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Ce texte est un « article presslib’ » (*)
Si
les enjeux n’étaient pas ce qu’ils sont, incommensurables,
les atermoiements qui se multiplient actuellement en deviendraient presque
risibles. Dans l’actualité immédiate, on pense à
la Grèce et l’inimaginable histoire qui nous est
racontée, échappant des doigts de tous ceux qui auraient du la
retenir. L’image même d’une période qui se termine,
d’une construction amenée à se déliter.
Sur
tous les sujets essentiels, la même profond
indécision prévaut, le même surplace se poursuit. Que ce
soit à propos de la régulation financière, où
rien de significatif n’est toujours réellement entamé, ou
bien de la relance de l’économie et de l’emploi, à
propos de laquelle les gouvernements oscillent entre incantations et
résignation. Où allons-nous ?
Ils ne le savent pas, ce qui peut nous chagriner, et nous non plus, ce qui
est plus embêtant.
Une
crise financière et économique mondiale majeure est survenue
sans crier gare, et l’on constate avec effarement que les artisans
initiaux du désastre prétendent poursuivre leurs jeux dangereux
(pour les autres), faisant avec arrogance barrage aux réformes, tandis
que les représentants pourvus de la légitimité du
pouvoir apparaissent – n’ayons pas peur des mots – comme
les marionnettes d’un théâtre de la dérision et de
l’absurde. Mettant en scène leurs déplacements et
déclamant leurs discours avec comme unique viatique
l’irrésolution de leur propos.
Après
avoir proclamé la fin des idéologies – afin de mieux
faire prévaloir la leur, toute empreinte d’une
religiosité de pacotille dont le cours a chuté – ils sont
désormais face à leur propre impuissance, jamais en panne de
discours mais ne pouvant pas sortir de leur texte.
Une
seule chose semble désormais leur importer, tel un dernier refuge
qu’ils ne peuvent abandonner, l’expression d’une ultime
cohérence : la traque impitoyable contre l’ennemi public
n°1, le déficit du même nom. Les fortes résolutions
ne manquent pas, dont on verra à l’usage ce qui en subsistera,
lorsqu’il faudra les appliquer. Car la croissance économique
faisant faux-bond, c’est avec les seules
restrictions budgétaires qu’ils vont devoir remplir la mission.
Quitte à, pour certains, s’accrocher à la perspective
illusoire d’un accroissement de leurs exportations. Calcul qui repose,
dans le cas des Etats-Unis, sur l’idée folle qu’il serait
possible d’inverser les flux commerciaux avec les pays
émergés afin qu’ils deviennent positifs en net.
Pour le coup,
suite à la crise financière et économique, dans
lesquelles nous venons à peine de nous installer, on
pénétrerait, ce scénario respecté, dans une crise
sociale majeure dont il faudra alors se donner les moyens politiques. Parions
que devant cette perspective, le surplace va autant que possible durer,
présenté au nom d’une sagesse dont nous serons
appelés à ne pas douter. Mais jusqu’à quand ? et
à quel prix quand même ?
Même
si cela va prendre un petit peu de temps, le système capitalisme est
en train de s’effondrer de lui-même, à l’image de
ces immeubles que l’on aide à s’écrouler et dont la
chute paraît, tout du moins au début, très lente. En
retard sur les prévisions de ceux qui ont assisté, à
vrai dire tout aussi surpris, à l’écroulement du
système qui se revendiquait du socialisme et dont on pensait
qu’il allait lui aussi éternellement durer. Après avoir
rompu dans la révolution avec le capitalisme, puis entamé avec
lui une farouche guerre froide puis une fausse compétition.
Il
ne sort au final que des vaincus de l’affrontement Est-Ouest. Personne,
en effet, ne les a poussés ni l’un ni l’autre pour les
faire tomber. Tel que dans le rêve décidément
prémonitoire de Nabuchodonosor, roi de Babylone, ils se sont
révélés être des colosses aux pieds
d’argile. Leurs contradictions secondaires ont pris le pas sur leurs
contradictions principales, aurait pu depuis sentencieusement conclure le
Président Mao. Poursuivant sur cette lancée, on pourrait
même remarquer que le socialisme s’est
révélé impossible dans un seul pays – pour faire
référence aux discussions de l’époque – et
que le capitalisme est en train de périr après
s’être étendu à tous.
