|
On
pourrait affirmer que les syndicats, en exigeant des salaires plus
élevés sur le marché libre, obtiennent des prix de
monopole identifiables. Car deux situations différentes identifiables se
présentent alors: (a) celle où les individus vendent leur
travail eux-mêmes et (b) celle où ils sont membres de syndicats
qui négocient leur travail pour eux. De plus, il est clair qu'alors
que les cartels, pour réussir, doivent être économiquement
plus efficaces à servir le consommateur, une telle justification ne
peut pas être trouvée pour les syndicats. Comme c'est toujours
le travailleur individuel qui travaille, et comme l'efficacité de
l'organisation vient de la direction payée pour ça, se
syndiquer n'améliore jamais la
productivité d'u travail d'un individu.
Il est
vrai qu'un syndicat conduit à un situation
identifiable. Il est cependant faux de dire
que le salaire horaire syndical est un prix de monopole(58).
Car la caractéristique d'un monopoleur est précisément
de monopoliser un facteur ou un bien. Pour obtenir un prix de monopole, il ne
vend qu'une partie de son stock et s'abstient de vendre
l'autre partie, parce que vendre une plus faible quantité fait monter
les prix sur une courbe de demande inélastique. La
caractéristique unique du travail dans une société
libre, toutefois, est qu'elle ne peut pas être
monopolisée. Chaque individu se possède lui-même et ne
peut pas appartenir à un autre individu ou à un groupe. Par
conséquent, en ce qui concerne le travail, aucun homme ou aucun groupe
ne peut posséder le stock total de travail et en retenir une partie
hors du marché. Chaque homme se possède.
Appelons P le stock
total du produit d'un monopoleur. Lorsqu'il garde W unités
afin d'obtenir un prix de monopole pour P-W, l'augmentation de revenu obtenue pour P-W doit plus
que compenser la perte de revenu subie en ne vendant pas W. L'action d'un monopoleur est toujours
limitée par la perte de revenu liée à la quantité
retirée de la vente. Mais cette limitation ne s'applique pas dans le
cas des syndicats. Comme chaque homme se possède, les offreurs
« retirés du marché » sont des personnes différentes de
celles qui obtiennent des revenus accrus. Si un syndicat, d'une façon
ou d'une autre, obtient un prix plus élevé que ses membres ne
recevraient en vendant individuellement leur travail, son action n'est pas contrebalancée
par la perte de revenue subie par les travailleurs
« retirés du marché ». Si un syndicat
obtient des salaires horaires plus élevés, certains
travailleurs gagnent plus tandis que d'autres sont exclus du marché et
perdent le revenu qu'ils auraient pu obtenir. Un tel prix plus
élevé (pour le salaire horaire) est appelé un prix de restriction.
Quel que soit le critère retenu, un prix de restriction est
« pire » qu'un « prix de
monopole ». Comme le syndicat restrictionniste
n'a pas à se soucier des travailleurs exclus du marché et ne
perd aucun revenu de cette exclusion, l'action de restriction n'est pas
limitée par l'élasticité de la demande de travail. Car
les syndicats n'ont besoin que de maximiser le revenu net des membres qui travaillent ou, en fait, qui font partie de la bureaucratie
syndicale elle-même(59).
Comment un syndicat obtient-il un tel prix? La figure 69 nous le montre. La
courbe de demande concerne un facteur du travail dans une industrie. DD est la courbe de demande de travail dans l'industrie, SS la courbe d'offre. Les deux courbes sont
données pour le nombre de travailleurs en abscisse et le salaire
horaire en ordonnée. À l'équilibre du marché,
l'offre de travailleurs proposant leur travail dans l'industrie coupera la
demande de travail pour un nombre OA de travailleurs et un salaire horaire AB. Supposons maintenant qu'un syndicat entre en
jeu sur ce marché du travail et qu'il décide que ses membres
réclameront un salaire horaire plus élevé que AB, disons OW. Ce que font les syndicats, en fait, c'est
insister sur un certain salaire horaire minimum en dessous duquel ils
refusent de travailler dans cette industrie.
