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Un humoriste, qui ne manquait pas d’esprit d’observation,
a dit un jour : « vivre en couple, c’est passer son temps
à résoudre des problèmes que l’on n’aurait
jamais eu tout seul… ». Cette phrase m’a
inspiré une pensée sur la Banque Centrale par des chemins de
traverse dont le cerveau détient seul le secret.
La fonction principale de la Banque Centrale est d’émettre de la
monnaie parce que les agents de l’économie ont besoin de monnaie
pour divers usages, notamment pour liquider leurs transactions.
Généralement, quand des agents expriment des besoins, d’autres
agents donnent spontanément naissance à une offre et leur
survie est conditionnée à leur capacité à fournir
un bien ou un service correspondant bien aux attentes des utilisateurs.
C’est pourquoi il a existé un marché des monnaies
privées. Et c’est aussi pourquoi la monnaie existe depuis que le
commerce entre les hommes existent, et notamment bien avant l’invention
des Banques Centrales qui s’en sont attribuées le monopole de
l’émission. Avec l’apparition du concept de banque
centrale au XIX° siècle, le système bancaire s’est
trouvé hiérarchisé dans le cadre d’une offre
monétaire monopolisée et centralisée. Plus
précisément, la banque centrale a le monopole de
l’émission des « billets de banques » (la
liquidité qui représente 10 % de M1) sur la base de laquelle le
système bancaire et financier va générer sa propre masse
de moyens de paiements (M2 et M3).
Parce qu’elle a la responsabilité en dernière instance de
contrôler la masse monétaire, la banque centrale doit tout
mettre en œuvre pour ne pas mettre en circulation une monnaie
dépréciée par l’inflation. Elle se retrouve donc
à lutter contre un problème majeur. Pourtant ce même
problème n’a pas de sens en l’absence de Banque Centrale.
En effet, si l’on veut que les acteurs aient confiance en la monnaie,
celui qui offre la monnaie doit mettre en circulation des unités
monétaires de qualité. Or cette qualité est en relation
avec la quantité de monnaie dans le sens où tout
dérapage de la masse monétaire dégénère en
dérapage du niveau général des prix.
Nous avons vu que la création des Banques centrales s’est
traduite par une centralisation et une monopolisation de l’offre de
monnaie. Or les économistes savent bien que les monopoles ont tendance
à s’écarter de la quantité (et de la
qualité) demandée par des agents économiques rationnels.
Ceci s’explique essentiellement par le fait que les situations de
monopole détruisent l’information qui permet à la
rationalité des acteurs économiques d’opérer. En
monopolisant l’offre de monnaie, la Banque centrale a
généré un problème qui n’existait pas avant
elle et qui peut se résumer ainsi : quelle est la quantité
optimale de monnaie qu’il faut injecter dans l’économie ?
C’est la question centrale de la politique monétaire mais qui ne
se pose pas dès lors que n’existe pas de Banque Centrale.
D’une
manière générale, c’est le problème que
doit affronter toute économie administrée mais qui
disparaît dès qu’on laisse jouer les marchés,
c’est-à-dire que l’on sort du cadre imposé par l’économie
administrée. Imaginez qu’il existe un
ministère de l’automobile centralisant et monopolisant la
production des automobiles. Le ministre se trouve alors devant au moins trois
questions cruciales : quelle quantité d’automobiles faut-il
produire ? Et quelles gammes ? A quel prix faut-il les vendre ? Ce
n’est pas une mince affaire. Faut-il considérer que les familles
doivent avoir une ou plusieurs automobiles ? En fait, le problème est
insoluble s’il est posé directement au niveau
macroéconomique et ceux qui sont chargés de fixer les prix agricoles
dans le cadre de la politique agricole commune (PAC) en savent quelque chose.
Le mieux est de ne pas avoir de ministère de l’automobile et de
laisser chaque entreprise du secteur automobile résoudre ce
problème à son niveau. Croyez-vous que le secteur automobile
souffre ou que les automobilistes soient pénalisés du fait de
l’absence d’un ministère de l’automobile ? La
question d’une quantité globale d’automobile ne se pose
pas puisque personne ne peut déterminer cette quantité à
ce niveau. Il appartient à chaque entreprise de gérer à
cette question au niveau microéconomique. Si une entreprise produit
trop, elle accumulera des stocks invendus qui pèseront sur sa
rentabilité ; si elle ne produit pas assez, elle perdra des clients au
profit de ses concurrents. Ces problèmes de stocks,
d’excédents ou de pénuries, de non-adéquation
entre l’offre et la demande se posent de manière chronique dans
l’agriculture, le logement, la santé ou sur le marché du
travail, précisément dans ces secteurs où la main
visible de l’Etat a voulu se substituer à la main invisible du
marché sous le prétexte que la première voulait
réguler la seconde.
De la même manière que l’on demande une automobile pour
les services qu’elle rend, les acteurs de l’économie
demandent de la monnaie pour les services qu’elle nous rend (transaction,
précaution et spéculation). Si l’offre de monnaie est
concurrentielle (ce qu’elle fut jusqu’avant
l’arrivée des Banques Centrales), il appartient à chaque
émetteur de monnaie (les banques) de régler sa masse de billet
en circulation en fonction des contreparties dont il dispose dans ses coffres
(et qui lui sont confiées par ses clients) et qui garantiront la
qualité des billets émis. Si elle émet trop de billets,
les agents économiques se détourneront de ses billets qui
auront tendance à se déprécier pour se tourner vers les
billets dont la valeur sera plus stable. Des agents rationnels se
détourneront des billets dont la qualité est moindre pour
demander plus de billets dont la qualité est supérieure. Dans
ce contexte, la bonne monnaie chasse la mauvaise.
Il appartient donc à chaque banque de respecter un rapport rigoureux
entre la masse monétaire particulière qu’elle met en
circulation et ses contreparties. Dans ce contexte concurrentiel, il
n’y a pas vraiment une masse monétaire globale homogène, la
quantité totale de monnaie en circulation étant la somme des
masses monétaires particulières des différentes banques
émettrices de monnaie. Il ne peut donc y avoir de dérapage de
la masse monétaire globale puisque personne ne contrôle cette
masse directement à ce niveau
Dans le cadre d’un monopole, la rationalité des agents
économiques est totalement neutralisée dans le sens où
ils ne peuvent plus exercer leur pouvoir de choix (qui est un
élément crucial du pouvoir d’achat). Si la Banque
centrale émet trop de billets, l’inflation
détériore la qualité de chaque unité
monétaire de sorte que pour réaliser un même volume de
transaction, les acteurs économiques sont obligés d’utiliser
(et donc de demander) plus de monnaie. Comme la monnaie émise par la Banque
Centrale a un cours forcé, les agents sont obligés de
l’utiliser quelque soit sa qualité (ils n’ont pas le
choix). On aboutit au paradoxe qu’ils demandent plus de monnaie
dépréciée parce qu’ils ne peuvent faire marcher la
concurrence en vue d’utiliser d’autres unités
monétaires non dépréciées.
Dans la pratique, les acteurs économiques soucieux de protéger
leurs actifs trouveront des actifs non monétaires plus ou moins
substituables à la monnaie, l’or jouant traditionnellement ce
rôle de valeur refuge.
C’est pourquoi une des missions centrales de toute Banque centrale est
de lutter contre l’inflation (au sens d’un gonflement
artificielle de la masse monétaire). Mais il n’y aurait pas
d’inflation monétaire s’il n’y avait pas eu au
préalable monopolisation et centralisation de l’offre de monnaie
via l’institution des banques centrales.
Jean Louis Caccomo
Chroniques en
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