Billet initialement paru le 13 novembre 2013
Il y a cinq ans tout juste, la colère des Bonnets Rouges agitait la France. On s’en rappelle : l’issue de ce mouvement fut la disparition d’une écotaxe bien poivrée qui menaçait de s’abattre violemment sur les routiers (puis, plus tard, sur les automobilistes) au prétexte déjà fallacieux de lutter contre la pollution, le climat qui change et les écrouelles.
À l’époque, la Presse, aussi neutre que ses subventions étatiques massives le lui permettent, avait fait preuve d’une retenue héroïque en ne qualifiant le mouvement que de poujadiste et à l’évidence fomenté par des individus populistes et démagogiques.
Toute ressemblance avec les Gilets Jaunes de cette année s’arrête là : chacun sait que ces derniers sont, en plus d’être poujadistes, carrément nazifachos en plus d’être d’estrème-drouate populiste et veulent résolument la mort de la planète ainsi que des générations futures en leur proutant du gros diesel au museau.
Ah, qu’il fait bon vivre dans ce pays où les organes d’information font un si remarquable travail !
Tiens, il semblerait qu’enfin, après une analyse aiguisée, précise et pointue, menée en grande partie par les puissant calculateurs Médiavac 2013 et Politron-17.88, l’insupportable mouvement de grogne qui prétend s’étendre en France soit en réalité le résultat d’une énième petite poussée poujadiste de l’une de ces franges nauséabonde de la droite poussiéreuse venue directement d’un siècle passé et qu’on croyait oubliée.
Intéressante succession d’événements. Depuis que certains Bretons se sont achetés des bonnets rouges, la France regarde, de plus en plus surprise de se découvrir une âme rebelle, elle qui a pourtant coupé la tête de ses rois, démis plus d’un politicien et envoyé par dessus bord un nombre considérable (et même, à bien y réfléchir, comique) de constitutions, de systèmes politiques et de dirigeants en l’espace de deux siècles.
Et alors que la France regarde, elle semble vaguement sortir d’une torpeur qui l’aura poussée à accepter un peu tout et n’importe quoi, à commencer par une série de dirigeants de plus en plus consternants à mesure que le temps passait.
Tout a commencé, on se le rappelle aisément, par le constat de plus en plus inquiétant d’un nombre violemment croissant de faillites dans l’Ouest français. Et avec ces faillites, les esprits locaux se seront rapidement rendus compte que la situation économique, déjà tendue, s’était subitement aggravée avec l’arrivée prochaine de l’écotaxe, qui transformerait de fait certaines exploitations tout juste rentables en gouffres financiers faillitaires. Oui, cet État, alpha et oméga de la vie en France et en Bretagne, allait signer l’arrêt de mort à petit feu et par rage taxatoire à un nombre grandissant d’entreprise. Zut alors.
Et cette région, qui avait assez majoritairement voté pour le candidat pédalo-flambyste, se retrouvait à hurler son désespoir sans recevoir en retour la moindre once d’écoute. Peut-être les Bretons se seraient-ils contentés d’un Montebourg, état neuf, très peu servi ; peut-être le crachin local s’harmonise-t-il mal avec les heures de capilliculture biocosméticienne nécessaires à la vague joyeuse de poils ombrageux qui ornent courageusement le crâne du trop frétillant ministre ; peut-être ce dernier n’a pas eu le temps, entre deux frétillances pour Mittal ou Goodyear, d’aller jeter un œil. Toujours est-il qu’il n’aura pas fait l’effort d’aller voir sur place s’il y était. Ça tombe bien : il n’y était pas, pas plus que tous les autres ministres et élus d’importance. Seul un petit Mélenchon rabougri se sera pointé pour prendre un pot avec ses trois amis locaux, roter un coup et insulter les Bretons.
Et puisque la gronde avait compris, confusément, que certains des dépôts de bilan n’étaient pas dus à autre chose qu’au poids des taxes et autres vexations fiscales parfaitement inouï, il n’était que logique que certains des Bretons fassent un détour champêtre par-ci par-là et détruisent proprement ce que l’envahisseur bobo-parisien écolo-compatible tentait de faire passer pour une mesure idoine afin de réduire la pollution.