L'effet de la décision syndicale est de déplacer la courbe
d'offre de travail disponible dans l'industrie vers la droite horizontale
correspondant au salaire horaire WW', qui monte de façon à couper la
courbe SS en E. Le prix minimum du travail de réserve
dans cette industrie a augmenté et ceci pour tous les travailleurs, de
telle sorte qu'il n'existe plus de travailleurs offrant des prix de
réserve plus bas qui seraient prêts à travailler pour
moins. Avec une courbe d'offre se déplaçant vers WE, le nouveau point d'équilibre sera C au lieu de B. Le nombre de travailleurs employés sera WC et le salaire horaire OW.
Le syndicat a ainsi réussi à mettre en place un salaire horaire
de restriction. Celui-ci peut être obtenu quelle que soit l'allure de
la courbe de demande, sous la seule hypothèse qu'elle soit
décroissante. Elle l'est à cause de la VAPM [Valeur
actualisée du produit marginal (Discounted
Marginal Value Product).
C'est-à-dire le revenu monétaire attribuable à une
unité d'un facteur, actualisée en raison de la
préférence pour le présent qui donne moins de valeur
à une somme d'argent disponible dans le futur par rapport à
cette même somme disponible immédiatement, toutes choses
égales par ailleurs. Voir Man, Economy and State, Chapitre 7. NdT]
décroissante d'un facteur et de l'utilité marginale
décroissante du produit. Mais un sacrifice a été fait
– plus précisément, il y a désormais moins de
travailleurs employés, d'une quantité CF. Que leur arrive-t-il? Ces travailleurs tenus à l'écart sont
les principaux perdants de la procédure. Comme le syndicat
représente les travailleurs restants, il n'a pas à se soucier,
comme devrait le faire un monopoleur, du sort de ces individus. Ils devront,
au mieux, partir (c'est possible car le travail est un facteur non
spécifique) pour une autre industrie – non syndicalisée.
Toutefois, le problème est qu'ils sont moins adaptés à
cette nouvelle industrie. Le fait qu'ils étaient dans l'industrie
désormais syndiquée signifie que leur VAPM était plus
élevée dans cette industrie que dans celle vers laquelle ils
doivent se replier. Leur salaire horaire y sera par conséquent plus
faible. De plus, leur entrée dans cette autre industrie fera baisser
les salaires des travailleurs y étant déjà.
En résumé, et au mieux, un syndicat ne peut obtenir un salaire
horaire de restriction plus élevé pour ses membres qu'au prix
d'une baisse des salaires horaires des autres travailleurs de
l'économie. Les efforts de production de l'économie sont
également altérés. Mais en outre, plus grands sont le
champ d'action syndicale et le restrictionnisme dans
l'économie, plus difficile il sera pour les travailleurs de changer
d'endroit et de métier afin de trouver un havre de paix non
syndiqué où travailler. Et la tendance sera de plus en plus
à ce que les travailleurs écartés restent de
façon permanente ou quasi permanente au chômage, désirant
ardemment travailler mais incapables de trouver les occasions d'un emploi non
soumis à la restriction. Plus grande est l'influence du syndicalisme,
plus un chômage de masse permanent aura tendance à se
développer.
Les syndicats essaient d'éliminer autant que possible les
« échappatoires » du non syndicalisme, de fermer
les portes de sortie où les travailleurs déçus peuvent
trouver un emploi. Ceci s'appelle « mettre fin à la
concurrence injuste du travail non syndiqué à bas
salaire ». Un contrôle syndical universel et un restrictionnisme signifieraient un chômage
permanent, croissant toujours en proportion du degré avec lequel les
syndicats exercent leurs restrictions.
