Au fin fond des cartons républicains, à des années lumières du libéralisme, veille celui que le gouvernement appelle lorsqu’il n’est plus capable de trouver une solution à ses problèmes, quand il ne reste plus aucun espoir : le gros protectionnisme des familles. Vendredi dernier, Édouard Philippe a, une fois de plus, poussé le gros bouton rouge de la mobilisation pour en ajouter une bonne couche.
En juin 2012, Arnaud Montebourg, alors ministre d’un portefeuille maintenant disparu, celui du Dressement Reproductif, faisait une annonce tonitruante en déclarant vouloir instaurer une jolie dose de protectionnisme pour, enfin, « défendre notre outil industriel ». Il prenait alors avec un humour involontaire (et caractéristique des cuistres) l’exemple d’Obama protégeant les Américains des importations chinoises de panneaux solaires, au moment où Solyndra, fabrique américaine de panneaux solaires, explosait en faillite en laissant une ardoise d’un demi-milliard de dollars aux contribuables américains.
Pour le brave Arnaud, depuis rangé des bicyclettes politiques — et heureusement pour nous — ce protectionnisme semblait la bonne mesure à prendre pour sauver le tissus industriel en déliquescence dans le pays. Mesure facile en ce qu’elle passait facilement sur le plan politique et évitait soigneusement de remettre en cause les invraisemblables difficultés administratives et économiques que l’État impose aux entreprises, cette idée géniale a depuis amplement prouvé sa totale inefficacité tant pour protéger le fameux tissus que nos intérêts économiques qui continuent de se déliter au gré des agitations brouillonnes des gouvernements qui se sont succédé depuis.
Mais, comme d’habitude, cette fois-ci, c’est différent : Édouard sait qu’il faudra être plus malin qu’Arnaud, que son gouvernement devra faire preuve de plus d’intelligence (qu’on rebaptisera « économique » pour camoufler l’indigence des raisonnements) et qu’au final, tout se passera comme prévu.
Aiguillonné par la montée en puissance de Nestlé au capital de L’Oréal, le chef du gouvernement s’est bien vite empressé de rappeler qu’on ne pouvait pas acheter de grandes entreprises françaises comme ça, pouf, en mettant de l’argent sur la table et en rachetant les actions librement cotées au marché public. Que nenni : on laisse faire ça, et rapidement, on se retrouve avec un marché libre et un État qui ne peut plus tremper ses doigts dans tous les pots de confiture fiscaux ! Vous n’y pensez pas !
Et c’est donc en toute logique que Bruno Le Maire, cette excuse postée comme ministre de l’Économie, a annoncé un nouvel élargissement de la liste des entreprises protégées par l’État à celles travaillant dans le domaine de l’intelligence artificielle et de la protection des données personnelles. Pour faire bonne mesure, Édouard Philippe a aussi souhaité l’étendre aux nanotechnologies, au spatial et aux infrastructures financières. Comme on le voit, L’Oréal, spécialisé dans les cosmétiques et les produits de beauté, rentre immédiatement dans ces cadres et zip zoup emballez c’est pesé.
Rassurez-vous. Les mesures envisagées ne se contentent pas d’interdire certains domaines à l’investissement étranger ; il y a aussi, pour ne pas perdre l’habitude bien française d’enfouir un peut tout ce qui bouge dans des tonnes de paperasse et de cerfas dodus, un nouveau train de sanctions contre les investisseurs qui ne respecteraient pas les cahiers des charges d’une prise de participation dans une entreprise française, allant de la préservation de l’emploi en passant par le maintien du siège social ou des capacités industrielles en France.
Enfin et parce que tout ceci ne serait pas drôle s’il n’était pas question de claquer d’immenses piscines olympiques de pognon du contribuable, notre gouvernement, soudainement plein de vitamines lorsqu’il s’agit d’empêcher, interdire, sanctionner et claquer des thunes, envisage très sérieusement de renforcer la possibilité pour l’État de prendre des petites participations (5% par exemple) dans des entreprises stratégiques, afin de bloquer un retrait de cote dans le cadre d’une OPA. Et paf.
