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Depuis quelques temps, on voit ressurgir dans le discours
politique l’idée selon laquelle les banques seraient coupables
d’un odieux complot matérialisé par le fait qu’elles
peuvent emprunter de l’argent à 1,25% à la Banque
Centrale Européenne (BCE) et prêter ce même argent
à 3% ou plus à leurs clients et notamment à nos Etats
surendettés [1]. Il va de soi que, présenté tel quel, ce
prétendu complot relève au mieux de l’incompétence
et au pire de la malhonnêteté intellectuelle
caractérisée. Quand la BCE prête de l’argent
à une banque, il s’agit d’un prêt au jour-le-jour
(i.e. sur une durée de 24 heures) tandis que le taux de 3%
fréquemment évoqué, c’est le taux auquel un Etat
comme l’Allemagne emprunte… sur 10 ans.
En effet, les taux d’intérêt à long terme sont
naturellement plus élevés que les taux
d’intérêt à court terme et ce, que la transaction
soit intermédiée ou pas par une banque. A titre d’exemple
et à l’heure où j’écris ces lignes,
l’Etat allemand se finance directement sur les marchés
financiers à 1,10% sur 3 mois mais doit débourser 1,39% pour
emprunter de l’argent à 1 an, 2,18% à 5 ans et 2,98%
à 10 ans. C’est ce qu’on appelle la courbe des taux ;
laquelle se caractérise principalement par sa pente positive –
c'est-à-dire l’écart entre les taux longs (habituellement
le 10 ans) et les taux courts (le taux à 3 mois par exemple).
Dans les faits, ce phénomène existe depuis la nuit des temps
mais il a fallu attendre Martin d'Azpilcueta [2] pour enfin comprendre le
principe qui explique l’existence de cette pente. Ce principe,
c’est la « valeur-temps de l’argent ». Vous
connaissez sans doute le proverbe qui dit qu’« un tiens vaut
mieux que deux tu l’auras ». Ce que signifie cette phrase,
c’est que vous et moi préférons disposer d’un euro
immédiatement plutôt que d’une promesse – fût
elle émise par quelqu'un en qui nous avons toute confiance – de
nous donner deux euros à une date distante dans le futur. Une autre
manière de dire la même chose, c’est que nous
préférons toujours avoir la jouissance immédiate de
notre argent plutôt que de la différer dans le temps :
c’est pour cette raison que plus la durée du prêt est
importante, plus nous réclamons une rémunération
élevée.
Mais les progrès des techniques financières ont permis de
contourner partiellement cet obstacle : nous avons inventé les
titres de créance négociables, les obligations. Une obligation
c’est un bout de papier [3] sur lequel celui à qui vous avez
prêté de l’argent s’engage à payer les
intérêts et à rembourser le montant de son emprunt au
porteur. L’immense avantage de cette formule, c’est vous pouvez
à tout moment vendre cette obligation à qui vous voulez et
ainsi récupérer – en gros – l’argent que vous
aviez prêté. Exit donc le problème de
l’immobilisation de votre argent jusqu’à
l’échéance du titre de créance.
Seulement voilà, en revendant une obligation avant la date de
remboursement prévu, vous pouvez perdre de l’argent. Typiquement,
si les taux montent, le prix de votre obligation baisse et plus la date de
remboursement de votre obligation est distante dans le futur, plus son prix
est sensible à une variation des taux. C’est ce que mesure la
« duration ». En d’autres termes, un investisseur
qui prête de l’argent à l’Etat allemand à 10
ans prend plus de risque que celui qui achète une obligation à
5 ans et c’est précisément cette prise de risque que
rémunère l’écart de taux de 0,8 point de
pourcentage évoqué plus haut (2,98% – 2,18%).
C'est-à-dire que sans ce surcroît de rémunération,
cette « prime de risque », aucun investisseur
n’aurait matériellement intérêt à
prêter de l’argent à l’Etat allemand sur 10 ans.
C'est aussi simple que ça.
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[1] Notez que les banques n'accordent pas de crédits aux gouvernements
mais achètent leurs obligations sur les marchés financiers
comme n'importe quel investisseur.
[2] Martin d'Azpilcueta (1492-1586) dit « Doctor
Navarrus », scolastique de l'École de Salamanque et
probablement un des plus grands penseurs de son époque qui, en plus
d’avoir expliqué le phénomène, l’a aussi
justifié moralement.
[3] C’est bien sûr une image.
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