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Ce texte est un « article presslib’ » (*)
Faute
d’une alternative qui suppose des mises en cause inconcevables à
ce stade de la crise, un mauvais chemin est emprunté en Europe, dont
on ne sait où il mène. Les commentaires ont beau se multiplier
sur le thème : « ça
ne passera pas », « les objectifs ne sont pas
réalistes », « nous allons entrer dans une
spirale dépressive », les gouvernements de la zone euro
persistent et signent par défaut.
Ce
sont les Allemands qui impriment leur marque, ne voyant leur salut que dans
le maintien de leurs acquis, voulant l’imposer aux autres au nom de la
préservation de leur hinterland : plus ils contribuent au
financement potentiel des pays en difficultés, plus ils craignent ne
pas être remboursés, creusant par leur intransigeance accrue
leur propre tombe. L’absurdité voulant qu’ils accroissent
eux-mêmes ainsi les chances que la situation qu’ils redoutent
survienne.
Une
réunion des ministres des finances de l’Eurogroupe
s’est tenue hier à Bruxelles, dont peu a filtré, si ce
n’est des informations laissant à penser qu’elle a
été plus consacrée à serrer les derniers boulons
du plan de sauvetage européen (dénommé plan de
stabilisation financière), de nouveaux obstacles ayant
été dressés au déblocage de chaque
éventuel versement d’une aide, qu’à faire face
à la débandade de l’euro.
A
ce propos, Jean-Claude Junker, son chef de file, a bien reconnu que si son
niveau n’était pas en soi problématique – des cris
de victoire retentissant même, faisant de nécessité vertu
et saluant sa baisse qui favoriserait les exportations (à condition
que les acheteurs se manifestent) – la rapidité de sa chute
faisait par contre problème. Pour autant, rien n’a
été annoncé afin de la combattre, signe que face aux marchés,
la BCE faisant elle-même le gros dos, car il n’y a pas grand
chose à faire sur ce terrain-là…
Une remarque
assassine de David Bloom, en charge des marchés de devise
d’HSBC, rapportée par le Financial Times, résumé
la situation : nous pensions que l’euro allait devenir une sorte
d’euromark, il est train de tourner à l’eurodrachme a-t-il constaté, sarcastique.
Mohamed El-Erian, grand manitou américain du
marché obligataire, faisant ce commentaire
désabusé : à nouveau, on essaye de régler un
problème de solvabilité par des injections de
liquidités.
Les
deux indicateurs du moment que sont l’euro et le Libor
(overnight ou à trois mois)
continuent d’être en berne, signalant qu’en dépit
des démentis, la crise européenne n’est pas
réglée et que la confiance n’est pas de retour. Ni
au sein du système bancaire, dont les acteurs se soupçonnent
les uns les autres – sachant à quoi s’en tenir pour leur
propre compte ou connaissant les usages de la profession – de taire
leurs gros bobos, ni sur le plus grand marché du monde, le Forex, où la loi de la jungle monétaire
règne en maître.
L’excellence
de la coopération franco-allemande est célébrée
par Christine Lagarde, ministre française des finances, mais cette
grossière pirouette ne dissimule pas que les uns ont une politique qui
ne mène nulle part, les autres n’en ont même pas. Les
Allemands étant par ailleurs actifs et déterminés sur le
sujet de la régulation financière, leurs banques durement
éprouvées, tandis que les Français continuant
d’affecter que tout va pour le mieux de leur côté et
traînent la patte lorsque l’on rentre dans le concret, afin de
préserver leurs banques.
Wolfgang
Schäuble a eu ce mot magistral, afin de
marquer sa détermination: « ce sont les politiques qui font
les règles, pas les marchés ». Passant de la parole
aux actes, Berlin vient d’ailleurs d’annoncer son intention de
taxer les transactions financières – sans plus de détails
– rejoignant en cela les Autrichiens. Mais cela en dit long sur sa
compréhension générale de la situation, de
manière alarmante.
