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PIB : Produit Intérieur Bidon

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Published : February 05th, 2018
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La dernière trouvaille de l’Insee pour gonfler le PIB de la France ravive les critiques sur l’imperfection de cet indicateur économique. Mais cela démontre aussi qu’il s’agit surtout d’un outil politique qu’on peut manipuler au gré des nécessités.

Le trafic de drogues dans le PIB

Fin janvier 2018, il est proposé d’ajouter les revenus du trafic de drogues dans le calcul du PIB. Rien de moins.

L’annonce est stupéfiante (c’est le cas de le dire) et nombreux sont ceux qui s’insurgent contre cette décision.

D’abord parce qu’à défaut de légaliser la vente de produits stupéfiants, cette mesure tendrait en tout cas à la rendre plus légitime. Inadmissible. Et peu importe si d’autres pays de l’Union Européenne l’ont fait avant nous, cette excuse a d’autant plus de mal à passer auprès d’une population qui vit de moins en moins bien l’hégémonie des règles communautaires qui viendraient primer sur les règles nationales. Voire sur l’identité nationale.

Et tant mieux si les Néerlandais considèrent que la drogue est un produit marchand comme les autres, entrant donc de plein droit dans la catégorie des biens et services permettant le calcul du PIB des Pays-Bas, ce n’est pas le cas en France. Point.

Un “marché” impossible à comptabiliser

Un autre problème avec cette décision c’est que le commerce illicite des stupéfiants est particulièrement difficile à estimer. Les travaux de quelques organismes spécialisés l’évaluent à un peu plus de 2 milliards d’euros en France tandis que d’autres l’imaginent bien plus élevé, jusqu’à 220 milliards d’euros par exemple pour l’Institut économique Molinari.

Bref, cette activité étant par nature occulte, donc impossible à comptabiliser, il est plus que hasardeux d’envisager de l’intégrer à un indicateur que l’on présente comme fiable.

Le PIB peut-il comprendre des activité illégales ?

Enfin, le trafic de drogue est illégal. Si, si. Et il est donc assez curieux d’imaginer pouvoir le recenser comme une “richesse” de la France. Pourquoi pas la prostitution, tant qu’on y est ?

Eh bien justement, l’idée avait fait son chemin, mais les sages de l’Insee ont jugé au dernier moment que ce ne serait pas pertinent car il n’était pas certain que tous les travailleurs du sexe aient pu s’engager dans cette activité de manière consentante. Ouf, nous voilà rassurés. Mais, a contrario, cela veut-il dire que tous les consommateurs de drogue qui dealent pour payer leur propre dose sont, quant à eux, parfaitement consentants ?

Pourquoi alors ne pas ajouter les transactions criminelles où tout le monde est consentant ? Les jeux clandestins ? Ou mieux encore, le travail au noir ?

Une autre manière de gonfler le PIB de 10,8%

Ah mais oui, voilà qui serait autrement plus pertinent ! Car, hormis la relative légèreté avec laquelle les personnes concernées traitent avec l’administration, leur activité est parfaitement respectable. Fiscalement discutable, certes, mais moralement et même souvent professionnellement irréprochable ! Pensez donc ! De la bonne construction française, de l’hôtellerie bien de chez nous, de l’artisanat tout ce qu’il y a de plus local. Pourquoi tout cela ne pourrait-il pas intégrer le PIB ? Pour de simples raisons de TVA ou de déclarations à l’Urssaf ? Allons donc, l’argument ne saurait être valable car, sur ce point, il est fort probable que les trafiquants de drogues ne se plient guère à ce genre d’obligations, eux non plus…

D’autant que les chiffres du travail au noir sont bien mieux connus et que la Commission européenne ainsi que le Conseil économique, social et environnemental (CESE) estiment, cette fois avec raison, que cette économie souterraine équivaut à 10,8% de l’activité française. Soit la bagatelle de 240 milliards d’euros quand même. Bien loin des quelque 290 millions d’euros annuels qui font l’objet de redressements et qui sont, dès lors, ajoutés consciencieusement au PIB.

Le PIB : un indicateur contesté

Plus sérieusement, on peut légitimement s’interroger, non seulement sur cette volonté d’intégrer le trafic de drogues dans le PIB français, mais aussi sur la pertinence du PIB lui-même. Car, contrairement à ce qu’il semble désigner, cet indicateur ne mesure pas exactement ni totalement la richesse produite par le pays.

D’abord parce qu’il s’appuie sur une simple détermination comptable basée principalement sur les résultats des agents économiques intervenant dans le processus marchand (l’occasion de revenir brièvement sur la difficulté de prendre en compte des activités illicites qui, par définition, ne sont pas déclarées). Ensuite, et c’est le corollaire de ce qui précède, un grand nombre d’activités non marchandes mais parfaitement réelles, légales et vérifiables ne sont pas comptabilisées alors qu’elles contribuent de manière significative à la richesse produite dans le pays : l’art, les actions associatives et bénévoles, la production domestique, l’industrie du logiciel libre, etc.

Enfin, le PIB tient compte d’activités qui détruisent de la production, comme les catastrophes industrielles ou naturelles notamment, ou encore les répercussions d’actes terroristes, mais “omet” de comptabiliser par exemple le coût environnemental de la production proprement dite. Soit on déduit tous les coûts, soit on n’en déduit aucun, mais on peut difficilement écarter certaines dépenses qui pourraient, par exemple, nuire à la vision d’une gestion politiquement correcte et responsable du pays.

Le PIB comme outil politique de cohésion européenne

Mais alors pourquoi vouloir ajouter des éléments contestables à un indicateur dont la légitimité est déjà particulièrement sujette à caution ? Peut-être parce que ce même indicateur sert de référence à la manière dont l’État gère ses comptes publics, et en particulier son déficit lorsqu’il en a un. Ce qui est le cas d’à peu près tous les pays développés dans le monde.

Plus spécifiquement, l’une des règles les plus emblématiques (et les plus anciennes) de l’Union Européenne concerne l’interdiction faite à tout État de l’UE de laisser son déficit public excéder 3% de son PIB.

Pourquoi 3% ? On n’en sait rien, ou plutôt si, on sait que ce chiffre a été choisi de manière assez arbitraire par un conseiller du président François Mitterrand, sur un coin de table un soir de juin 1981, sous prétexte que “Mitterrand voulait qu’on lui fournisse rapidement une règle facile, qui sonne économiste et puisse être opposée aux ministres qui défilaient dans son bureau pour lui réclamer de l’argent“. Dès lors, la règle a été intégrée au processus naissant de l’Union Européenne dont la France était le principal instigateur avec l’Allemagne.

La tentation de maquiller des indicateurs devenus inadaptés ?

Sauf qu’en 1981, ces 3% semblaient relativement confortables et “difficiles” à atteindre. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, et on ne compte plus les rappels à l’ordre des institutions européennes aux différents États de l’Union pour s’y conformer.

Y compris à la France qui a toutes les peines du monde à réduire le train de vie de son appareil d’État. Alors à défaut de pouvoir rogner davantage sur les milliards qui abreuvent une multitude de conseils, d’assemblées, de collectivités et autres commissions, pourquoi ne pas tout simplement augmenter l’indicateur de référence ? Le procédé serait grossier, et on a du mal à croire que nos autorités, élues ou pas, puissent envisager un subterfuge aussi voyant. Cependant, ce ne serait pas la première fois qu’on changerait de thermomètre quand la température affichée ne convient plus…

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