La presse, devant un tel spectacle, s’est retrouvée rapidement dépassée. Des ouvriers, des salariés, des employés, des agriculteurs, des gens qui, finalement, ne sont ni des patrons, ni des capitalistes, ni de futurs expatriés fiscaux, qui se plaignent, en territoire français, que les taxes seraient arrivées à un point trop élevé ? Oh oh oh. Qu’allez vous croire-là ?
Les premiers éditos sont donc hésitants. On détecte un souci : à trop donner la parole à ces agitateurs, certains pourraient comprendre que oui, ces portiques écotaxe ne sont que le début d’une traque permanente des usagers de la route. Certains pourraient comprendre que les camions ne sont que le début de la ponction. Certains pourraient comprendre que, normalement, les impôts locaux, les impôts directs et indirects, les sommes colossales qui sont prélevées partout, tout le temps, par l’État et les collectivités servent déjà, largement, à payer la maintenance de ces infrastructures. Certains pourraient se rappeler qu’en vertu du principe de non affectation comptable de cette taxe, il n’y a en réalité aucune chance qu’elle serve en priorité à la réparation des routes que les méchants camions détruiraient à chaque passage, les vilains.
Certains pourraient alors se rendre compte que l’écotaxe n’est qu’un prétexte pour taxer encore plus. Certains pourraient se rendre compte qu’il ne s’agit que d’une étape pour tabasser encore un peu plus les entreprises, puis les particuliers, en se gargarisant à la fois de remarques moralinées sur la Nature, les petites fleurs, le méchant CO2 qui n’est pas un polluant mais qui est supayr pratique pour faire peur, et sur tous les beaux services publics (que le monde nous envie mais ne nous copie pas) que le pays nous concède dans sa magnanimité moyennant une ponction de 53% de notre richesse.
Bref : à trop donner la parole aux contestataires anti-taxes, on risque, très clairement, de tomber dans le vilain poujadisme, ou, pire encore, à faire plier le gouvernement devant l’hydre ultranéolibérale, celle qui réclame toujours plus d’austérité, de sacrifices d’enfants solidaires dans le sang d’ouvriers éco-conscients.
La première phase de réplique fut donc, tactiquement, de faire porter le chapeau à la précédente équipe en place. D’une part, c’est connu, les absents ont tort, et d’autre part, une taxe supplémentaire, ça ne peut qu’être de droite (tout le monde sait qu’à gauche, on ne spolie pas les petits, les ouvriers, les faibles). Et ça tombe bien, en plus, la première mouillée dans cette affaire fut NKM, candidate à la mairie de Paris avec son programme kikoolol. Avec une telle cible, la presse se déchaîna.
Manque de bol : s’il est évident que l’ensemble de l’affaire Ecomouv’ / Ecotaxe a été troussé comme à l’habitude, à la hussarde et dans un champ de foin encore humide, les erreurs et connivences habituelles ne sont malheureusement pas suffisantes pour incriminer plus que ça la droite, l’UMP ou même NKM. Zut alors. Pire encore, enquête menée, on se rend compte que les protagonistes du sulfureux dossier sont encore en poste pour la plupart (comme le directeur de cabinet de Cécile Duflot, une autre belle cible, malheureusement encore dans le gouvernement et officiellement à gauche, donc intouchable). Zut et rezut.
Consternation, un partout, la balle au centre, ça n’ira pas, d’autant que la contestation continue de monter, tient bon et s’envenime. Il faut faire quelque chose, mes petits amis, cela ne peut plus durer. Regardez : non seulement, ils brûlent les portiques écotaxe, mais de mystérieux citoyens contribuables automobilistes casseurs extrémistes s’en prennent rapidement aux autres dispositifs automatiques de taxation : les radars commencent à prendre cher.
Oh. Triple zut, cela ne sent pas bon. D’autant qu’à bien y réfléchir, enfiler deux ou trois pneus sur un radar, l’arroser d’essence et l’enflammer, ça ne prend guère qu’une ou deux minutes et qu’en un temps aussi court, il devient difficile de choper les vilains tortionnaires de gendarmes électroniques.
