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Je pose la question d'emblée et
les lignes qui la suivront y répondront:
n'étant pas parvenu à faire entrer l'Etat européen de
leur rêve dans la réalité par la grande porte, celle dont
l'idée les ravissaient, celle de la monnaie dénommée
"euro", les partisans d'un Etat européen - qui n'ont pas
désarmé - ne s'efforceraient-ils pas de le faire entrer par une
petite porte dérobée, celle qui mène au "cul de
basse fosse", celle de la "faillite de l'euro à
éviter à tout prix" ?
La porte a déjà été entre baillée par
leurs soins, ces dernières années, à plusieurs reprises,
avec la création de l'"Eurogroupe",
avec l'abandon du "pacte de stabilité et de croissance"
et avec la mise en oeuvre de la "facilité européenne de stabilité
financière".
A défaut d'autres considérations qui se voudraient moins
honteuses, plus glorieuses, l'entourloupe ne serait-elle pas, une fois de
plus, à l'ordre du jour démontrant à sa façon
qu'elle est l'étoile du berger des hommes de l'Etat ?
En voici d'abord trois exemples récents à l'échelle de
l'histoire.
1. Un premier exemple.
Au prétexte que l'augmentation insuffisante de la production d'or
limiterait la croissance des échanges internationaux et retarderait la
reconstruction des économies détruites par la guerre de
1914-18, la conférence réunie à
Gènes en 1922
déboucha sur un accord politique intergouvernemental.
Selon l'accord, les monnaies nationales convertibles en or à taux fixe
seraient échangeables internationalement et pourraient servir ainsi
dans les paiements internationaux, économisant par là
même l'emploi de l'or.
Seule monnaie ayant alors cette propriété : le dollar des
Etats-Unis d'Amérique.
Dix ans plus tard, à partir de 1931, la plupart des monnaies
nationales des pays importants redevenus convertibles en or entre temps
voyaient leur convertibilité intérieure en or suspendue, en
particulier, le dollar.
Est-ce à dire que ce qui était bon pour les échanges
internationaux ne l'était pas pour les échanges nationaux ?
Le prétexte n'était-il donc pas faux ?
2. Deuxième
exemple.
Au prétexte que les taux de change fixes en or des monnaies
échangeables internationalement et la création d'un organisme
international pour faciliter la bonne fixation e t
la suivre seraient le moteur d'une croissance des échanges
internationaux et du développement dans la paix des pays si
éprouvés par la guerre commencée en 1939, les parties en
arrivèrent à la conférence réunie à Bretton Woods en 1944
.
Elles se quittèrent sur, entre autres décisions, la
reconduction d'un prix de l'once d'or à 35 dollar - prix fixé
en 1934 -, la création d'un Fonds monétaire international et
l'engagement que les pays désormais membres de cet honorable organisme
auraient, chacun, une monnaie convertible extérieurement en or d'ici
la fin de la décennie 1950.
Près de 30 ans plus tard, après moult péripéties
(comme des dévaluations de la monnaie de la France, des
réévaluations de la monnaie de la République
fédérale d'Allemagne ou de la monnaie du Japon, des
débats sur le déficit de la balance des paiements des
Etats-Unis, la création d'une monnaie dénommée
"droits de tirages spéciaux" par la F.M.I. et son allocation
aux pays membres), le président des Etats-Unis en exercice, Richard
Nixon, décida de suspendre la convertibilité extérieure
du dollar en or le 15 août 1971.
Et en mars 1973, à bout d'arguties, les représentants des pays
membres du F.M.I. actaient que plus une seule monnaie nationale
n'était convertible en or, les taux de change des monnaies
n'étaient plus fixes et le F.M.I. perdurerait malgré la perte
de sa raison d'être.
En dépit de tout cela, quelques monnaies nationales restaient
échangeables internationalement.
Pour leur part, les représentants des pays de la Communauté
économique européenne passaient par la suite entre eux des
accords de change. Rappelons en passant que 1973 est l'année
où le Royaume-Uni, l'Irlande et le Danemark entrèrent dans la
C.E.E. et firent passer son nombre de membres de 6 à 9.
Mais est-ce à dire que, globalement, ce qui était bon en 1944
pour la croissance économique et le développement dans la paix,
ne l'était plus en 1973 ?
Le prétexte n'était-il donc pas faux ?
3. Troisième
exemple.
A ces deux exemples, il convient d'y juxtaposer un troisième qui est
le fond de la question liminaire de ce billet.