L’extension
de la crise à toute l’Europe menace pourtant, comme le lait qui
déborde sans crier gare. Au Royaume-Uni, où la trêve
électorale est terminée, un projet de budget étant
annoncé pour le 22 juin prochain. Dans les pays de l’Europe de l’Est,
un ensemble très hétérogène, pour lesquels la BERD
vient de réaliser préventivement une forte augmentation de son
capital, afin de les aider à faire face à la crise qui
sévit en Europe de l’Ouest et qui les atteint plus ou moins
durement.
Pendant
ce temps-là, les Américains sont en passe de boucler leur
réforme financière, le Sénat mettant avec force
amendements de dernière minute la dernière main à son
projet de loi, qui va devoir encore être confronté à
celui de la Chambre des représentants avant d’être
promulgué par Barack Obama.
Cela ne saurait tarder, comme à la fin d’une course
d’obstacle, lorsque les participants donnent un dernier coup de
collier.
Les
Européens, qui se manifestent tardivement sur différents sujets
scabreux – la réglementation des hedge
funds et des CDS nus – arrivent
après la bataille en dépit d’une mission à
Washington de Michel Barnier, le commissaire au marché
intérieur, auprès de Tim Geithner, le
secrétaire au Trésor. Le prochain G20 de Toronto, les 26 et 27
juin prochains, est attendu comme pouvant être le lieu de derniers arbitrages,
mais les Américains vont avoir beau jeu de dire qu’ils ont fait
le travail, ne peuvent y revenir, et qu’il n’y a
qu’à s’en inspirer.
Anticipant
cette rebuffade, les Européens se sont déjà
engagés sur la voie du compromis, c’est à dire de la
dénaturation de leurs propositions. A propos des hedge
funds comme des CDS nus. Il serait question,
les concernant, non plus d’une interdiction, mais de la
possibilité de mesures temporaires.
Il
est difficile de faire le tour d’une loi qui ne demande pas moins de
1.600 pages pour être exposée. Certes, le très important
sujet de la réglementation des produits dérivés va
être l’objet de derniers réglages qui donnent lieu
à des batailles acharnées des lobbies financiers. Mais sa
tonalité d’ensemble n’a pas changé : cette loi
reste une illusoire tentative de contenir les futurs errements de l’industrie
financière, ses gardes-fous comme autant
de murailles pleines de trous béants, contournables à la faveur
d’une virgule manquante dans un alinéa, de l’omission
d’un détail dans un autre. Car c’est ainsi que
procèdent les financiers, soucieux de la légalité
en façade et n’hésitant pas à solliciter celle-ci
abusivement, voire à la bousculer, au nom du vieux principe
« pas vu, pas pris ! ».
Qu’est-ce
que les Européens vont finalement obtenir comme lot de consolation ?
De premières constations faisant pudiquement état de
l’actuelle application imparfaite de la vieille réglementation
de Bâle II, issues d’un rapport du FMI portant sur
l’économie américaine, en disent long à propos de
la portée de la réglementation internationale lorsqu’elle
dérange, alors que Bâle III continue de faire
l’objet de tractations serrées dont rien ne filtre. Ce couvercle
qui devrait chapeauter toute l’activité financière
mondiale, aussi imparfait soit-il à l’arrivée,
connaîtra-t-il donc le même sort outre-Atlantique que son
prédécesseur ?
Est-ce
faire preuve d’un pessimisme outrancier que de voir dans la situation
actuelle la victoire de deux politiques dont chacune mène dans le mur ? Celle du gouvernement allemand, qui dirige
l’Europe tout droit dans la récession, et celle des Etats-Unis,
qui laisse largement ouvert le terrain de jeu de la finance
?
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
pauljorion.com
(*) Un « article presslib’
» est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que
le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’
» qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos
contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait
aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut
s’exprimer ici.
Paul Jorion,
sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix
dernières années dans le milieu bancaire américain en
tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié
récemment L’implosion. La finance contre l’économie
(Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ?
(La Découverte : 2007).
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