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Les animaux sont poussés à
l'action par des besoins instinctifs. Ils cèdent à la pulsion
du moment et cherchent à obtenir satisfaction sur-le-champ. Ils sont les
marionnettes de leurs appétits charnels. La grandeur de l'homme se trouve dans le fait qu'il choisit
entre des alternatives. Il gère son comportement de façon
délibérée. Il peut contrôler ses impulsions et ses
désirs; il a en son pouvoir la capacité de supprimer des
désirs dont la satisfaction le forcerait à renoncer à
l'atteinte de buts plus importants. En bref: l'homme agit; il vise
délibérément les fins qu'il a choisies. Voilà ce
qu'on veut dire lorsqu'on affirme que l'homme est une personne morale, responsable
de sa conduite.
La liberté comme postulat de la moralité
Tous les enseignements
et préceptes éthiques, qu'ils soient fondés sur une
croyance religieuse ou sur une doctrine séculière comme celle
des philosophes stoïciens, présupposent cette autonomie morale de
l'individu et font donc appel à la conscience individuelle de chacun.
Ils présupposent que l'individu est libre de choisir entre
différentes lignes de conduite et requièrent de lui qu'il agisse
en suivant certaines règles bien définies, des règles de
moralité. Fais ce qui est bien, évite ce qui est
mal.
Il est évident
que les exhortations et admonitions morales n'ont de sens que lorsqu'on
s'adresse à des individus qui sont des acteurs libres. Elles seront
vaines si celui qui les entend est un esclave. Il est inutile d'expliquer
à un serf ce qui est moralement approprié et ce qui ne l'est
pas. Il n'est pas libre de déterminer ses agissements; il doit
obéir aux ordres de son maître. On peut difficilement le blâmer
s'il préfère céder aux ordres de celui-ci sous la menace
de punitions cruelles qui visent aussi bien lui-même que les membres de
sa famille.
Voilà pourquoi
la liberté est non seulement un postulat de la politique, mais aussi
un postulat de toute moralité religieuse ou
séculière.
La lutte pour la liberté
Pourtant, pendant des
milliers d'années, une part considérable de l'humanité
fut entièrement ou à tout le moins à maints
égards privée de la faculté de choisir entre ce qui est
bien et ce qui est mal. Dans les sociétés des temps anciens
fondées sur les différences de statut, la liberté pour
les membres des couches inférieures de la société,
c'est-à-dire la majorité de la population, d'agir selon leurs
propres penchants était sérieusement restreinte par un
système rigide de contrôle. La loi du Saint Empire romain qui
conférait aux princes et comtes du Reich le pouvoir et le droit de
déterminer l'allégeance religieuse de leurs sujets constitue un
exemple frappant de ce principe.
Les peuples de l'Asie
acquiescèrent humblement à cet état de chose. Mais les
peuples chrétiens d'Europe et leurs descendants qui allèrent
s'établir dans des terres d'outre-mer ne rendirent jamais les armes
dans leur lutte pour la liberté. Petit à petit ils se
débarrassèrent de tous les privilèges et handicaps
fondés sur la caste et le statut social, jusqu'à ce qu'ils
réussissent à établir le système que les tenants
du totalitarisme tentent de salir en l'appelant le système bourgeois.
La suprématie du consommateur
Le fondement
économique de ce système bourgeois est l'économie de
marché dans laquelle le consommateur est souverain. Le consommateur,
c'est-à-dire tout le monde, détermine en achetant ou en s'abstenant
d'acheter ce qui doit être produit, en quelle quantité et de
quelle qualité. Les hommes d'affaires sont forcés, par
l'instrument des profits et des pertes, d'obéir aux ordres des
consommateurs. Les seules entreprises qui peuvent prospérer sont celles
qui fournissent de la meilleure et moins dispendieuse façon les biens
et services que les acheteurs désirent le plus acquérir. Celles
qui ne réussissent pas à satisfaire le public subissent des
pertes et doivent en bout de ligne fermer leurs portes.