Un mythe courant veut que seuls les syndicats
« corporatifs » à l'ancienne, qui limitent
délibérément leur groupe professionnel à des
métiers très qualifiés comprenant assez peu de membres, peuvent restreindre l'offre de travail. Ils maintiennent
souvent des standards exigeants d'appartenance à la corporation et
mettent en place des dispositifs nombreux pour diminuer l'offre de travail
potentielle. Cette restriction directe de l'offre rend sans aucun doute plus
facile l'obtention de salaires élevés pour les travailleurs
restants. Mais c'est une grande erreur de croire que les nouveaux syndicats
« industriels » de peuvent pas limiter l'offre. Le fait
qu'ils accueillent autant de membres que possible dans une industrie cache
leur politique de restriction. Le point crucial est que les syndicats
insistent pour faire respecter un salaire horaire minimum plus
élevé que ne pourrait obtenir le facteur de travail
donné sans syndicat. En agissant ainsi, comme nous le voyons sur la
figure 69, ils font obligatoirement baisser le nombre de personnes qu'un
employeur peut embaucher. Et la conséquence de leur politique est donc
de limiter l'offre de travail, alors qu'au même moment ils affirment
pieusement être globaux et démocratiques, au contraire des
« aristocrates » snobs des syndicats corporatifs.
En réalité, le syndicalisme industriel a des
conséquences plus dévastatrices que le syndicalisme corporatif.
Car ce dernier, se produisant dans un domaine réduit, ne modifie et
n'abaisse les salaires que d'un petit nombre de travailleurs. Les syndicats
industriels, plus grands et plus généraux, diminuent les
salaires et déplacent les travailleurs sur une grande échelle
et, ce qui est encore plus important, peuvent causer un chômage de
masse permanent(60).
Il existe une autre raison pour laquelle un syndicat ouvertement restrictif
causera moins de chômage qu'un syndicat moins dur. C'est que celui qui
retreint les adhésions sert d'avertissement clair aux travailleurs qui
espèreraient entrer dans l'industrie dont le syndicat barre
l'entrée. Il s'ensuit que ces travailleurs chercheront ailleurs,
où ils pourront trouver un emploi. Mais supposons que le syndicat soit
démocratique et ouvert à tous. Dès lors, on peut
décrire ses activités à l'aide de la figure 69: il
obtient un salaire horaire plus élevé OW pour ses membres. Mais un tel salaire, comme on le
voit sur la courbes SS, attire plus de travailleurs dans l'industrie.
En d'autres mots, alors que OA travailleurs étaient employés au salaire
précédent AB (sans syndicat), le syndicat a gagné un salaire OW. À ce salaire, seuls WC travailleurs peuvent être utilisés dans
cette industrie. Mais, ce salaire attire plus de travailleurs
qu'auparavant, en fait WE. Le résultat, c'est qu'au lieu de
n'avoir que CF travailleurs devenant chômeurs à cause de
la politique restrictive du syndicat, c'est CE qui seront sans emploi dans cette industrie,
c'est-à-dire plus.
Ainsi, un syndicat ouvert n'a pas la vertu du syndicat fermé –
le rejet rapide des travailleurs écartés de l'industrie
syndiquée. Au contraire, il attire encore plus de travailleurs vers l'industrie, aggravant et gonflant ainsi le niveau de
chômage. Avec cette déformation les signaux du marché, il
faudra beaucoup plus de temps pour que les travailleurs se rendent compte
qu'il n'y a pas d'emplois disponibles dans cette industrie. Plus grande est
l'étendue des syndicats ouverts dans l'économie, et plus grande
est la différence entre les salaires du marché et ceux obtenus
suite à la restriction, plus grave sera le problème du
chômage.
