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Une
fois de plus, nous venons de « passer à l’heure
d’hiver ». Un passage qui marque le retour à la
réalité : en reculant nos montres d’une heure, nous
avons rattrapé le décalage introduit volontairement en mars
entre l’heure officielle et l’heure solaire. Ces sempiternels changements
sont non seulement inutiles : ils sont même carrément
néfastes.
Introduite,
puis supprimée plusieurs fois au cours du siècle dernier par
différents pays dont la France, l’heure
d’été a gagné ses galons au cours des
années 70. En 1973, le premier choc pétrolier entraîne
une augmentation drastique du coût de l’énergie. À
l’époque, en effet, le pétrole est la principale source
d’énergie dans les pays développés. Gouvernements,
entreprises et particuliers prennent conscience du risque que leur fait
courir cette dépendance vis-à-vis d’un produit dont les
principaux exportateurs, réunis en cartel, peuvent manipuler le prix
par des augmentations ou réductions concertées de la
production. Les pays occidentaux se lancent alors dans une double
quête :
-
réduire
la prépondérance du pétrole dans les sources
d’énergie, et notamment la production
d’électricité ;
-
réduire
la consommation d’énergie.
Des économies ?
Parmi les
stratégies proposées pour économiser
l’énergie, le passage à l’heure d’été
fait alors un tabac. L’idée est simpl(ist)e :
en retardant nos montres d’une heure en été, nous
bénéficions d’une heure de clarté
supplémentaire le soir, tout en ne rognant pas sur les heures de
clarté du matin, puisque la plupart des gens ne voient guère de
différence, que le lever de soleil soit à six heures ou
à sept heures du matin. Soit dit en passant, il s’y ajoute un
objectif « sanitaire ». À l’époque,
ce changement est également censé « favoriser la
pratique de loisirs d’extérieurs ». Merci, Big Brother.
Focalisé uniquement sur
l’éclairage
L’enfer,
comme toujours, est pavé de bonnes intentions. La planification
n’est pas une science exacte. Elle ne peut prendre en compte toutes les
conséquences d’une décision gouvernementale, car notre
monde est trop complexe.
C’est ce que l’économiste Friedrich Hayek appelait
la « présomption fatale ». Ici, c’est
même pire : les gouvernements sont restés focalisés
sur une seule conséquence, étiquetée
« souhaitable », du changement d’heure : les
économies d’éclairage. Très tôt, les
critiques pleuvront, mais sans changer la détermination des
gouvernements. La réalité des chiffres ne les émeut
d’ailleurs guère plus : dans un rapport
daté de novembre 2007, la Commission européenne reconnaît
explicitement que « L'heure
d'été contribue à une
économie d'énergie du fait qu'on utilise moins
d'électricité pour la lumière le soir car il fait plus
clair. Toutefois, de ces économies il faut déduire la
consommation accrue d’énergie due au chauffage le matin au
moment du changement horaire et la consommation de carburant
supplémentaire engendrée par l’augmentation possible du
trafic le soir quand il fait plus clair. Aussi
les économies effectivement réalisées sont-elles
difficiles à déterminer, et, en tout cas, relativement
limitées. » Cela n’empêche bien
sûr nullement la Commission de proposer la prolongation de la mesure,
car « outre le fait qu'elle
favorise la pratique de toutes sortes de loisir le soir et qu'elle
génère quelques économies d'énergie, il y a peu
d'impacts de l'heure d'été et le régime actuel ne
constitue pas un sujet de préoccupation dans les Etats membres de l'UE. »
Accidents de travail en hausse
Débarrassée
du jargon politicien, cette conclusion devient: « l’objectif
poursuivi n’est pas atteint, mais maintenons quand même le
système. Après tout, plus personne ne s’en émeut
et en plus les gens pourront faire du tennis plus tard le soir. »
L’arrogance
politicienne prêterait presque à sourire. Malheureusement, des
vies sont en jeu. Assez curieusement, il faudra attendre 2009, soit
près de 40 ans, pour que la communauté scientifique
s’intéresse aux « dommages collatéraux »
de l’heure d’hiver. En 2009, le très sérieux
« Journal of Applied Psychology »
publie une étude
intitulée (je traduis) : « Le passage à
l’heure d’été diminue le
temps de sommeil et augmente les accidents sur le lieu de
travail. » Ses conclusions sont sans appel : « Le
lundi qui suit directement le passage à l’heure d’hiver,
les travailleurs subissent plus d’accidents de travail qui causent des
blessures plus sérieuses. »
La cause ?
L’état de confusion et la diminution d’attention induits
par l’adaptation des cycles circadiens, et en particulier le manque de
sommeil. Difficile en effet de « forcer » son organisme
à avoir sommeil une heure plus tôt. Résultat : dans
la nuit qui suit le passage à l’heure d’été,
les travailleurs dorment ainsi 40 minutes de moins. L’ajustement
à l’heure d’hiver, qui permet un gain de sommeil, ne
semble poser aucun problème, mais n’entraîne aucun
bénéfice particulier.
Non seulement
le passage à l’heure d’été est une
absurdité qui ne génère aucune économie
quantifiable, mais en outre ses effets néfastes sont prouvés.
Qu’attendent exactement nos gouvernements pour en tirer les conclusions
qui s’imposent ?
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