Dans les
époques pré-capitalistes, les riches possédaient de
vastes domaines. Eux-mêmes ou leurs ancêtres avaient acquis leur
propriété en la recevant en cadeau comme fief de la part du
souverain qui, avec leur aide, avait conquis le pays et soumis ses habitants.
Ces propriétaires terriens aristocrates étaient de
véritables seigneurs, dans la mesure où ils ne
dépendaient nullement du concours des acheteurs. Dans une
société capitaliste industrialisée cependant, les riches
sont sujets à la suprématie du marché. Ils
acquièrent leur fortune en servant les consommateurs mieux que ne le
font les autres et ils la perdent si d'autres satisfont les souhaits des
consommateurs mieux ou à meilleur prix qu'ils ne le font. Dans une
économie fondée sur le libre marché, ceux qui
possèdent le capital sont forcés de l'investir dans les
domaines qui contribuent le plus au bien-être du public. La
propriété des moyens de production est ainsi continuellement
transférée dans les mains de ceux qui ont le mieux
réussi à servir les consommateurs. La propriété
privée dans une économie de marché constitue, dans ce
sens, un service public qui commande à ses possesseurs de l'employer
dans le meilleur intérêt des consommateurs souverains. C'est ce
que les économistes veulent dire lorsqu'ils comparent
l'économie de marché à un système
démocratique où chaque dollar donne un droit de
vote.
Les aspects politiques de la liberté
Le gouvernement
représentatif est le corollaire politique de l'économie de
marché. Le même mouvement spirituel qui a créé le
capitalisme moderne a substitué des gouvernants élus au pouvoir
autoritaire des rois absolus et des aristocraties héréditaires.
C'est ce libéralisme bourgeois constamment conspué qui a
amené la liberté de conscience, d'opinion, de parole et celle
de la presse et qui a mis fin à la persécution
intolérante des dissidents.
Un pays libre est un
pays où chaque citoyen peut mener sa vie selon ses propres plans. Il
est libre de compétitionner sur le marché pour les emplois les
plus attrayants de même que sur la scène politique pour les plus
hauts postes. Il ne dépend pas plus des faveurs des autres que ceux-ci
ne dépendent de ses faveurs à lui. S'il souhaite réussir
sur le marché, il doit satisfaire les consommateurs; s'il veut
réussir dans les affaires publiques, il doit satisfaire les
électeurs. Ce système a apporté aux pays capitalistes de
l'Europe de l'Ouest, d'Amérique et à l'Australie une
augmentation sans précédent de sa population et le niveau de vie
le plus élevé de toute l'histoire humaine. Le citoyen ordinaire
dont on se préoccupe tant jouit d'un bien-être matériel
dont même les hommes les plus riches de l'ère
pré-capitaliste ne pouvaient rêver. Il est à même
de profiter des réalisations spirituelles et intellectuelles de la
science, de la poésie ou des arts auxquelles seuls une petite
élite de gens fortunés avaient accès naguère. Et
il est libre de vénérer un dieu selon ce que sa conscience lui
dicte.
La représentation erronée de l'économie de
marché par les socialistes
Les faits concernant
le fonctionnement du système capitaliste sont présentés
de façon erronée et tordue par les politiciens et
écrivains qui se sont arrogés l'étiquette du
libéralisme, cette école de pensée qui, au 19e
siècle, a écrasé le règne arbitraire des
monarques et des aristocrates et a ouvert la voie au libre-échange et
à la libre entreprise. [Note du trad.: Aux États-Unis, le
terme « liberal » a perdu son sens classique et
est devenu synonyme de gauchiste ou socialiste au 20e siècle.] S'il
faut en croire ces partisans d'un retour au despotisme, tous les maux qui
affligent l'humanité sont dus aux sinistres machinations de la grande
entreprise. Ce qu'il faut pour apporter la prospérité et le
bonheur à tous les citoyens décents qui le méritent,
c'est imposer un strict contrôle de l'État sur les corporations.