Le chômage et la mauvaise utilisation du travail, causés par des
salaires horaires de restriction, ne sont pas nécessairement
directement visibles. Une industrie peut, par exemple, être particulièrement
profitable et prospère, que ce soit à cause de la hausse de la
demande des consommateurs pour le produit ou en raison d'une innovation
abaissant les coûts de production. Sans syndicat, l'industrie se
développerait et emploierait plus de travailleurs en réponse
aux nouvelles conditions du marché. Mais si un syndicat vient imposer
un salaire horaire de restriction, il se peut qu'il n'en résulte pas
de licenciements des travailleurs existants déjà dans
l'industrie: en revanche, ce comportement empêche le
développement de l'industrie en réponse aux exigences de la
demande des consommateurs et des conditions du marché. En
résumé, le syndicat détruit ici des emplois potentiels et impose une mauvaise allocation de la production en
empêchant l'expansion. Il est vrai que, sans syndicat, l'industrie ferait
monter les salaires via le processus d'expansion; mais si les syndicats imposent des
salaires plus élevés dès le départ, l'expansion
ne se produira pas(61).
Certains adversaires du syndicalisme vont jusqu'à soutenir que les
syndicats ne peuvent jamais être un phénomène du marché
libre et sont toujours des institutions
« monopolistiques » ou coercitives. Bien que ce puisse
être le cas dans la pratique, ce n'est pas forcément vrai. Il est fort possible que des syndicats
surgissent sur un marché libre et même y obtiennent des salaires
horaires de restriction.
Comment peuvent-ils y arriver? La réponse se trouve en
considérant les travailleurs écartés. Le problème
clé est le suivant: pourquoi ces travailleurs se laissent-ils mettre
à l'écart par le salaire minimum syndical WW'? Comme ils souhaitaient travailler pour moins
auparavant, pourquoi acceptent-ils désormais humblement d'être
virés et d'avoir à chercher un emploi moins
rémunérateur? Pourquoi certains restent-ils satisfaits de continuer
dans une poche quasi permanente de chômage, en attendant d'être
mis à la porte quand les salaires sont trop élevés? La
seule réponse, en l'absence de coercition, est qu'ils placent haut sur
leur échelle de valeur le but de ne pas faire concurrence aux salaires du syndicat. Les syndicats, naturellement, font tout pour
persuader les travailleurs, syndiqués ou non, tout comme le public
général, de croire dur comme fer dans le péché
que représenterait le fait d'accepter un salaire inférieur au
tarif syndical. On peut le voir très clairement dans les situations
où les membres du syndicat refusent de continuer à travailler
dans une entreprise pour un salaire inférieur à un certain
minimum (ou dans des conditions de travail différentes). Cette
situation est connue sous le nom de grève. La chose la
plus curieuse à propos de la grève est le fait que les
syndicats ont réussi à répandre dans la
société la croyance selon laquelle les grévistes
travaillent « en réalité » pour
l'entreprise, même s'il refusent délibérément et fièrement
de le faire. La réponse naturelle de l'employeur, bien sûr, est
de se tourner ailleurs et d'embaucher des travailleurs quidésirent travailler
dans les conditions offertes. Pourtant, les syndicats ont eu un succès
remarquable dans la diffusion de l'idée que quiconque accepte une
telle offre – le « briseur de grève »
– représente la pire forme de vie humaine.
Dès lors, dans la mesure où les travailleurs non
syndiqués se sentent honteux ou coupables de « briser une
grève » ou d'entreprendre d'autres façons de
concurrencer les salaires syndicaux, les employés
écartés et les chômeurs décident de leur propre
destin. En effet, ils se dirigent volontairement vers des emplois moins
rémunérateurs et moins satisfaisants, et restent volontairement au chômage pendant de longues périodes.
