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Alors
que le krach boursier bancaire européen s’amplifie, une
courageuse bataille de mots est engagée par les autorités
européennes. Le terme même de « krach »
est proscrit, ainsi que la reconnaissance de l’insolvabilité des
banques, potentielle si l’on veut être prudent, mais
déjà avérée pour certaines d’entre elles.
L’ineffable Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France,
déclare imprudemment que : « Quel que soit le
scénario grec et donc quelles que soient les provisions à
passer, les banques françaises ont les moyens d’y faire
face ». Eric Besson, le ministre de l’industrie l’a
depuis contredit en affirmant que la question d’une recapitalisation
« était totalement prématurée et à
côté du sujet aujourd’hui ».
Dans
la foulée, François Baroin, ministre
français des finances, se lance et ose évoquer les
euro-obligations depuis Bruxelles, avec comme précision restrictive
qu’elles sont « un objectif final et non pas un point de
départ ». La nouvelle d’une rencontre à Rome la
semaine dernière entre Giulio Tremonti, le
ministre italien, et le président de China Investment
Corp., Lou Jiwei, ravive l’espoir d’une
intervention salvatrice de la Chine sur les marchés, alors que selon
le Financial Times, si les discussions se poursuivent, rien n’a
été conclu. Les dernières rumeurs font état
d’un refus des Chinois d’acheter de la dette italienne dans
l’immédiat. La Chine réaffirme sa confiance dans
l’euro mais veut discuter business plus avant. En raison de son
énorme exposition à la dette italienne, BNP Paribas, prenait ce
mardi matin la tête des pertes en bourse devant la SocGen.
Depuis
Berlin, Angela Merkel et José Manuel Barroso
mettent l’accent sur la finalisation du Fonds européen de
stabilité financière, qui devrait selon eux intervenir à
la fin du mois, et qui pourrait prendre le relais de la BCE sur le
marché obligataire. Il pourrait également ouvrir des lignes de
crédit à l’Italie et à l’Espagne, la
première venant de se rendre sur le marché et de s’y
brûler les doigts en raison des taux qu’elle a du consentir. La course d’obstacles que
représente la mise en œuvre des nouvelles missions du FESF ne
sera pas terminée pour autant, l’épreuve des
ratifications par les parlements nationaux devant se poursuivre.
C’est
à Washington que les mots les plus forts ont été
prononcés. Parlant des Européens et de la Grèce, Barack
Obama a déclaré que « ils sont en train de prendre
des mesures pour ralentir la crise, mais pas pour l’arrêter ».
Prévoyant que le G20 de novembre prochain devra travailler sur cette
question et envoyant son secrétaire d’État à la
réunion de l’Ecofin (les ministres des
finances européens) qui débutera vendredi à Wroclaw, en
Pologne. Car, a-t-il continué, « Un problème plus
grave est ce qui se passerait en Espagne et en Italie si jamais les
marchés continuaient à s’en prendre à ces deux
très grands pays ».
Le
président de l’Autorité des marchés financiers
française, Jean-Pierre Jouyet, a de son
côté été moins langue de bois en estimant que le
risque actuel était une « restructuration plus
poussée » de la dette grecque, sans aller
jusqu’à en évoquer toutes les conséquences pour
les banques.
Car
il se confirme que les fonds monétaires américains continuent
de fermer le robinet de leurs financements à court terme,
plaçant certaines banques européennes dans une situation de
plus en plus inconfortable. Celles-ci font assaut de déclarations
à propos de leur solidité mais oublient d’évoquer
les montants de leurs engagements, qui nécessitent des refinancements
continuels. La crise de liquidité qui en résulte peut
être combattue par la BCE, qui a ouvert un crédit
illimité, mais elle se combinerait avec leur crise de
solvabilité, si un nouveau défaut grec devait intervenir, ne
permettant plus l’habillage actuel de leurs comptes (une dévalorisation
des obligations de seulement 21 %).
Plus
la valorisation des banques diminue en bourse, plus leur recapitalisation va
diluer les actionnaires actuels, ce qui explique que les solutions
discrètement à l’étude privilégient la mise
en place d’un dispositif de garanties, comme il avait été
déjà déployé, et que le FESF pourrait octroyer.
Cela
doit se comprendre dans le contexte bancaire mondial, marqué aux
États-Unis par la crise de Bank of America (BoA), conséquence à retardement de celle
des subprimes. 30.000 emplois sont
supprimés, des cessions d’actifs sont engagées à
la hâte et des apports financiers recherchés, Warren Buffet
s’étant déjà précipité sentant la
bonne affaire comme a l’accoutumée.
Les achats par BoA de Countrywide
et de Merrill Lynch ne passent pas.
Les
déclarations du Pdg de JP Morgan Chase,
Jamie Dimon, recadrent la situation réelle
des mégabanques américaines. Il
estime « anti-américaines » les dispositions du
Comité de Bâle et déclare dans le Financial Times:
« Je suis très près de penser que les
États-Unis ne devraient pas être dans [les règles de]
Bâle », estimant par ailleurs qu’il faudrait au
secteur bancaire « de trois à dix ans » pour
sortir des poursuites judiciaires entamées à propos des pertes
dues aux produits structurés qu’il a vendus, et que leurs
conséquences financières pour les banques soient
absorbées. Les banques, a-t-il conclu, ne devraient pas être
placées devant un telle double péril.
Au
Royaume-Uni, la décision de George Osborne, le ministre des finances,
était attendue. Il repousse à 2019 les mesures de
séparation des activités bancaires (banque d’affaires et
banque de dépôt) étudiées par la commission
Vickers, qui sont déjà largement édulcorées
puisqu’il est question de donner aux banques une grande latitude de
manœuvre dans leur application. Des chiffrages exorbitants du coût
des réformes sont avancés – jusqu’à 7
milliards de livres annuelles – afin de justifier ce report, tandis que
les obligations convertibles (les CoCos) font leur
retour attendu, afin de faciliter le renforcement financier des banques, en
contradiction avec les recommandations de Bâle III.
Le
secteur financier est sorti prématurément des soins intensifs
et, ne parvenant toujours pas à régler par lui-même ses
problèmes, demande qu’il lui soit accordé plus de temps
avant de faire intervenir les mesures de régulation prévues. Au
final, aucune des dispositions ne leur conviennent, y compris le renforcement
de leurs fonds propres décidées par le Comité de
Bâle.
Le
mot de la fin revient à Angela Merkel, non
pas en raison de son intervention sur les bad
banks allemandes – sujet tabou –
mais pour avoir proclamé que « la priorité absolue
est d’éviter un défaut incontrôlé [de la
Grèce] ».
On
attend les actes avec impatience.
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