A l’heure où
j’écris ces lignes, la banque franco-belge (ou
belgo-française) Dexia est au centre de la tourmente. Ses actions ont
dévissé de près de 20% en une seule séance. Les
gouvernements belge et français discutent de son cas en comité
ministériel restreint. Une victime de plus du capitalisme
effréné ? La preuve qu’il faut de toute urgence
nationaliser les banques ? Oh… wait…
Dans un éditorial
paru dans Le Monde Diplomatique en avril 2009 ,
Serge Halimi appelait sans ambages à nationaliser les banques. Son
argument ? Les banques privées ont failli. Leurs gestionnaires,
poussés par l’appât du gain, ont consenti à laisser
l’ingénierie financière prendre les rênes. Les
traders se sont livrés sans retenue à une politique de
spéculation débridée qui a mené les banques au
bord du gouffre. Preuve éclatante, s’il en fallait encore, que
l’Etat et ses commis doivent d’urgence assumer le contrôle
de l’ensemble du secteur financier.
Chute spectaculaire
Plan
séquence. Mardi 4 octobre 2011. Entre l’ouverture et la
clôture des marchés, le titre de la banque Dexia
dégringole : la chute est de 17%. Bon, en même temps, en
chiffres absolus, ça fait moins peur : le titre est passé
de 1,21€ à 1,01 € (avec un creux à 0,83€).
Mais c’est surtout beaucoup moins impressionnant que la perte
cumulée en moins d’un an. Le cours le plus élevé
de la banque au cours des dix derniers mois était de 3,38€. En
moins d’un an, Dexia aura donc perdu deux tiers de sa valeur. En
cause : des actifs toxiques dont la toxicité grimpe plus
rapidement encore que les taux de radioactivité dans les
réacteurs endommagés de la centrale de Fukushima. Clairement,
une banque honteusement spéculatrice récolte aujourd’hui
la récolte amère qu’elle a elle-même semée.
La preuve que Serge Halimi avait raison ? Pas vraiment, non !
Ah ben zut alors!
Le hic,
c’est que le groupe Dexia est la plus
« nationalisée » de toutes les banques
ouest-européennes. Il suffit d’ouvrir le rapport
annuel 2010 du groupe pour s’en convaincre:
Au 31
décembre 2010, l’actionnariat se répartissait comme suit:
-
17,6% :
Caisse des Dépôts et Consignations (le bras financier de
l’Etat Français)
-
14,1% :
Holding Communal (une société contrôlées par les
municipalités belges)
-
13,8% :
Arco Group (une société holding aux mains des syndicats
catholiques belges)
-
5,7% :
l’Etat français
-
5,7% :
l’Etat belge
-
5% :
Ethias Group (une société
d’assurances qui a elle-même souffert de la crise et qui, au
départ était une coopérative d’assurance mise sur
pied pour les fonctionnaires belges. Elle est actuellement sous le contrôle
de l’Etat et des entités fédérées belges)
-
En
clair : 48,1 % des actions sont directement ou indirectement dans les
mains de l’Etat, et les 13,8% dans les mains des syndicats. La banque
est donc virtuellement nationalisée. Dans ces conditions, difficile de
prétendre que ce sont les vilaines banques privées aux mains de
capitalistes sans scrupules qui se sont montrées les plus
téméraires et les moins bien gérées.
Un conseil
d’administration bourré de commis de l’Etat
Mais
peut-être les Etats se contentaient-ils d’une position passive et
le conseil d’administration, noyauté par d’horribles
spéculateurs, faisait-il ce qu’il voulait ? Que
nenni ! Jetez un œil au conseil
d’administration de Dexia :
Président
du Board of Directors :
Jean-Luc Dehaene. Un monsieur bien connu des belges qui me lisent,
puisqu’il a été plusieurs fois premier ministre du
gouvernement belge.
Chief Executive Officer : Pierre Mariani.Un superbe
énarque bien hexagonal, qui fut entre autres chef de cabinet du
Ministre du Budget et porte-parole du gouvernement français.
Parmi
les administrateurs, dont la liste est longue comme un jour sans pain, on
retrouve notamment, à côté de banquiers de bon
teint :
-
Isabelle
Bouillot qui fut entre autres conseiller
économique du président Mitterand
avant d’occuper le poste de responsable du budget au Ministère
de l’Economie et des Finances ;
-
Olivier
Bourges, qui fut haut fonctionnaire à la Direction du Trésor,
à Paris ;
-
Serge
Kubla, bourgmestre de la ville de Waterloo, en
Belgique;
-
Koen
Van Loo, ancien chef de cabinet du ministre des
Finances belges ;
-
Francis
Vermeiren, échevin de la ville de Zaventem.
Notons
aussi que parmi les anciens administrateurs de Dexia, on retrouve Elio
Di Rupo, qui dirige actuellement les négociations de formation
d’un nouveau gouvernement belge.
Vous
avez dit « banque publique » ?
Un
actionnariat au mains de deux Etats et
d’organisations syndicales. Un conseil d’administration
dirigé par d’anciens politiciens et où siègent de
nombreux commis de l’Etat. Et pourtant, Dexia est au bord du gouffre.
Difficile, dans ces conditions, d’oser encore prétendre que
confier la gestion des banques à l’Etat empêcherait les
dérives actuelles.
Car,
à part Dexia, quelle banque d’Europe continentale a-t-elle fait
la culbute jusqu’ici ? Fortis, bien sûr. Une banque
belgo-hollandaise aujourd’hui démantelée et en partie
reprise par BNP Paribas. Or, Fortis est elle-même issue de la Caisse
Générale d’Epargne et de Retraite, une institution
bancaire créée par l’Etat belge et qui a longtemps eu en
Belgique le monopole de la récolte de l’épargne publique.
Nationaliser
les banques ? Sûrement pas la meilleure solution !
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