L’épisode
que nous sommes en train de vivre, la crise de la dette, n’est pas
seulement diffusé en Europe. On ne suit pas assez, de ce point de vue,
la situation du Japon. Fort de sa puissance exportatrice, ce dernier a su
financer sa colossale dette publique par ses propres moyens – avec le
concours de son épargne, mais celle-ci commence à se tarir
– et des artifices financiers, dont les effets ne sont pas davantage
inépuisables. Enfin, on va prochainement beaucoup parler de la plus
importante de la reine de toutes les dettes, celle des Etats-Unis, un simple
calcul montrant qu’elle a atteint des proportions telles qu’elle
peut plus être remboursée (qu’elle est devenue perpétuelle).
Mais, pour revenir à l’Europe, on y assiste actuellement
à un bien curieux spectacle.
Les
pays de la zone euro viennent de s’engager dans un nouveau petit jeu.
C’est à qui va montrer du doigt le déficit du voisin (son
partenaire commercial), pour le dénoncer et le sommer, afin
qu’il soit efficacement combattu, d’entrer en dépression
économique. Un jeu fort dangereux, vu le poids des échanges
économiques au sien de la zone. Tout se passe comme si les plus
prospères rêvaient qu’ils allaient tirer seul leur
épingle de ce fragile jeu de mikado. Tandis que la Commission de
Bruxelles, réduite depuis longtemps à l’impuissance,
place ses derniers espoirs dans un « renforcement de la
surveillance dans la zone euro » (oubliant au passage un
Royaume-Uni laissé à ses affres !) et pour le reste
s’en remet à Dieu, même s’il s’appelle FMI.
Craignant
une nouvelle campagne de déstabilisation de l’euro, les
dirigeants Européens (Jean-Claude Trichet vient de les rejoindre)
partent en croisade contre les spéculateurs armés de CDS nus.
Ils n’iront pas bien loin, car ils ne disposent pas de la clé
permettant de fermer la porte de leur arsenal. Celle-ci se trouve à
Washington, actuellement confiée au Sénat des Etats-Unis
d’Amérique, qui peine à dégager les contours
d’une indulgente réforme bipartisane des produits
dérivés. Enfin, pour couronner le tout, il ne vient même
plus à l’idée de quiconque ne serait-ce que de
modestement envisager l’étude d’une initiative
européenne de relance économique. Tout semble indiquer
qu’il ne reste plus qu’à courber le dos.
Une
vérité s’impose, à ce stade de la crise,
qu’il est difficile d’énoncer. On ne voit pas comment,
faute d’approfondissement de celle-ci, où ses acteurs pourraient
trouver les ressources d’initiatives de rupture. S’interroger sur
ce qui y fait obstacle, c’est admettre sans même avoir à
chercher plus loin qu’ils sont partie prenante d’un
système dont ils ne peuvent se désolidariser. Ces deux logiques
pour l’instant s’affrontent, doit-on s’interdire d’espérer
que la première crée quelques surprises ?
Parmi
les descriptions actuelles possibles de la crise, il en est une qui, plus que
tout autre, témoigne de la totale irrationalité du
système. Le meilleur du monde, était-il prétendu sans
appel. Nous sommes face à une écrasante montagne et un
gigantesque trou. La montagne est bâtie de capitaux à la
recherche des meilleurs rendements, ou bien de refuges, c’est selon.
Leurs détenteurs sachant désormais que la recherche des
premiers peut être périlleuse, tandis que celle des seconds
devient plus hasardeuse, car de moins en moins sûrs. Comme si le
capitalisme financier, réglant un problème, en avait
crée un autre. Les Etats, devenus impécunieux pour le sauver,
n’étant plus ces havres où se réfugier lorsque se
lève la tempête. Quant à lui, le gigantesque trou qui est
à côté de la montagne est constituée par la dette
publique, une fois intervenu le massif transfert des pertes du système
financier que les gouvernements ont décidé d’assumer.
Le
bon sens voudrait que l’on bouche le trou en creusant dans la montagne.