Ils admettent, bien qu'indirectement, que cela implique l'adoption du
modèle socialiste, le système qui prévaut dans l'Union
des républiques socialistes soviétiques. Mais ils assurent que
le socialisme sera quelque chose de tout à fait différent de ce
qu'il est en Russie s'il est adopté dans les pays de la civilisation
occidentale. Et de toute façon, disent-ils, il n'y a pas d'autres
façons de dépouiller les corporations géantes du pouvoir
énorme qu'elles ont acquis et de les empêcher de porter atteinte
encore plus aux intérêts du peuple.
À l'encontre de
cette propagande fanatique, il est impératif de répéter
encore et encore que c'est grâce aux grandes corporations si les masses
peuvent maintenant jouir d'un niveau de vie sans précédent. Les
petites entreprises peuvent produire les biens de luxe qui visent un
marché relativement restreint de gens financièrement à l'aise.
Mais le principe fondamental du capitalisme est de produire pour satisfaire
les besoins du plus grand nombre. Les personnes qui travaillent pour les
grandes corporations sont les mêmes qui forment le gros des
consommateurs pour les produits qu'elles fournissent. Vous verrez pour qui tournent
les machines en jetant un coup d'oeil dans la maison d'un travailleur
américain moyen. C'est la grande entreprise qui rend toutes les
réalisations de la technologie moderne accessibles au citoyen
ordinaire. Tout le monde tire bénéfice de la très haute
productivité qui caractérise la production à grande
échelle.
Il est ridicule de parler du « pouvoir » des
grandes corporations. La marque ultime du capitalisme est le pouvoir
suprême qui est conféré aux consommateurs dans la
sphère économique. Toutes les grandes entreprises ont d'abord
connu des débuts modestes puis ont grossi grâce à l'appui
volontaire des consommateurs. Il serait impossible pour les petites et
moyennes entreprises de fournir tous les produits qui sont devenus indispensables
à l'Américain contemporain. Plus une entreprise est importante,
plus elle dépend de l'empressement des consommateurs à acheter
sa marchandise. Ce sont les désirs – certains diront la folie
– des consommateurs qui ont poussé l'industrie automobile à
produire des voitures de plus en plus grosses, et qui la forcent de
même aujourd'hui à en fabriquer de plus petites. Les
chaînes de magasins et les magasins à rayons doivent chaque jour
réajuster leurs opérations pour s'adapter aux besoins
changeants des clients. La loi fondamentale du marché est celle-ci: le
client a toujours raison.
Celui qui critique la conduite du monde des affaires et qui prétend
connaître de meilleures méthodes pour approvisionner les
consommateurs n'est qu'un bavard qui tient des propos oiseux. S'il croit
vraiment que ses propres plans sont meilleurs, pourquoi ne s'essaie-t-il pas
lui-même à les mettre en pratique? Il y a toujours dans ce pays
des capitalistes à la recherche d'occasions d'investissement, qui sont
prêts à fournir les fonds nécessaires pour toute
innovation ayant des chances raisonnables de réussir. Le public est
toujours empressé d'acheter ce qui est meilleur ou moins cher. Ce qui
compte sur le marché n'est pas de faire des rêves fantastiques,
mais de réaliser des choses. Ce n'est pas parce qu'ils étaient
de beaux parleurs que les magnats sont devenus riches, mais parce qu'ils ont
rendu service à leurs clients.
