C'est une véritable bombe dans le
landernau tranquille du business bancaire que viennent de lancer Google et
E-Bay, les deux géants les plus emblématiques de la
révolution Internet.
Dans une conférence de presse à destination de la presse
financière (voir vidéo en fin de note), Eric Schmidt, CEO de
google, et John Donahoe, celui de E-Bay, ont annoncé vouloir
créer leur propre plateforme bancaire, fonctionnant suivant un
schéma révolutionnaire. Sont également associés
à ce projet Paul Allen, le co-fondateur de Microsoft, et le financier
John Paulson, du fonds Lone Star, celui qui avait parié sur la chute
des subprimes.
Les points saillants de la conférence de presse sont les suivants:
- La
nouvelle plateforme, qui démarrerait en ligne au plus tard dans
un an, s'interdirait de prêter l'argent des déposants qui
n'aurait pas été explicitement placé une
épargne à ce sujet sur un compte spécialisé.
Autrement dit, pas de réserve fractionnaire !
- Ces
comptes d'épargne seraient gérés directement par
l'épargnant sous forme d'une plateforme de prêts "peer
to peer" de nouvelle génération. Ces services,
qui sont au couple prêteur-débiteur ce que meetic est aux
rencontres amoureuses, ont déjà percé dans le
domaine du microcrédit (voir kiva.com)
dans les pays émergents, et ils commencent à fleurir sur
le net (lendingclub.com,
prosper.com),
portés par la contraction du crédit à la consommation
aux USA, du fait de l'augmentation dramatique des taux
d'intérêts que les banques exigent sur les prêts
courts à la consommation.
Selon J. Donahoe, ces services de peer to
peer lending ont des défauts qui les empêchent de rencontrer le
même succès qu'e-bay ou paypal:
- Leur
manque de notoriété fait que la confiance des
prêteurs est insuffisante pour assurer un apport critique
suffisant de cash à prêter.
- Leur
manque d'expérience dans le domaine du "reputation
management" rend difficile l'évaluation du risque-emprunteur
par les prêteurs. Or E-bay maîtrise parfaitement ces aspects
depuis maintenant plus de 14 ans.
- Ces
plateformes de peer to peer lending sont rop limitées quant aux
services àssociés au crédit (moyens de paiement,
moyens de virement...), Or Paypal, filiale d'E-bay, dispose de savoirs
faire intéressants.
- Aux
USA, le groupement se chargerait de tout l'enregistrement légal
des transactions, afin d'éviter aux participant tout ennui avec
l'IRS, les County Clerks et autres passages obligés par la loi
US...
- Comme
sur e-bay, la plateforme de P2P-Lending pourrait être
utilisée par des prestataires à valeur ajoutée:
pooleurs de prêts, assureurs, notateurs, analystes...
- Des
règles simples obligeraient les spéculateurs purs à
révéler leurs positions "à
découvert", donc pas d'interdiction a priori, mais
transparence totale.
- C'est
le point le plus révolutionnaire : la plateforme ne serait pas
elle même la banque de pur dépôt chargée de
fournir les services classiques de chéquier, de liquidité
monétaire et de carte de crédit. Par contre, toute banque
disposant de ratios de gestion jugés suffisants par le groupement
pourrait se greffer sur la plate forme de Google, selon des
modalités d'association que je n'ai pas bien comprises, et
proposer ses propres services à valeur ajoutée sur la
plateforme Google-E-Bay.
- Des
petites entreprises auront accès à des coûts
massacrés à des services aujourd'hui
réservés à des entreprises plus grandes:
émissions obligataires, souscriptions en capital...
Eric Schmidt a quant à lui abordé les questions plus
générales quant à la portée du projet. Selon lui,
le système bancaire actuel vit ses dernières années en
tant que tel, et le modèle de la banque est à
réinventer. Notamment, selon lui, le système de réserve
fractionnaire sans accord du déposant est voué à
disparaitre, car il est la source des excès de bulles
spéculatives de crédit qui se sont produites. Voilà qui
devrait faire débat entre les anti réserve fractionnaire (tels
que Steven Hanke) ou pro (George Selgin), mais après tout, c'est le
libre choix de la banque...
Selon E. Schmidt, les banquiers
classiques ont montré surtout des capacités à
infléchir les régulations adoptées par le
législateur pour se fabriquer un cadre sur mesure, qui leur a permis
de se montrer exagérément spéculatifs, ce qui a
été bon pour leurs portefeuilles personnels dans les bonnes
années, mais qui a au final fait supporter les risques d'échecs
aux contribuables, c'est à dire à leurs clients. Je ne puis qu'approuver.
Selon lui, il n'y a aucune raison pour
que les banques soient gérées selon des standards plus laxistes
que les entreprises de l'économie réelle, et il espère
que sa plateforme sera utilisée par des entreprises du monde
réel, tel que par exemple Wal Mart ou Microsoft (si si, il l'a dit !)
pour proposer des services financiers, soit généralistes, soit
spécialisés mais innovants, gérés de façon
traditionnelle et pérenne.
Selon lui, il est dans
l'intérêt des entreprises du monde non financier de se
réapproprier la banque, afin que les particuliers et entreprises qui
sont leurs clients ne soient pas victimes du mauvais fonctionnement du
système actuel, qui pénalise toute l'économie. Des
banques gérées par des entreprises que les américains
côtoient au quotidien, apprécient, et qui inspirent confiance: tel
est le credo d'Eric Schmidt.