Au prétexte qu'un Etat européen améliorerait la
situation des pays membres de l'Union européenne et que cet Etat
pouvait être obtenu par la mise en oeuvre
d'une monnaie unique, des hommes de l'Etat sont parvenu à convaincre
la majorité de leur opinion nationale d'abandonner la monnaie
nationale pour la remplacer par une autre créée pour
l'occasion, à savoir la monnaie unique dénommée
"euro", à partir de 1999-2001.
Signe des temps, ils insistaient sur le fait que l'émission de la
monnaie unique ne serait pas monopolisée par une banque centrale
dépendante ou sous tutelle d'un Etat, comme cela avait
été le cas à l'échelon national, mais elle le
serait pas une banque centrale créée pour l'occasion,
indépendante des Etats membres de la zone "euro" et dont
l'indépendance serait inscrite dans ses statuts !
Les banques centrales nationales ne disparaîtraient pas pour autant,
mais s'harmoniseraient avec la nouvelle banque, dénommée
"banque centrale européenne", dans ce qui serait
appelé "système européen des banque centrale".
Soit dit en passant, "tout cela est vraiment beau comme l'antique"...
Dix ans ont passé, et cette même banque centrale
européenne (B.C.E.) se voit au centre ou mêlée à
un certain nombre d'opérations qui n'ont rien à voir avec les
missions qui lui ont été dévolues par statuts.
Par exemple, il s'agit d'acheter, à la fois tout en le disant et sans
le dire, des dettes d'Etats de pays de la zone euro à des taux
d'intérêt de plus en plus en décalage avec ceux que
demande le marché financier pour prêter.
L'attitude des dirigeants de la B.C.E. qui refusent la démarche, en
arrive à susciter l'ire de certains chefs d'Etat et de
gouvernement.
Reconnaissons-le immédiatement, ... pas de tous, heureusement.
Pour ces derniers, la justice et le droit ont encore un sens.
Mais est-ce à dire que ce qui était bon dans la décennie
1990 ne l'était plus dans la décennie 2000 ?
Le prétexte n'était-il donc pas faux ?
4. L'entourloupe.
Mais voici donc l'entourloupe en cours.
Au prétexte que les déficits budgétaires et autres
endettements des Etats des pays de la zone "euro" - qu'ils ont
occasionnés en toute irresponsabilité, voire
jusqu'à présent en toute impunité -, mettraient en
danger la monnaie dénommée "euro", les hommes de
l'Etat de ces Etats et leurs homologues des bureaucraties de l'Union
européenne - à la fois élargissement et transformation
de la C.E.E. dans la décennie 1990 - se réunissent ici ou
là et disent chercher des solutions à la situation.
Ils affirment vouloir trouver les moyens de mettre l'euro à l'abri des
dangers qui le menaceraient et faire en sorte que la zone euro
n'éclate pas...
Pour ma part, je dirai d'abord :"c'est peut-être un peu tard,
Mesdames et Messieurs ?".
Ensuite, plus sérieusement, je ferai remarquer que sont en question en
réalité:
- le marché financier, i.e. les créanciers détenteurs
des dettes des Etats, des "dettes souveraines" comme les
commentateurs aiment à les dénommer ;
- les dépenses des Etats, i.e. les paiements des fournisseurs de
ceux-ci, en grande partie, des électeurs de leurs hommes, et les
paiements des créanciers, et
- les recettes fiscales des Etats, i.e. les ressources dont ils disposent
pour payer leurs fournisseurs et leurs créanciers, i.e. un facteur
important de leur réélection,
- l'indépendance de la B.C.E. et
- l'euro soi-même.
Rien d'autres mais c'est déjà beaucoup.
Nos hommes de l'Etat ont essayé de disqualifier le marché
financier, la "maudite" spéculation comme ils n'ont de cesse
de l'appeler... Ils estimaient que les taux d'intérêt
qu'il demandait était trop
élevés.
Ils se sont rendus compte bien vite que la voie était malaisée
et que cela pourrait bien se retourner contre des actions qu'ils voudraient
mener.
Ils ont maintenant, davantage, en ligne de mire les banques qui "s'en
mettraient plein les poches" en tant que créancières
après qu'ils les eussent sauver il y a
quelques temps - comme ils disent ... -, à moins que certaines ne
soient - de nouveau - en danger...
S'agissant des dépenses de l'Etat, au moins en France, parlons-en de
ces dépenses.
Ils ne veulent pas les diminuer de façon significative, ils
"bétonnent".
A en entendre certains, ce sont elles qui auraient fait que "la
crise" aurait été moins ressentie en France qu'ailleurs.
Moins de crise hier pour davantage de crise demain ? S'en moqueraient-ils ou
bien "c'est déjà çà de gagner"...?
