écrit ceci :
La décision de la Chine
permettra aux exportateurs tels que la Russie et l’Iran de contourner les
sanctions imposées par les Etats-Unis en négociant en yuans.
Mais à l’heure actuelle, le
Venezuela, la Russie et l’Iran sont déjà en mesure de vendre du pétrole à la
Chine en échange de yuans. De mon humble avis, les contrats à terme de l’INE
ne seront donc pas l’élément perturbateur dont tout le monde parle.
Autre chose à soulever, voici ce
que dit l’une des réponses à l’article du Nikkei :
La Chine vient d’annoncer que
tout exportateur de pétrole qui accepte des yuans contre son pétrole pourra
convertir ce pétrole en or sur le Shanghai Gold Exchange et couvrir la valeur
de cet or sur le Shanghai Futures Exchange.
Voici ce que j’ai à en dire :
- Comme nous l’avons
vu plus haut, la Chine n’a annoncé rien de plus qu’un contrat à terme
sur le pétrole libellé en yuans. L’or n’est mentionné nulle part.
- Des yuans
peuvent techniquement être échangés contre de l’or sur le SGE, mais l’or
qui circule au sein du marché domestique chinois (le système du SGE) n’est
pas autorisé à être exporté. L’or du SGEI peut être exporté mais est
acheté sur le marché international et avec des dollars.
- Les
entreprises étrangères, comme les producteurs de pétrole, ne peuvent pas
couvrir leur or sur le Shanghai Futures Exchange. Le SHFE n’est pas
ouvert aux clients internationaux. Il n’existe qu’un produit au comptant
listé sur le SGE, qui est comparable à un contrat à terme, au travers
duquel les entreprises étrangères peuvent couvrir de l’or avec des
yuans. Mais pourquoi voudraient-elles en faire ainsi ? Elles n’en
tireraient qu’une exposition au prix du yuan. Pourquoi ne pas plutôt
acheter des obligations porteuses d’intérêts libellées en yuans ?
Ou directement de l’or, sans passer par une couverture ?
Avant la publication de l’article
du Nikkei en question, j’ai reçu un email de la part d’Evans. Il m’a demandé
si « la Chine associera une garantie en or aux nouveaux contrats sur le
pétrole ». Je lui ai répondu que non, et que je serai très surpris si
elle le faisait. Mais ma réponse n’a pas été sélectionnée pour son article
final, qui ne cite que les analystes qui ont chanté la même chanson que lui.
Ce n’est selon moi pas le signe d’un journalisme digne de ce nom. Evans n’a
utilisé aucune source officielle, et n’a cité que les analystes qui ont
confirmé son idée.
En-dehors des inexactitudes
présentes dans l’article du Nikkei, ce qui en ressort pour moi est le fait qu’un
grand nombre de pays cherchent à échanger leur pétrole contre des yuans, et
que les nouveaux contrats de l’INE joueront un rôle important en permettant
aux producteurs et aux utilisateurs de se couvrir directement en yuans. Ces
contrats soutiendront donc le négoce de pétrole en yuans. C’est là ce sur
quoi aurait dû se concentrer l’article.
Bien que rien ne se soit pour le
moment passé, il est évident que l’Asie cherche à se débarrasser du
pétrodollar. Il sera intéressant de voir comment cette initiative se
développera.
*Il n’en est pas moins que la
majorité des échanges internationaux sont conduits en dollars, et qu’une
majeure partie des réserves de devises étrangères prennent la forme de
dollars. La part des paiements en yuans, par rapport à toutes les autres
devises, selon le fournisseur de paiements SWIFT, a
été de moins de 2% en juin, soit un peu moins qu’il y a deux ans.
Et même la Chine a acheté plus
de 107 milliards de dollars d’obligations américaines depuis novembre
2016.