Enfin, il a terminé son
exposé sur la nécessité de "dynamiter" la
banque, milieu trop conservateur. Il veut avec sa plateforme (dont le nom
n'est pas encore révélé, les forums parlent d'ores et
déjà de G-Bank ou Google Bank, mais je n'y crois guère)
faire littéralement imploser les coûts de
l'intermédiation bancaire, et rendre accessible au petit
commerçant du Kansas des services qui auparavant requéraient
les services de banques spécialisées et chères:
permettre l'émission de bons, et aussi, des appels directs à
l'augmentation de capital. On est pas loin d'un concurrent à
Nyse-Euronext, même si les deux orateurs n'ont pas été
aussi loin dans l'analogie.
Questions réponses aux
journalistes
Inutile de dire que la séance de
questions des journalistes a été... chaude !
Je suis trop fatigué pour tout traduire (il est plus de minuit et
la conférence de presse vient à peine de se terminer à
San Francisco - En plus, le débit de parole est parfois insoutenable
pour l'angliciste moyen que je suis), mais parmi les questions
posées, notons (je traduis à l'arraché):
Q : "La plateforme ne part elle
pas perdante contre des banques classiques qui peuvent
bénéficier d'une ressource quasi gratuite créée
à partir de rien par la FED et qui pratiquent la réserve
fractionnaire ?"
Donahoe: "La ressource gratuite de la FED ne peut pas durer sans
provoquer le retour d'une inflation forte. Nous espérons que les
nouvelles régulations bancaires obligeront les banques à se
montrer moins aventureuses que par le passé, et que nous retrouverons
le chemin d'une économie ou le crédit est l'enfant de
l'épargne et non le fruit des pulsions d'achat non
maîtrisées d'enfants gâtés".
Q : "Certes, mais la situation actuelle, avec des taux FED
très bas et des taux de crédit à la consommation
très élevés, est très conjoncturelle. Serez vous
compétitifs si l'écart entre coût de la ressource et le
coût du crédit diminue" ?
Donahoe: "nous sommes certains de pouvoir ramener nos marges
d'intermédiation bancaires à des niveaux très
inférieurs à celle des banques classiques".
Q : "Pourquoi croyez vous que vous allez révolutionner la
banque ? Croyez vous que ce soit un métier facile ?"
Schmidt: "Il y a une demande croissante pour des services
financiers de qualité accessibles à tout un chacun, à
des coûts raisonnables, et qui ne servent pas à payer les bonus
des grandes banques d'affaires. Il y a une demande pour des banques
sûres, bien gérées et raisonnables. Il y a une
fenêtre d'opportunité qui risque de ne pas se
représenter. Enfin, sur ce type de marché, "the winner
takes it all". Et google et E-bay savent comment aller chercher
très vite le leadership sur de tels marchés. C'est maintenant
que nous devons nous lancer. "
Q : "N'y a-t-il pas des obstacles réglementaires
insurmontables" ?
Donahoe : "il reste
quelques légères complications, mais rien d'insurmontable,
puisque nous serons une plate-forme de services bancaires et non une banque
nous mêmes."
Q : "Attaquerez vous tout de
suite le marché mondial"
Schmidt: "dans la
mesure ou des législations locales ne nous en empêcheront pas,
oui. Nous avons bon espoire de pouvoir opérer simultanément sur
les USA, le Canada, et l'Union Européenne. Par contre, en Asie, ce
sera peut être plus compliqué".
Q : "Que pensez vous de l'initiative ""End The
Fed" lancée par l'aile libertarienne du parti républicain
?
Schmidt: "no comment
- Je ne fais pas de politique ici".
Mais le plus beau:
Q : "Qu'est-ce qui empêcherait
un établissement d'émettre de la quasi-monnaie, par exemple
indexée sur l'or, par le biais de votre plateforme ? "
Donahoe: "actuellement, la loi. Mais techniquement, rien".
J'en ai encore le souffle coupé.
Voilà qui promet ! Il est encore trop tôt pour imaginer toutes
les implications de l'annonce des deux champions du web sur la finance, voire
l'économie mondiale, mais à n'en point douter, c'est un big
bang du système financier américain et mondial qui s'annonce.
Encore un bel exemple de créativité
privée pour secouer le cocotier des secteurs un peu trop arrogants,
sclérosés, et opérant avec des marges de moins en
justifiées par la qualité de services.
Il est en outre trop tôt pour imaginer ce que la plateforme pourrait
permettre,mais je salive déjà. Vivement 2011 !
------
La vidéo de la conférence
de presse sur Vimeo (#1h15) :
Le 1er Avril 2010
Mise à jour du 2 avril: mes lecteurs auront évidemment compris qu'il
s'agissait d'un poisson d'avril, quoique sur certains forums, pas mal se
soient laissé prendre. C'est dommage, ceci dit: un tel projet serait réellement
porteur de potentialités extraordinaires. Je recommande particulièrement
les commentaires de ST. Ci-joint les poissons d'avril des années
précédentes.
Poissons d'avril des années
précédentes:
Vincent
Bénard
Objectif Liberte.fr
Vincent Bénard est Président de l'institut Hayek
(Bruxelles) et Senior Fellow de Turgot
(Paris), deux thinks tanks francophones dédiés à la
diffusion de la pensée libérale, et sympathisant des deux seuls
partis libéraux français, le PLD et AL.
Publications
:
"Logement: crise publique,
remèdes privés", dec 2007, Editions Romillat
Avec
Pierre de la Coste : "Hyper-république,
bâtir l'administration en réseau autour du citoyen",
2003, La doc française, avec Pierre de la Cos