L'accumulation de capital profite à
tout le monde
Il est de bon ton de nos jours de passer sous silence le fait que toute
amélioration économique dépend de l'épargne et de
l'accumulation de capital. Aucune des merveilleuses réalisations de la
science et de la technologie n'aurait pu être utilisée de
façon pratique si le capital requis n'avait pas d'abord
été rendu disponible. Ce n'est pas le manque de
familiarité avec l'enseignement de la technologie qui empêche
les pays économiquement arriérés de tirer avantage des
méthodes de production des pays occidentaux, et de ce fait qui
maintient la masse de leur population dans la pauvreté; c'est
plutôt l'insuffisance de capital. C'est profondément
méconnaître les problèmes auxquels sont confrontés
les pays sous-développés que d'affirmer que ce qui leur fait
défaut est la connaissance technique, ou le «
know how ». Leurs hommes d'affaires et leurs
ingénieurs, la plupart gradués des meilleures écoles
d'Europe et d'Amérique, sont bien au fait de l'état actuel de
la science appliquée. Mais leurs mains sont liées parce qu'ils
manquent de capital.
Il y a cent ans, l'Amérique était encore plus pauvre que toutes
ces nations arriérées. Ce qui a permis aux États-Unis de
devenir le pays le plus prospère au monde est le fait que «
l'individualisme farouche » qui a
caractérisé les années d'avant le New
Deal a fait en sorte de ne pas trop entraver
l'avancée des hommes entreprenants. Ces hommes d'affaires sont devenus
riches parce qu'ils n'ont consommé qu'une petite partie de leurs
profits et en ont réinvesti une bien plus grande part dans leurs
affaires. Ils se sont ainsi enrichis en même temps qu'ils ont enrichi
tout le monde. C'est en effet cette accumulation de capital qui a permis
d'accroître la productivité marginale de la main-d'oeuvre et
conséquemment le niveau des salaires.
Dans un système capitaliste, l'avidité de l'homme d'affaires ne
profite pas qu'à lui-même mais aussi à tous les autres.
Un lien réciproque existe entre d'une part, son enrichissement
résultant de la satisfaction des consommateurs et de l'accumulation de
capital et, d'autre part, l'amélioration du niveau de vie des
salariés qui composent la majorité des consommateurs. Les
masses ont intérêt à ce que les affaires se portent bien
autant dans leur rôle de salariés que dans celui de
consommateurs. C'est ce que les libéraux anciens avaient en tête
lorsqu'ils déclarèrent que dans une économie de
marché, les véritables intérêts de tous les
groupes de la population finissent par s'harmoniser.
Le bien-être économique est
menacé par l'étatisme
C'est dans l'atmosphère morale et intellectuelle de ce système
capitaliste que le citoyen américain vit et travaille. Certaines
régions des États-Unis vivent encore des conditions qui
apparaissent comme hautement inadéquates pour les habitants des
districts plus avancés qui forment la majeure partie du pays. Mais le
progrès rapide issu de l'industrialisation aurait depuis longtemps
éliminé ces recoins arriérés si les malheureuses
politiques du New Deal n'avaient
pas ralenti l'accumulation du capital, cet outil irremplaçable de
l'avancement économique.
Habitué aux conditions de vie d'un environnement capitaliste,
l'Américain moyen s'attend à ce que chaque année le
monde des affaires lui procure un accès à des choses nouvelles
et meilleures. Lorsqu'il observe ce qui s'est passé pendant sa propre
vie, il se rend compte que de nombreux appareils qui étaient
totalement inconnus dans les années de sa jeunesse, et d'autres qui ne
pouvaient être appréciés que par une petite
minorité, font maintenant partie de l'équipement standard
d'à peu près tous les ménages. Il est tout à fait
confiant que cette tendance se poursuivra dans l'avenir. Il appelle cela tout
simplement l'« American way of life » et il
ne se pose pas trop de questions sur les causes de cette amélioration
constante dans la fourniture de biens matériels. Il n'est pas
particulièrement préoccupé par l'entrée en
scène de facteurs qui risquent non seulement de mettre un terme
à l'accumulation continue de capital mais carrément
d'entraîner rapidement une décroissance du capital. Il ne
s'oppose pas aux forces qui, en augmentant de façon frivole les
dépenses publiques, en mettant des bâtons dans les roues de
l'accumulation de capital, en amenant même la dilapidation d'une partie
du capital investi dans des entreprises, et enfin en créant de
l'inflation, sapent les fondements même de son bien-être
matériel. Il ne s'inquiète pas de la croissance de
l'étatisme, un idéologie qui, partout où on a
tenté de la mettre en pratique, a eu comme résultat de produire
et de préserver des conditions de vie qui à ses yeux sont
pourtant affreusement pitoyables.
