La presse, prudente, en parle peu mais l’événement a bien eu lieu : Emmanuelle Wargon s’est fait choper en flagrant délit d’excès de vitesse à 150 km/h sur l’autoroute A1, alors que la vitesse était limitée à 110km/h en raison d’un pic de pollution.
C’est vraiment malencontreux. Pauvre Emmanuelle Wargon ! Se faire ainsi bêtement attraper !
Comment ça, Wargon qui ?
Allons, contribuable français ! Vous devriez pourtant la connaître, c’est une de vos commis que vos impôts payent grassement ! Wargon, c’est rien moins que la secrétaire d’État auprès du ministre des petits Oiseaux Écologiques et des Éoliennes à air chaud ! Et même si on a, surtout actuellement, du mal à la prendre en photo tant ses déplacements sont rapides, cette secrétaire travaille d’arrache-pied pour aider le pays dans son actuelle transition écologique, sa réduction de la pollution, son évolution vers des mobilités douces, des vitesses calmes et des énergies propres…
Transition écologique qui lui imposerait, semble-t-il, de faire rouler son chauffeur à des vitesses aussi polluantes qu’impardonnables en cette période de contrition climatique. Questionnée par la presse, la secrétaire d’État explique, dans un petit sourire crispé, que cette vitesse insolente ne serait que la résultante d’un emploi du temps particulièrement chargé :
« J’étais prise par un timing très serré (…) C’est une forme de système où on a beaucoup d’engagements dans une journée, il faut aller vite d’un endroit à un autre »
Et si l’on est moins charitable et plus près de la réalité, on conviendra plutôt qu’il s’agit d’une piètre gestion de la réunionite aiguë qui anime nos mouches du coche et leur impose donc d’être à la foire et au moulin, en se déplaçant aussi vite que possible sur les routes, les rails et dans les couloirs aériens de France, au mépris des règles pourtant imposées à tous par ces mêmes commis.
Au passage, on se demande d’ailleurs comment font ceux qui, ni ministres ni secrétaires d’État, doivent se fader les limitations à 80 km/h, les radars ou les immobilisations directes de véhicules, et qui ont, eux aussi, des emplois du temps chargés. Peut-on d’ailleurs réellement comparer l’emploi du temps d’un ministre (ou à plus forte raison, d’une simple secrétaire d’État), aussi chargé soit-il, puisqu’il n’aura pas réellement à pâtir d’un retard, à celui d’un autre individu pour lequel un rendez-vous manqué peut provoquer des fins de mois difficiles ?
Bien évidemment, attrapée par la presse et dûment questionnée sur cet excès, Wargon s’est empressée de faire un mea culpa de circonstance, assurant qu’on ne l’y prendrait plus, promis juré craché !
« Je sais (…) que les Français attendent de moi, de nous collectivement, un comportement plus exemplaire. «
Moui. Certes. Mais en fait, non : si les Français attendent très clairement quelque chose de vous, c’est bel et bien un comportement exemplaire, individuellement. Chacun d’entre vous, secrétaires d’État et autres ministres, députés comme sénateurs, édiles divers et élus variés, devez effectivement arborer un comportement exemplaire.
Et attention, pas « plus exemplaire » comme la Wargon, bien gonflée, tente de faire passer en loucedé, mais bien « exemplaire » tout court dans la mesure où, pour le moment, il ne l’est pas du tout tant c’est un truc qu’on n’a plus vu en République française depuis un moment.
J’exagère ?
Devra-t-on remettre sur le tapis tous les douloureux précédents qui s’empilent dans l’histoire républicaine de ce pays, passant par certains points hauts comme cette truculente affaire Cahuzac où on découvrait, pas trop étonné mais assez écœuré, que celui qui entendait lutter contre la fraude fiscale était un pratiquant assidu d’opérations frauduleuses ?
Est-il seulement nécessaire de revenir en détail sur l’affaire Benalla ? Pour ceux qui le veulent, ils pourront toujours consulter cet excellent billet de Nathalie MP, mais l’essentiel est de comprendre qu’encore une fois, la République et ses institutions n’ont vraiment pas brillé par leur exemplarité ni dans l’ascension fulgurante du jeune ami du Président, ni dans le traitement des affaires dans lesquelles il se trouve à présent englué.
Doit-on réellement parler du cas Juppé, repris de justice mais malgré tout récemment nommé au Conseil Constitutionnel, et – par dessus le marché – nommé là par un président de l’Assemblée Nationale lui-même emberlificoté dans une affaire judiciaire dont absolument rien n’indique une issue heureuse ?
On pourra toujours arguer, à l’aune de ces derniers exemples, que la République, maline, s’est probablement dit qu’il n’y aurait jamais meilleur douanier qu’un contrebandier repenti. Malheureusement, à ce wargontrain-là, il n’y a bientôt plus que des contrebandiers à la tête de l’État dont la différence objective avec une mafia devient de plus en plus évanescente.
Et c’est bien tout le problème : Wargon peut bien tenter de faire passer ses excuses pour une contrition maladroite, personne ne la croira parce que tout le monde sait qu’elle continuera, comme ses petits copains, à se comporter comme un colon en territoire conquis.
Du reste, c’est exactement ce qu’ils sont.
Ayant, depuis plusieurs décennies, abandonné toute velléité de venir réellement du pays profond, la petite caste des élites françaises ne se comporte absolument plus comme un groupe au service des gens qui les ont élus, mais comme une caste d’occupation dont le but est d’accroître d’abord ses propres privilèges et ses propres passes-droits, d’augmenter sans cesse ses richesses et dont l’administration est le bras armé, collectant les productions à leur profit premier.
C’est dans cette optique qu’on explique fort bien l’attitude qui consiste à ne jamais se sentir concerné par les lois, taxes et autres avanies qu’ils déversent sur le peuple conquis. Qu’il n’ait pas été conquis par la force mais par la persuasion, le mensonge puis par les urnes n’y change rien puisque le résultat est le même : au-delà d’un certain rang dans les administrations, au-delà d’un certain nombre d’électeurs adoubant l’élu, le pays n’est plus une charge qu’on doit servir, mais une recette qu’on s’empressera d’amputer à sa guise.
Et ce sera d’autant plus facile que les lois sont faites pour les autres, ce peuple qui paye et qui – magie d’une inculture crasse entretenue par une instruction misérable – en redemande goulûment.
Ne vous y trompez pas : l’excès de vitesse de Wargon n’est pas une erreur, un oubli de la règle ou une simple entorse aux lois en vigueur. C’est une nouvelle démonstration que ceux qui nous gouvernent sont du même pays mais absolument pas du même monde.