S'agissant des recettes fiscales, voici où le bât blesse: les
hommes de l'Etat ont pris l'habitude depuis la décennie 1970 de ne pas
payer les dépenses de l'Etat qu'avec des recettes fiscales, mais en
faisant appel au marché financier. Ils ont renoncé au
principe de l'équilibre budgétaire.
Pour rester en France, il convient de remarquer qu'en cours de route, ils ont
eu la manne du produit des privatisations d'entreprises qui rivalisait avec
les montants de monnaie empruntés sur le marché
financier. Et certains n'hésitaient pas à condamner ces
privatisations!
A l'inverse, au début de la décennie 1980, où les
étatisations d'entreprises allaient bon train avec la majorité
politique de l'époque, ils en arrivaient à se faire
photographier avec leur "créancier
préféré" (cf. par exemple la photographie
ci-dessous du quotidien Le
Figaro en date du 24 décembre 1982).
5. Quid de l'euro.
L'euro, monnaie créée pour l'occasion à partir de 1999
devait donc être le marche pied d'un Etat
européen.
Des peuples l'ont refusé dans la décennie 2000 par referendum
et le projet a été apparemment mis de côté.
Qu'à cela ne tienne, aujourd'hui émerge le prétexte que
les déficits budgétaires et les endettements conséquents
croissants des Etats des pays membres de la zone euro mettent en danger
l'euro. La faillite de certains d'entre eux est même
envisagée.
"Il faut faire quelque chose", disent les hommes de l'Etat.
Soit dit en passant, aucun homme de l'Etat, à ma connaissance, n'a eu
l'impudence d'avancer que si l'Etat européen avait vu le jour, la
situation actuelle serait moins grave ou, tout simplement, ne serait pas
éclose.
Mais faire pour qui ?
- pour les créanciers des Etats ou pour leurs fournisseurs ? pour
qu'ils ne perdent pas, pour qu'ils soient payés de leurs bons et
loyaux services ?
- pour les Etats débiteurs ? Pour qu'ils puissent continuer à
emprunter ou mener les politiques qu'ils menaient antérieurement ?
Faire pour quoi ?
- pour les relations économiques des créanciers, des
fournisseurs ou des débiteurs par quoi passent l'emploi, la croissance
et le bien être ?
- pour que les prix de l'euro en monnaies étrangères ne
baissent pas ?
En vérité, les mêmes qui se posent toutes ces questions
et ne sauraient y répondre - même l'économie politique
officielle du sujet y est impuissante ....- sont ceux qui n'ont pas
respecté hier les règles qu'ils s'étaient donnés
et engagés à respecter, et dont ils avaient expliqué
l'importance de les respecter.
Soit dit en passant, ils ne les ont pas respectées et l'euro continue
pour l'instant au moins à avoir des prix en monnaies
étrangères stables ou presque. Serait-ce pire ailleurs
que dans la zone euro ? Que ne s'interrogent-ils sur le fait ?
Mais pourquoi seraient-ils plus sincères aujourd'hui qu'hier? Bien
sûr, certains diront "il n'y a que les imbéciles qui ne
changent pas d'avis...", mais cela reste à prouver.
Pour ma part, je n'exclus pas qu'ils font feu de tout bois et qu'ils voient
dans la situation actuelle une voie ô combien escarpée à
quoi ils n'avaient pas pensé au départ, qui leur plaît en
définitive et qui doit les mener à la création d'un Etat
européen.
Au lieu que la monnaie "euro" ait été le bon marche
pied, la "faillite de l'euro à éviter à tout
prix" apparaît comme le marche pied de
secours. C'est implicitement la fameuse théorie politique selon
quoi il faut tirer parti de la force de ses échecs et les transformer
ainsi en succès, faire de ses échecs des succès,
thèse chère à "Madame M.F. G..."
Et cela s'articule sur l'action de la B.C.E.
De deux choses l'une, celle-ci respecte ses statuts votés eux par les
peuples - sans que vraisemblablement ceux-ci le sachent, s'en souviennent ou
s'en soucient - ou bien elle se soumet aux desiderata de l'"Eurogroupe" - sur quoi les peuples n'ont pas
été appelés à voter -.
Si elle respecte ses statuts, elle n'achète pas les dettes des Etats
à un taux d'intérêt privilégié.
Si elle ne les respecte pas, de gré ou de la force des Etats dont elle
devrait être indépendante, elle achète les dettes des
Etats à des taux privilégiés et la monnaie euro se
trouve désormais adossée à de fausses créances
qui ouvrent la voie de l'hyperinflation.
Mais l'hyperinflation ne résoudra rien sinon diminuera la valeur
nominale des dettes des Etats et le prix de l'euro en monnaies
étrangères, tout en détruisant les économies nationales
des pays de la zone euro.