Ce chômage est volontaire parce qu'il résulte de leur
acceptation volontaire de cette mystique qui leur demande de « ne
pas passer outre le piquet de grève » et de ne pas
être un jaune. L'économiste en tant qu'économiste
n'a rien à opposer à un homme qui en vient volontairement
à la conclusion qu'il est plus important de préserver la
solidarité syndicale que d'avoir un emploi satisfaisant. Il y a
à l'évidence d'innombrables travailleurs qui ne se rendent pas
compte que leur refus de briser la grève, leur
« fidélité au syndicat », les conduit à la perte de leur emploi et à
leur maintien au chômage. Ils ne le comprennent pas parce que ceci
réclame de connaître une chaîne de raisonnement
praxéologique (telle que nous l'avons menée ici). Le
consommateur qui achète des services pour en jouir directement n'a pas
besoin d'être éclairé par les économistes: un long
raisonnement ne lui sert à rien pour savoir si ses habits, sa voiture
ou sa nourriture lui plaisent ou lui rendent service. Il peut voir de ses
yeux si le bien lui convient. De même, le capitaliste-entrepreneur n'a
pas besoin d'un économiste pour lui dire quelles actions seront
rentables ou non. Il peut le voir et le vérifier grâce au
système des pertes et des profits. Mais pour saisir les
conséquences des actes sur le marché de l'intervention
gouvernementale ou de l'activité syndicale, la connaissance de
la praxéologie est
nécessaire(62).
L'économie ne
peut pas trancher par elle-même sur des jugements éthiques. Mais
pour que quelqu'un puisse faire des jugements éthiques de
manière rationnelle, il faut qu'il connaisse les conséquences
des différents choix alternatifs de l'action. En ce qui concerne
l'intervention du gouvernement ou l'action syndicale, l'économie
permet de connaître ces conséquences. La connaissance de
l'économie est donc nécessaire, quoique non suffisante, pour
effectuer un jugement éthique rationnel dans ces domaines. En ce qui
concerne les syndicats, les conséquences de leurs activités
(par exemple le fait d'être destitués ou mis au chômage,
pour soi-même ou pour d'autres) seraient jugées malheureuses par
la plupart des gens, s'ils les découvraient. Ainsi, il est certain que
lorsque la connaissance de ces conséquences se répandra, il se
trouvera bien moins de personnes favorables aux syndicats ou hostiles aux
concurrents non syndiqués(63).
De telles conclusions
seront renforcées quand les gens apprendront une autre
conséquence de l'activité des syndicats: l'augmentation des
coûts de production pour les firmes d'une industrie qui suit
l'instauration d'un salaire de restriction. Ceci veut dire que les firmes
marginales de cette industrie – celles qui ne rapportent qu'une faible
rente aux entrepreneurs – seront éliminées des affaires
car leurs coûts auront dépassé leur prix le plus
profitable sur le marché – le prix qui avait déjà été
atteint. Leur éviction du marché et l'augmentation
générale des coûts moyens dans l'industrie signifient une
baisse générale de la productivité et de la production,
et donc une perte pour les consommateurs(64).
Licenciements et chômage, bien entendu, ont aussi un impact sur le
niveau de vie général des consommateurs.
Les syndicats ont
d'autres conséquences économiques importantes. Ils ne sont pas
des organisations productives : ils ne travaillent pas pour les
capitalistes afin d'améliorer la production(65). Au
contraire, ils essaient de persuader les travailleurs qu'ils pourraient
améliorer leur sort aux dépens de leur employeur. Il en
résulte qu'ils essaient autant que possible d'établir des
règlements du travail qui s'opposent aux instructions de la direction.
Ces règlements reviennent à empêcher la direction d'utiliser
les travailleurs et les équipements comme il lui semble profitable. En
d'autres termes, au lieu d'accepter de se soumettre aux ordres de la
direction en échange de sa paie, le travailleur veut désormais
établir non seulement un salaire minimum mais aussi un
règlement du travail sans lequel il refuse de travailler. L'effet de
ce règlement est de réduire la productivité
marginale de tous les autres travailleurs syndiqués. Le
résultat de la baisse de valeur du produit marginal a un double
résultat: (1) une échelle de salaires de restriction en
résulte avec ses diverses conséquences, car la valeur du
produit marginal a baissé alors que le syndicat insiste pour que le
salaire horaire reste le même; (2) les consommateurs perdent en raison
d'une baisse générale de la productivité et des niveaux
de vie. Des lois de restriction du travail diminuent ainsi également
la production. Tout ceci est cependant parfaitement compatible avec une
société de souveraineté individuelle, pourvu
évidemment qu'aucune force ne soit employée par le syndicat.