Pas de liberté pour la personne sans
liberté économique
Malheureusement, plusieurs de nos contemporains ne se rendent pas compte
à quel point la montée de l'étatisme,
c'est-à-dire la substitution de l'omnipotence étatique à
l'économie de marché, implique un changement radical dans
l'environnement moral de l'homme. Ils sont leurrés par l'idée
que les affaires humaines sont caractérisées par un dualisme
évident, qu'il y a d'un côté la sphère de
l'activité économique et de l'autre un champ d'activités
qui sont considérées comme non économiques. Il
n'existerait, pensent-ils, aucun lien étroit entre ces deux réalités.
La liberté que le socialisme abolit est «
seulement » la liberté économique, alors que la
liberté dans les autres champs d'activités n'est pas
touchée.
Toutefois, ces deux sphères ne sont pas indépendantes l'une de
l'autre, comme le présume cette doctrine. Les êtres humains ne
flottent pas dans la voûte éthérée. Tout ce que
fait un homme a nécessairement un impact quelconque sur la
sphère économique ou matérielle et exige qu'il puisse
intervenir librement dans cette sphère. S'il veut survivre, il doit se
retrousser les manches et avoir la possibilité de manipuler des biens
matériels tangibles.
La confusion se manifeste dans l'idée répandue qui veut que ce
qui se passe dans le marché ne réfère qu'au
côté économique de la vie et de l'action humaines. En
réalité, les prix du marché reflètent non
seulement les « préoccupations
matérielles » –
telles que trouver de la nourriture, un abri et d'autres sources de confort
– mais tout autant les préoccupations communément qualifiées
de spirituelles, plus élevées ou plus nobles. L'observance ou
l'inobservance de commandements religieux – s'abstenir de pratiquer
certaines activités complètement ou dans certaines
périodes spécifiques, venir en aide à ceux qui sont dans
le besoin, construire et maintenir des lieux de culte, etc. – est l'un
des facteurs qui déterminent l'offre et la demande de multiples biens
de consommation et conséquemment leurs prix et la marche à
suivre des milieux d'affaires. La liberté qu'une économie de
marché consent à l'individu n'est pas uniquement «
économique » par opposition à d'autres types de
liberté. Elle implique aussi la liberté d'agir dans tous les
autres domaines qu'on considère comme relevant de la morale, de la
spiritualité et des idées.
En contrôlant exclusivement tous les moyens de production, un
régime socialiste contrôle aussi tous les aspects de la vie de
chaque individu. Le gouvernement assigne à chacun une tâche
particulière. Il détermine quels livres et quels journaux
méritent d'être imprimés et lus, qui aura la
possibilité de devenir écrivain, qui a le droit d'utiliser les
lieux de rassemblement publics, qui peut diffuser sur les ondes radio et
télé et utiliser tous les autres moyens de communication. Cela
signifie que ceux qui tiennent les rênes de l'État peuvent en
fin de compte déterminer quelles idées, quels enseignements et
quelles doctrines pourront être propagés ou non. Quelles que
soient les garanties offertes dans une constitution écrite concernant
la liberté de conscience, d'opinion, de parole ou de presse, et
concernant la neutralité de l'État dans les questions
religieuses, elles resteront lettre morte dans un pays socialiste si le
gouvernement ne fournit pas les ressources matérielles nécessaires
pour exercer ces droits. Celui qui monopolise toutes les sources de
communication a l'autorité ultime pour contrôler ce qui se
retrouve dans les esprits et les âmes des citoyens.