Si les dettes des Etats ne sont pas achetées par la B.C.E., elles
seront achetées par le marché financier à des taux
d'intérêt plus élevés ou ne le seront pas.
Dans ce dernier cas, les dépenses de l'Etat en question ne seront pas
payées aux fournisseurs, contribuables ou non, électeurs ou
non.
Pourquoi insister sur les seuls créanciers ? Pour mieux les vouer aux
gémonies ?
En conséquence, les fournisseurs non faillis du fait de cette mauvaise
nouvelle se détourneront de l'Etat. A défaut de
réduire ses dépenses, l'Etat ne trouvera plus personne pour
effectuer ce qu'elles recouvrent.
Les faillis et les non faillis sauront se faire entendre à l'occasion
des élections ou à d'autres moments...
6. En bref.
J'ai déjà eu l'occasion de l'écrire dans des billets
antérieurs (cf. billets de la catégorie "économie européenne"),
la monnaie euro n'est pas en fait en danger car elle est le danger.
L'euro n'est pas en danger car il n'est pas une étape du processus
monétaire naturel, celui qui illustre, à sa façon,
depuis la nuit des temps, la loi de l'économie, i.e. la recherche de
la diminution des coûts de toutes natures, dont le coût de
l'échange (cf. mon article intitulé "Quel avenir de l'euro
?" publié dans Liberté
économique et progrès social, juillet
2011).
L'euro n'est pas une construction rationnelle qui a renforcé le
processus de la monnaie contrairement à ce que certains ont voulu
faire croire. Il n'a pas contribué à diminuer le
coût de l'échange.
Certes, jusqu'à présent, il n'a pas contribué à
l'augmenter.
Et le marché ne s'y trompe pas : les prix de l'euro en monnaies
étrangères échangeables internationalement n'ont pas
connu de chute jusqu'à présent.
Si un doute s'était fait jour, il y a longtemps que la plongée
se serait amorcée. A la différence des hommes de l'Etat qui,
malgré ce qu'ils en disent, "... ont le nez sur le guidon" -
c'est la période du "Tour de France" en France, allons-y ...
-, les marchés financiers voient loin.
L'euro est un accord politique international restreint
qui végète sur des taux de change fixés
aveuglément en 1998 et qui ne pourra vivre que ce qu'ont vécu
les quelques accords vaguement comparables conclus dans le passé ...
et ce que vivent les roses...
Pourquoi l'euro est-il le danger ?
- Parce qu'il a permis de faire rêver certains,
- parce que des hommes de l'Etat se sont servis de ces rêves pour
échafauder les montagnes de dettes étatiques qu'on
connaît aujourd'hui à défaut d'obtenir la capacité
juridique de construire un Etat européen et
- parce qu'ils vont faire valoir ces montagnes pour arriver à le
construire.
N'oublions jamais que, par le passé, le principe de création
des banques centrales a été d'abord de prêter à
l'Etat, puis d'être le prêteur en dernier ressort !
Cette fois, c'est l'Etat européen qui apparaîtraît
comme le "sauveur en dernier ressort".
N.B.
Au moment où j'écrivais ces lignes, j'apprenais de Open Europe. org
que:
"Hague vetoes Ashton’s
plan for a permanent EU military headquarters.
UK Foreign Minister William Hague yesterday
vetoed EU Foreign Minister Baroness Ashton’s proposal to create a
permanent EU military headquarters. “There is no way we will agree to
this, now or in the future...we think it duplicates NATO structures and
permanently disassociates EU planning from NATO planning…
Secondly, it's likely to be a much more costly solution than existing
structures”.
The proposal was supported by France, Germany and Poland.
French Foreign Minister Alain Juppe called the proposal
"excellent", and said that at the meeting "a very large
majority was in favour".
The Telegraph
reports that if the headquarters were created, it would require permanent
staff of 250 military officers and civil crisis management officials, which
would have operational control over EU "battle groups", including
British troops".
Ce propos me renforce dans l'idée
développée dans ce billet que des hommes de l'Etat visent
toujours, aujourd'hui, à la création d'un Etat européen
et font feu de tout bois pour le rendre inévitable en tentant de semer
ici ou là des organismes "irréversibles".
Georges Lane
Principes
de science économique
Georges
Lane
enseigne l’économie à l’Université de
Paris-Dauphine. Il a collaboré avec Jacques Rueff, est un membre du
séminaire J. B. Say que dirige Pascal Salin, et figure parmi
les très rares intellectuels libéraux authentiques en France.
Publié
avec l’aimable autorisation de Georges Lane.
Tous droits réservés par l’auteur
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