Le mardi 30 août, Charles Evans, le président de la Fed
de Chicago, estimait que la banque centrale américaine pourrait mettre
en œuvre une politique monétaire encore plus accommodante
malgré les signes d’amélioration de la conjoncture. Le
même jour, Narayana Kocherlakota,
son homologue de Minneapolis déclarait qu’il était
susceptible de reconsidérer son opposition à un nouvel
« assouplissement ». Voilà donc deux des douze
membres du Federal Open Market Committee (FOMC), l’instance qui décide
de la politique monétaire américaine, qui évoquent
explicitement leur adhésion à l’idée selon
laquelle la Federal Reserve devrait se montrer encore
plus accommodante qu’elle ne l’a été au cours des
trois dernières années et ce, à quelques jours de la
prochaine réunion du FOMC (20/21 septembre). Clairement : le troisième
round de Quantitative Easing (i.e. QE3) est officiellement sur la table et
l’annonce par Ben Bernanke de son intention
de maintenir le taux des Fed Funds à
zéro jusqu’à mi-2013 suggère même
qu’il a déjà commencé.
L’expérience de « fiat monnaie », qui
consiste à s’assurer de taux d’intérêt aussi
faibles que possible en inondant
le système bancaire américain de dollars fraîchement
imprimés [1], continue.
Soyons clairs : si nous avions la preuve ou ne serait-ce
qu’une intime conviction que les quelques 600 milliards de dollars
injectés dans le système bancaire lors de QE2 avait eu un quelconque
effet positif sur l’économie étasunienne, alors pourquoi
pas 600 000 milliards cette fois-ci ? Nous aurions alors
trouvé une solution radicale à la pauvreté, la faim et
tous les maux qui accablent l’humanité depuis la nuit des
temps : imprimer des dollars. Mais le fait est que nous n’avons
aucune preuve en ce sens et quelques excellentes raisons de penser le
contraire. Ce monde, décidément, manque cruellement de magie.
Voici les faits : à la fin du mois de juillet 2011, la
base monétaire américaine (M0, la monnaie émise par la Federal Reserve) atteignait 2 684 milliards de
dollar américains. Au total, depuis le 31 août 2008, elle a
gonflé de 1 836 milliards de dollars ; c'est-à-dire
que la banque centrale américaine a
« imprimé » deux fois plus de dollars au cours
de ces trois dernières années qu’elle n’en avait
créé depuis sa fondation en 1913. Sur ces 1 836 milliards
de dollars, seuls 194 milliards (11%) ont pris la forme de billets de banques
dont l’essentiel circule maintenant dans l’économie. Le
solde, soit 1 642 milliards (89%), est venu alimenter les comptes des
banques commerciales auprès de la Federal
Reserve sous forme de réserves excédentaires.
C'est-à-dire que la Fed injecte des centaines de milliards de
dollar dans le système bancaire mais ce dernier ne veut plus
prêter à tout va comme il le faisait précédemment ;
le multiplicateur monétaire est cassé et il est cassé
pour au moins deux raisons. Primo, les banques sont encore fragiles et
craignent (non sans raison) une évolution défavorable de leur
environnement règlementaire. Secundo, les entreprises comme les
particuliers ne veulent tout simplement pas s’endetter et préfèrent
accumuler une épargne de précaution.
C’est toute l’ironie de l’histoire : les
keynésiens qui nous gouvernent prétendent réguler une
défaillance du marché liée à un (soi disant) excès de pessimisme des acteurs de
l’économie [2]. C’est cette vision du monde qui conduit
nos décideurs à enchaîner plan de relance sur plan de
relance et à faire baisser le niveau des taux
d’intérêt à chaque fois qu’une
récession se profile à l’horizon. Seulement
voilà : les gens – qu’ils soient particuliers, chefs
d’entreprise ou banquiers – pensent. Ils anticipent et adaptent
leur comportement à leur perception du futur. Et que
perçoivent-ils aujourd’hui ? Des taxes liées
à l’endettement colossal de nos Etats et une instabilité
règlementaire qui interdit à tout être humain doué
de raison d’investir dans le moindre projet à long terme. En
d’autres termes, les keynésiens nous démontrent que le
pessimisme du marché n’est pas irrationnel ; il est, tout
au contraire, parfaitement rationnel et trouve sa source dans les politiques
de ceux-là mêmes qui prétendaient nous inciter à
l’optimisme.
Reste donc une montagne de dollars qui attend de se déverser
dans l’économie. Au 7 septembre 2011, la base monétaire
américaine (M0) atteignait quelques 2 653 milliards de dollars
soit plus du triple de ce qu’elle était il y a 3 trois ans. En
36 mois, la Fed a créé 1 802 milliards de dollars
c'est-à-dire deux fois plus qu’elle n’en avait
créé depuis sa fondation en 1913. Sur ce montant, environ 10%
ont pris la forme de billets de banque, 3% ont permis aux banques de
respecter leurs réserves obligatoires et les 87% restants sont
actuellement détenus par les banques commerciales sous la forme de
réserves excédentaires auprès des banques de la Fed. Ce
sont donc 1 566 milliards de dollars qui ont été
créés par la Fed ces trois dernières années et
qui sont prêts à noyer l’économie américaine
sous un déluge de « fiat monnaie ».
Le monde manque de magie mais l’histoire n’est pas avare
en enseignements…C’est là que nous en sommes. La question
n’est pas de savoir jusqu’où l’or peut monter mais plutôt
de deviner jusqu’où le dollar peut baisser ; la
réponse des apprentis sorciers de la Fed est claire : la limite,
c’est zéro.
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[1] C’est une image, la grande majorité des dollars
créés par la Fed le sont sous forme électronique.
[2] Les « esprits animaux » de Keynes.
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