C’est d’ailleurs ce que l’on fait d’une certaine
manière, mais en procédant de telle sorte l’on creuse
plus le trou que l’on ne le bouche, contribuant à faire grossir
la montagne. Le système financier a été sauvé
sans frais, ou presque, il n’est pas dans ses habitudes de
procéder de même avec ses débiteurs ! Devant cet
obstacle insurmontable, car aboutissement d’une logique interne dont il
ne saurait être question de sortir, des esprits éclairés
ont alors proposé que le FMI s’engage à son tour dans une
politique de création monétaire. Ce qui aurait deux
conséquences : 1/ les Etats pourraient bénéficier de
conditions de prêts plus avantageuses que sur les marchés. 2/ On
combattrait le mal par le mal en augmentant encore la taille et le volume de
la montagne des capitaux. Cela n’a pour l’instant suscité
aucun écho et peut-être restera lettre morte.
C’était pourtant la meilleure des mauvaises idées
possibles !
Alors,
comment échapper à cette implacable logique ? En premier
lieu, en reconnaissant la faillite du monétarisme et des solutions
monétaires de régulation du système capitaliste.
Condamnées à laisser ouverts pendant longtemps – de leur
propre dire – les guichets de distribution des liquidités aux
établissements financiers (ne fermant que des facilités
accessoires), les banques centrales sont figées dans un immobilisme
qui exprime parfaitement celle-ci. Abandonner les mirages monétaristes
signifierait instaurer – horrible terme – des
réglementations interdisant des pratiques financières
parfaitement identifiées et dont la nocivité n’est plus
à démontrer. De fil en aiguille, il deviendrait alors
indispensable de reconfigurer le système financier, afin qu’il
soit au service de l’activité économique humaine (la
production et la répartition des biens et des services nécessaires
à l’épanouissement de l’espèce dans son
environnement). Puis, de démanteler la machine à fabriquer de
la dette, que le système ne serait plus de toute façon en
mesure de financer, ayant perdu ses instruments miraculeux. Ce qui
supposerait, enfin, d’envisager la rémunération des
individus en la dissociant, au moins partiellement, de
l’activité sociale que l’on appelle travail.
Un
fil de ce genre, une fois commencé à être tiré, ne
demanderait qu’à l’être davantage… Permettant
aussi de réfléchir à ce qu’une autre
globalisation, reposant sur d’autres fondations faites de
coopérations et de solidarités, pourrait apporter. Ou bien
à trouver un nouveau moteur écologique à cette
croissance dont on pressent qu’il faut la calculer autrement.
Tout
cela est bien beau, mais ne réglerait pas nos actuels gros
problèmes de dette publique! L’approche d’une taxation des
transactions financières, pourtant un élément de
solution, n’a pas l’heur de plaire au FMI, qui a reçu du
G20 mission de rapporter à ce sujet en avril prochain. La taxe semble
cumuler tous les inconvénients, à entendre ses nombreux
opposants. Elle serait très difficile à mettre en oeuvre (sempiternel argument). « Plutôt
facile à éviter » nous a appris cette semaine
Dominique Strauss-Kahn devant le Parlement européen. En utilisant,
a-t-il doctement expliqué mais sans plus de précision, des
produits complexes spécialement conçus à cet effet.
Enfin, argument plus retors, son rendement risquerait de
décroître, car sa perception aurait pour conséquence de
diminuer le volume de l’activité financière, et donc de
restreindre son assiette (ce qui est précisément son objectif,
rétorquent ses partisans).
D’autres
mécanismes plus à tiroirs pourraient être
élaborés pour financer la dette publique à moindre
coût et la rembourser en douceur, qui supposeraient entre autre la mise
en place de régulations astreignantes des marchés financiers,
à commencer par le plus volumineux, celui des changes.
L’idée étant de restreindre les opportunités
financière afin que les investisseurs se concentrent sur les
obligations d’Etat, dont les taux baisseraient en raison de la demande
et faute de meilleures opportunités. Des reconfigurations
d’importance seraient certes nécessaires, mais qui peut
aujourd’hui vraiment croire qu’elles pourront être
évitées, sauf à faire preuve d’une grande
ingénuité ou d’une forte et illusoire obstination ?
Mais
demain sera un autre jour.
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
pauljorion.com
(*) Un « article presslib’
» est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que
le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’
» qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos
contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait
aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut
s’exprimer ici.
Paul Jorion,
sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix
dernières années dans le milieu bancaire américain en
tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié
récemment L’implosion. La finance contre l’économie
(Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ?
(La Découverte : 2007).
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