Ce texte est un « article presslib’ » (*)
Sans
attendre les deux dernières étapes formelles du sauvetage
financier de la Grèce, la réunion des chefs d’Etat et de
gouvernements et la décision du FMI, de premiers enseignements peuvent
être tirés de cette crise européenne, qui ne fait que
commencer.
1.
Ce premier épisode à démontré combien les
gouvernements et les autorités européennes étaient peu
préparés, ainsi que les difficultés extrêmes
qu’ils ont rencontré pour réagir. Il n’est pas
certain que les uns et les autres en ont même tiré les
leçons, rien en effet n’en témoigne aujourd’hui
à la lecture des déclarations des uns et des autres.
2.
La crise grecque a mis en évidence que la fragilité de la zone
euro ne résultait pas uniquement de l’importance de la dette
publique, que l’Allemagne a fortement contribué à
dramatiser, mais également de la forte interconnexion des banques
européennes, qui ont assuré le financement d’une
très grande partie de celle-ci grâce aux liquidités de la
BCE dans la dernière période. On a constaté que l’effet
domino dont on redoutait qu’il intervienne d’un pays à
l’autre, résultant de brutales augmentations successives des
taux obligataires, a été secondaire par rapport à celui
qui a menacé les banques. En tout cas à ce jour. Ce n’est
pas pour rien qu’une partie du plan qui a été
décidé pour la Grèce va être consacré
à aider ses banques.
3. En raison de
son importance, 110 milliards d’euros prévus sur trois ans, le
plan de sauvetage grec est difficilement reconductible, si d’aventure
un second pays de la zone euro devait être à son tour
aidé en raison des attaques dont il serait l’objet. Cela a comme
conséquence qu’une pression maximum va être mise sur ces
pays, afin qu’ils n’y prêtent pas le flan. Une ligne de
défense qui est dérisoire si l’on admet que les tensions
extrêmes qui sont constatées sur le marché de la dette
souveraine ne résultent pas du niveau atteint par la dette publique,
mais de l’impérieuse nécessité que les Etats
laissent la place aux établissements financiers, afin que ces derniers
puissent en priorité se financer, à des taux redevenus beaucoup
plus bas. Car tous les marchés obligataires communiquent de ce point
de vue entre eux, ce sont les mêmes qui y investissent. Rien, pour
l’instant, ne semble avoir été engagé par les
gouvernements et autorités européennes afin de mettre au point
un nouveau dispositif, qui aurait vocation à être permanent et
pourrait être activé très rapidement. Cela les condamne
à nouveau aux risques de l’improvisation et aux
dérapages.
4.
L’Europe va donc vivre désormais avec le syndrome grec. Celui de
la répétition au détriment d’ un
autre pays de ce qui vient d’arriver à la Grèce, comme
celui d’un rebondissement de la crise en Grèce elle-même.
Car il est largement reconnu que le plan de sauvetage, ainsi que les
conditions draconiennes dont il est assorti, résultent d’un
compromis politique qui pèche par son total absence de
réalisme. Réaliser 30 milliards d’économie en
trois ans dans le contexte d’une économie dont il est reconnu
qu’elle va sombrer dans la récession (chute de -4% du PIB
prévue dès cette année) n’est pas
spécialement plausible, non compte tenu des réactions
imprévisibles des Grecs à qui il est demandé de
très importants sacrifices.
5.
Toute l’Europe résonne déjà d’un même
discours, qui monte en puissance, dont les mots clés sont rigueur,
austérité et sacrifice. Aux pays de la zone euro va
bientôt se joindre le Royaume-Uni, le cap de ses élections du 6
mai passé. Les plans qui sont annoncés – lorsque
c’est le cas – ne sont généralement pas encore appliqués
et n’ont pas encore produit leur effets : nous n’en sommes
qu’au stade des promesses. Contrairement à tant d’autres,
celles-ci semblent destinées à être tenues. A quel prix
et suscitant quelles réactions ? Colère et
résignation sont à cet égard les deux autres mots-clé, sans encore savoir ce qui
l’emportera des deux. Pour l’instant, la grogne a
l’avantage dans les commentaires, mais….
6.
Une dérisoire tentative est actuellement improvisée, visant
à faire participer les établissements financiers au plan de
sauvetage de la Grèce, initié par le gouvernement allemand. Son
caractère symbolique, au mieux, aura du mal à dissimuler que ce
sont les fonds publics qui sont à nouveau mis à contribution
dans l’urgence, afin de régler une croissance de la dette publique
dont la soudaineté peut difficilement être mise au débit
de la folie dépensière des Etats en faveur de leurs
administrés, sauf à reconnaître qu’elle a pour
origine la crise financière elle-même.
7.
La position de l’Allemagne va être déterminante pour la
suite des événements. Les premières réactions
d’Angela Merkel ne sont de ce
point de vue pas encourageantes. Elle n’a été
capable que de renouveler ses menaces d’instaurer des sanctions pour
les pays qui ne respecteraient pas le pacte de stabilité (la
règle des plafonds de 3% du PIB pour le déficit et de 60% de
celui-ci pour la dette), alors que celle-ci n’est plus respectée
par tous les plus grands pays de la zone euro et que rien ne permet de
garantir qu’il leur sera possible de le faire dans les années
à venir. Cette crispation correspond à une totale absence de
vision stratégique, qui n’est d’ailleurs pas le
privilège de l’Allemagne.
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
pauljorion.com
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le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’
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Paul Jorion,
sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix
dernières années dans le milieu bancaire américain en
tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié
récemment L’implosion. La finance contre l’économie
(Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ?
(La Découverte : 2007).
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