Ah, que ce monde est beau et simple, dans la vision colorée (comme le serait un album pour enfant) qu’en ont nos dirigeants ! Pour empêcher les Méchanzaméricains et les fourbes Chinois de venir manger nos entreprises, il suffit de le leur interdire. Pour que nos entreprises deviennent des fleurons internationaux, il n’y a qu’à décréter tel ou tel domaine comme stratégique, lui adjoindre toute « l’aide » de BPI France et voilà le travail : on va produire de la licorne comme d’autres des Nikes dans un atelier plein d’enfants cambodgiens !
La réalité est évidemment plus contrastée et la rencontre de cette dernière avec les espoirs et les fables que se raconte le gouvernement risque d’être, encore une fois, quelque peu abrasive.
Certes, dans le contexte actuel d’un marché de toute façon fort biaisé par les interventions étatiques, vouloir faire comme la Chine ou les États-Unis pourrait presque passer pour un acte intelligent et mesuré : après tout, il semblerait peu pragmatique de se laisser faire, de laisser ses entreprises se faire racheter par les uns ou les autres, pif, paf, pouf, et se voir ainsi dépossédé de belles rentrées fiscales juteuses, de créations d’emplois en nombres dodus, etc.
Malheureusement, à cette idée de base aussi simpliste qu’irréaliste, il faut rappeler que le « track record » de l’État français en matière de protection réelle des biens, des services, des personnes et des entreprises sur son sol est particulièrement mauvais voire se dégrade à grande vitesse pour s’approcher tous les jours d’un niveau abyssal.
En somme, parier qu’il sera capable d’avoir un effet positif par les seules exhortations et les petites lois fagotées par nos minustres, c’est prendre un pari qui s’est révélé perdant 9 fois sur 10 sur les 50 dernières années au moins. Soit, il n’est pas trop tard pour bien faire mais à voir la brochette de clowns à roulettes qui anime l’actuel gouvernement, on se demande si c’est vraiment la bonne équipe qui va apporter un changement salvateur.
D’autre part, et c’est à mon avis plus important encore, sur le principe même cette idée générale de protectionnisme ciblé est de toute façon mauvaise. Avec cette dernière, on se contente de biaiser le marché et on y introduit des inefficiences évidentes : une entreprise « stratégique » qui a besoin de recapitalisation ne pourra donc pas faire appel à des capitaux étrangers, et devra chercher au mieux dans les capitaux français – qui ne sont pas là – ou au pire, dans les capitaux étatiques ce qui revient à nationaliser tout ou partie de l’entreprise. Excellentes perspectives en vérité.
Mais surtout, on empêche au final l’émergence de concurrents solides qui peuvent rivaliser et gagner des parts sur un marché asymétrique sans bénéficier de protection de l’État. On fabrique des « champions » nationaux qui ne le sont que parce qu’ils sont dopés aux subventions et aux protections artificielles et qui seront proprement mis en charpie lorsqu’il s’agira d’affronter plus gros et plus solides qu’eux.
C’est en fait le même raisonnement que les droits de douane : on croit interdire ou renchérir les produits étrangers alors qu’en réalité, on favorise des produits locaux certes, mais surtout plus coûteux à produire qui représentent une perte nette de richesse au lieu d’une création (les Français ne pouvant alors bénéficier de produits certes étrangers mais moins chers et devant donc consacrer une part de leur budget plus importante que celle dont ils pourraient se contenter si ces droits de douanes n’étaient pas en application).
Enfin, ce protectionnisme bricolé par nos ministres ne sera jamais à même de réellement protéger les entreprises françaises tant les nouvelles technologies ne sont plus « localisables », comme jadis les productions industrielles. Le savoir-faire dans l’intelligence artificielle, les nanotechs, la biologie, l’informatique, le big data ou tant d’autres constitue la vraie richesse de ces entreprises et n’est plus dépendante d’un terroir ou d’une géographie particulière.
Il n’est qu’à voir la création de la Crypto Valley en Suisse pour comprendre que c’est en fabriquant un terreau fiscal, administratif, politique et économique favorable qu’on attire les capitaux et les entreprises et non, comme semblent le croire nos ministres, en érigeant des barrières pour éviter que ces capitaux partent ailleurs.
Le protectionnisme n’a jamais marché, qu’il fut pour des produits, des services, ou, maintenant, pour des capitalisations d’entreprise, et a fortiori quand le pays n’a pas la capacité réelle de forcer le reste du monde à accepter ses règles (ce que peut faire les US via son armée et la Chine via sa population).
Il faut se rendre à l’évidence : Édouard, comme Arnaud jadis, nous joue du flutiau.