Défendre
l'abolition coercitive des règlements du travail impliquerait un
véritable esclavage des travailleurs vis-à-vis des diktats du
consommateur catallactique. Mais, répétons-le, il est certain
que la connaissance des diverses conséquences de l'activité
syndicale affaiblirait grandement l'adhésion volontaire de nombreux
travailleurs (ou autres) à la mystique du syndicalisme(66).
Les syndicats sont
donc théoriquement compatibles avec un marché libre pur. Mais
dans la réalité il est évident pour tout observateur
compétent qu'ils acquièrent presque tous leurs pouvoirs par
l'exercice de la force, plus précisément de la force contre les
briseurs de grève et contre la propriété des employeurs.
Ils bénéficient presque toujours d'une impunité
implicite pour utiliser la violence contre les
« jaunes ». La police reste habituellement soit
« neutre » quand les briseurs de grèves sont
molestés ou accuse ces derniers d'avoir
« provoqué » ces attaques. Il est clair que peu
de gens prétendront qu'instituer un piquet de grève est une
simple méthode de publicité destinée aux passants. Ces
sujets, toutefois, restent des questions empiriques plus que
théoriques. Au plan théorique, nous pouvons dire qu'il est
possible d'avoir des syndicats sur un marché libre, bien que nous
pouvons empiriquement douter de l'étendue qu'ils y auraient.
Sur le plan
analytique, nous pouvons dire que lorsque les syndicats sont autorisés
à utiliser la violence, l'État ou toute autre agence
chargée de faire appliquer la loi a implicitement
délégué ce pouvoir aux syndicats. Ils sont alors devenus
des « États privés »(67).
Nous avons
étudié, dans cette partie, les conséquences de
l'obtention par les syndicats d'un prix de restriction. Ceci ne veut
néanmoins pas dire que les syndicats obtiennent toujours de
tels prix lors des marchandages collectifs. En fait, parce qu'ils ne
possèdent pas les travailleurs et ne vendent donc pas leur travail,
les marchandages syndicaux sont une substitution artificielle aux
résultats paisibles du « marchandage
individuel » sur le marché du travail. Alors que les
salaires horaires d'un marché du travail non syndiqué tend toujours vers l'équilibre d'une manière
calme et harmonieuse, le marchandage collectif laisse les négociateurs
avec peu ou pas de méthodes pour les guider vers ce que serait un
niveau de salaire adéquat. Même si les deux parties essaient detrouver le salaire du marché, aucune
d'elles ne peut dire qu'un accord salarial donné est trop haut, trop
bas ou à peu près correct. De plus, presque sans exceptions, le
syndicat n'essaie pas de découvrir le prix du
marché mais cherche à imposer divers
« principes » arbitraires de détermination des
salaires, comme celui de « suivre le coût de la
vie », de « salaire décent », une
« progression équivalente » à celle d'un
travail comparable dans d'autres entreprises ou industries, une augmentation
de « productivité » moyenne annuelle,
« des écarts salariaux justes », etc.(68).
B. Une critique
de certains arguments en faveur des syndicats
|
1)
L'indétermination(69)
|
L'une des réponses préférées des
défenseurs des syndicats à l'analyse ci-dessus est la suivante:
« Oh, tout ceci est très beau, mais vous oubliez
l'indétermination des salaires. Les salaires horaires sont
déterminés par la productivité marginale à
l'intérieur d'une zone plutôt qu'en un point.