La presse, devant le désastre qui s’annonce (pour les finances de la République) passe la multipliée : rapidement se succèdent les reportages sur le coût des radars (un radar qui brûle, c’est 8000 chatons qui ne trouveront pas refuge dans un lieu payé par l’État cet hiver – pensez-y !), le détail des dépenses engagées pour démonter, nettoyer, réparer ou reconstruire un magnifique portique (un portique qui tombe, c’est trente espèces d’animaux qui vivaient en symbiose qui sont décimées, c’est vingt fonctionnaires qu’on ne pourra pas augmenter cette année !) ; il ne nous sera bien évidemment pas épargné l’indispensable reportage sur les salariés de la boîte Ecomouv’ qui se retrouvent fort peinés par ces péripéties qui vont remettre en cause leur job à eux.
(Personne pour noter que sans cette taxe, l’argent ne sera pas ponctionné, restera dans des mains qui iront le dépenser en choses certainement plus utiles pour l’humanité qu’un portique hideux au milieu d’une route ; et je ne suis pas sûr que le sort des mâtons intéresse les prisonniers lorsque la prison ferme.)
Mieux encore, alors que brûlent les radars routiers, cette presse servile ne peut s’empêcher d’aller interroger les thuriféraires du Tout À l’État qui se réjouissaient qu’un maillage assez fin soit mis en place pour choper de l’automobiliste, aussi inoffensif soit-il. Oh que c’est triste, ces radars qui brûlent : c’est une sécurité de moins sur les routes, voyons, mes enfants que faites-vous là ? Vous vous trompez de cible ! Ben voyons. On réconciliera aussi très bien ces remarques avec l’absence de radars dans beaucoup d’autres pays européens, avec pourtant des mortalités aussi en chute (et plus basses qu’en France, comme en Allemagne où certaines portions sont mêmes sans limitations de vitesse du tout).
Après l’Ecotax qui lutte contre la pollution, les radars qui luttent pour la sécurité, il fallait terminer le spectacle avec quelque chose de grandiose : par exemple, en amalgamant joyeusement les Bonnets-Rouges à des casseurs, certes, mais surtout, d’extrême-droite. Facile : pensez-donc, siffler Hollande, un 11 novembre, ne peut être que l’œuvre de fascistes extrémistes, de réactionnaires rétrogrades, de conservateurs cul-serrés incapables de comprendre l’absolue nécessité d’une bonne taxe routière et d’une ponction anti-vitesse aussi aléatoire que subtile. Et puis, des salariés qui voient crever leur entreprise et au lieu de se taire, s’en prennent aux impôts, cela ne peut pas être de bons Français, voyons !
La suite, on la devine sans mal : les sondages se multiplieront dans lesquels on découvrira cette partie étonnante du peuple français qui aime tendrement les radars et la fausse sécurité routière qui vient avec, cette partie du peuple qui a bien compris comment, avec des portiques, on allait lutter contre le CO2, les algues vertes et les typhons aux Philippines, cette partie du peuple, la plus veule, la plus molle, la plus couarde, qui préfèrera toujours qu’on taxe (les autres), qu’on se taxe tous jusqu’à la croissance et jusqu’au paradis, parce que, comprenez-vous, les autorités ont dit que c’était comme ça que ça marcherait.
Mais concrètement, ils sont où ces Français qui aiment les radars routiers ? Ils sont où, tous ces Français qui aiment voir se multiplier les gendarmes automatiques qui flashent les pères de famille dans les lignes droites d’autoroutes vides ? Ils sont où, ces Français si naïfs pour ne pas comprendre que l’écotaxe n’est qu’un petit début, que les camions sont les têtes de convois et qu’ils y passeront ensuite ? Ils sont où, ces Français qui se sentent à l’aise lorsqu’ils paieront, au 1er janvier, 20% de TVA ? Ils sont où, ces Français qui sont heureux de voir leurs heures supplémentaires leur rapporter des clopinettes (surtaxées) ? Ils sont où ceux qui sont heureux de leurs hausses d’impôts, et des cotisations qui font fermer les entreprises ?
Mais surtout, elle est où, la presse qui devrait évaluer le ras-le-bol qui continue de monter, inexorable, qui touche maintenant toutes les professions, toutes les catégories socio-professionnelles, tous les salariés ? Elle est où, cette presse qui devrait remonter ce cri, pourtant clair, que trop, c’est décidément trop, et que non, plus d’impôts et de taxes ne sauveront pas le pays ? Elle est où, la presse, pour remonter le sentiment que le peuple en a très clairement assez de la bande de clowns qui le gouverne ?
… Elle est à l’Élysée ou Matignon, sans doute. Pour prendre des notes ?