L'illusion selon laquelle le socialisme sera administré exactement de
la façon qu'ils considèrent eux-mêmes comme souhaitable
empêche bien des gens de discerner les caractéristiques
essentielles d'un régime socialiste ou totalitaire. En supportant le
socialisme, ils tiennent pour acquis que l'État fera toujours ce
qu'eux-mêmes veulent qu'il fasse. La seule branche du totalitarisme
qu'ils appellent le socialisme « vrai »,«
réel » ou « bon » est
celui où les décisions des gouvernants s'accordent avec leurs
propres idées. Ils rejettent toutes les autres comme étant des
pastiches. La première chose qu'ils attendent d'un dictateur est qu'il
supprime toutes les idées qu'eux-mêmes désapprouvent. En
fait, tous ces supporters du socialisme sont, sans même le savoir,
obsédés par l'approche dictatoriale ou autoritaire. Ils veulent
que toutes les opinions et tous les plans avec lesquels ils sont en
désaccord soient écrasés par des actes violents de la
part du gouvernement.
Dans quel sens a-t-on un réel droit
à la dissidence?
Les divers groupes qui font la promotion du socialisme, qu'ils se nomment
socialistes, communistes, ou réformateurs sociaux, partagent le
même programme économique fondamental. Ils veulent tous
substituer le contrôle étatique – ou, comme certains
préfèrent l'appeler, le contrôle social – des
activités de production à l'économie de marché
basée sur la suprématie du consommateur individuel. Les
questions qui les différencient les uns des autres ne sont pas
reliées à la gérance économique, mais se
rattachent plutôt à leurs convictions religieuses ou
idéologiques. Il y a ainsi des socialistes chrétiens –
catholiques ou protestants de différentes dénominations –
et des socialistes athées. Les membres de chacune de ces
variétés de socialisme sont convaincus que la république
socialiste sera guidée par les préceptes de leur propre foi ou
par un rejet similaire de toute croyance religieuse. Jamais ne leur vient
à l'idée la possibilité que le régime socialiste
sera dirigé par des hommes hostiles à leur propre foi et principes
moraux, qui pourraient considérer comme leur devoir d'utiliser toute
la terrible puissance de l'appareil socialiste pour supprimer ce qui est
à leurs yeux erreur, superstition et idolâtrie.
En vérité, les individus ne peuvent être libres de
choisir entre ce qu'ils croient être bien ou mal que lorsqu'ils sont
indépendants du gouvernement sur le plan économique. Un
gouvernement socialiste a le pouvoir de rendre la dissidence impossible en
pratiquant la discrimination envers les groupes religieux ou
idéologiques qu'il voit d'un mauvais oeil et en leur refusant
l'accès aux instruments matériels nécessaires à
la propagation et à la pratique de leurs convictions. Le
système de parti unique, le principe politique qui sous-tend
l'autorité socialiste, implique aussi le système de religion
unique et le système de moralité unique. Un gouvernement
socialiste dispose de moyens pouvant être utilisés pour
atteindre une rigoureuse conformité à tous égards, Gleichschaltung (conformité
politique) comme disaient les Nazis. Les historiens ont noté à
quel point l'imprimerie a joué un rôle important pendant la
Réforme. Mais quelles auraient été les chances des
partisans de la Réforme si toutes les presses avaient
été contrôlées par les gouvernements
dirigés par Charles V d'Allemagne et les rois Valois de France(1)?
Dans le même ordre d'idée, quelles chances Marx aurait-il eu de
communiquer ses idées dans un système où tous les moyens
de communications auraient été dans les mains des
gouvernements?
Quiconque défend la liberté de conscience doit
nécessairement avoir le socialisme en horreur. Bien sûr, la
liberté permet à l'homme de faire aussi bien de bonnes que de
mauvaises choses. Mais aucune valeur morale ne peut être
attribuée à une action, aussi bonne soit-elle, qui a
été accomplie sous la pression d'un gouvernement
omnipotent.
Article originellement publié par le Québéquois
Libre ici
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