Et les syndicats ont une occasion de marchander collectivement à
l'intérieur de cette zone sans ces effets effectivement
déplaisants que sont le chômage et le rejet de travailleurs vers
des emplois moins payés. » Il est curieux que de nombreux
auteurs utilisent sans problème une analyse rigoureuse des prix
jusqu'à ce qu'ils s'occupent des salaires, et qu'ils soulignent alors
soudainement et fortement leur indétermination et les énormes
zones au sein desquelles les prix ne font pas de différences, etc.
En premier lieu,
l'étendue de l'indétermination est très faible dans le
monde moderne. Nous avons vu précédemment que dans une
situation de troc entre deux personnes, il est probable qu'existe une grande
zone d'indétermination entre le prix maximum accepté par
l'acheteur pour se procurer une quantité de bien et le prix minimum
auquel le vendeur est prêt à la céder. Dans cet
intervalle, nous ne pouvons déterminer le prix qu'au cours du
marchandage. Toutefois, c'est justement une caractéristique de
l'économie monétaire moderne que d'avoir réduit toujours
et encore ces intervalles, jusqu'à ce qu'ils perdent leur importance.
L'intervalle n'existe qu'entre les « paires
marginales » de vendeurs et d'acheteurs. Et la zone
d'indétermination se rétrécit constamment lorsque le
nombre de gens et d'alternatives augmentent sur la
marché. La croissance de la civilisation entraîne donc
toujours la réduction de l'importance des indéterminations.
En deuxième
lieu, il n'y a aucune raison pour laquelle la zone d'indétermination
serait plus grande pour le marché du travail que pour le marché
de tout autre bien.
En troisième
lieu, supposons qu'il existe effectivement une telle zone
pour le marché du travail. Et supposons qu'il n'y ait pas de syndicat.
Ceci veut dire qu'il existe un certain intervalle, dont on peut dire que sa
largeur est égale à un intervalle de valeur actualisée
du produit marginal du facteur. Ceci, entre parenthèses, est bien
moins probable que l'existence d'un intervalle pour un bien de consommation,
car dans le premier cas il y a un montant spécifique, une VAPM,
à estimer. Or, le maximum de la zone
hypothétique est le point le plus élevé auquel le
salaire égale la VAPM. Or, la concurrence entre les employeurs tendra
à faire monter le prix du facteur précisément à
ce niveau, pour lequel les profits sont éliminés. En d'autres
termes, les salaires tendront à être portés au maximum de
toute zone de VAPM.
Au lieu que les
salaires soient habituellement au bas de l'intervalle, offrant aux syndicats
une occasion en or pour tirer les salaires vers le haut, la
vérité est à peu près le contraire. En supposant
le cas très improbable pour lequel il existe une zone
d'indétermination, les salaires tendront toujours à être
au sommet, de telle sorte que la seule indétermination est
vers le bas. Les syndicats n'auraient aucune latitude pour augmenter les
salaires dans cette zone.
2) Monopsone et oligopsone
On prétend
souvent que les acheteurs de travail – les employeurs – exercent
une sorte de monopole et récoltent un gain de monopole, et qu'il n'y a
donc pas de latitude offerte aux syndicats pour faire monter les salaires
horaires sans pénaliser d'autres travailleurs. Toutefois, un tel
« monopsone » concernant l'achat de travail devrait
comprendre tous les entrepreneurs de la société. Si tel n'est
pas le cas, le travail, facteur non spécifique, pourrait alors se
déplacer vers d'autres entreprises ou vers d'autres industries. Nous
avons vu qu'un grand cartel ne peut pas exister sur le marché: un
« monopsone » ne peut par conséquent pas
exister.
Le
« problème » de
« l'oligopsone » –
« quelques » acheteurs de travail – est un faux
problème. Tant qu'il n'y a pas de monopsone, les employeurs en concurrence
tendront à faire monter les salaires jusqu'à ce que ces
derniers atteignent leurs VAPM. Le nombre de concurrents n'a
aucune importance: il dépend des données concrètes du
marché. Plus loin, nous montrerons l'erreur de l'idée d'une
concurrence « imparfaite » ou « de monopole »,
dont ceci n'est qu'un exemple. En résumé, le cas de
« l'oligopsone » repose sur une distinction entre, d'un
côté le cas d'une concurrence « pure » et
« parfaite », dans laquelle l'offre de travail serait
une courbe parfaitement horizontale – infiniment élastique
–, et d'un autre côté le cas d'un oligopsone
« imparfait » avec une offre prétendument moins
élastique. En fait, comme les gens ne se déplacent pas en
masse [en français dans le texte, NdT]
et tous en même temps, la courbe d'offre n'est jamais infiniment
élastique et la distinction n'est pas pertinente. Seule la concurrence
libre veut dire quelque chose et aucune autre dichotomie, telle que celle
entre concurrence et oligopsone, ne peut être établie. De plus,
la forme de la courbe d'offre ne change rien à la vérité
qui veut que le travail tend à obtenir, comme tout autre facteur, sa
VAPM sur le marché.
3) Meilleure efficacité et « effet Ricardo »
Un argument courant en
faveur des syndicats est celui qui prétend qu'ils rendent service
à l'économie en forçant les employeurs à payer de
plus hauts salaires. À ces salaires plus élevés, les
travailleurs deviendraient plus efficaces et leur productivité
marginale en serait augmenter. Si c'était vrai, toutefois, les
syndicats ne seraient pas nécessaires. Les employeurs le verraient et,
toujours disposés à réaliser de plus grands profits,
paieraient de meilleurs salaires pour récolter plus tard les
bénéfices de la prétendue productivité
supérieure. La réalité, c'est que les employeurs forment
souvent les travailleurs et paient des salaires plus élevés que
ne le justifierait leur productivité marginale actuelle.
Ceci afin de tirer bénéfice dans les années futures de
leur productivité améliorée.
Une variante plus
sophistiquée de cette thèse a été proposée
par Ricardo et remise en vogue par Hayek. Cette doctrine soutient que les
salaires horaires plus élevés du fait des syndicats encouragent
les employeurs à remplacer le travail par des machines. Les machines
ajoutées augmenteraient la quantité de capital par travailleur
et la productivité marginale du travail, compensant ainsi les salaires
horaires plus élevés. L'erreur réside ici dans le fait
que seule une augmentation de l'épargne peut rendre une plus grande
quantité de capital disponible. L'investissement en capital est limité
par le niveau de l'épargne. Les augmentations de salaires des
syndicats n'augmentent pas la quantité totale de capital disponible.
Il ne peut par conséquent pas y avoir d'amélioration de la
productivité du travail. Au lieu de cela, la quantité potentielle
de capital est déplacée (sans être
augmentée) vers des industries autres que celles payant les hauts
salaires. Et ce déplacement s'effectue vers des industries qui
auraient été moins profitables sans l'action syndicale. Le fait
qu'un salaire plus important déplace le capital n'indique pas un
progrès économique, mais plutôt une tentative, qui reste
toujours sans succès, de compenser une régression
économique – un coût plus élevé dans la
fabrication du produit. Par conséquent, le déplacement est
« anti-économique ».
Une thèse apparentée
consiste à dire que des salaires plus élevés pousseront
les employeurs à inventer de nouvelles méthodes techniques pour
rendre le travail plus efficace. À nouveau, la quantité de
biens du capital est limitée par l'épargne disponible et il y a
presque toujours de nombreuses occasions techniques déjà
existantes qui n'attendent qu'une plus grande quantité de capital.
Enfin, l'aiguillon de la concurrence et le désir du producteur de
garder et d'accroître sa clientèle sont des stimulants
suffisants pour augmenter la productivité de son entreprise, sans le
fardeau additionnel du syndicalisme(70).
58. Le
premier à avoir souligné l'erreur du discours habituel du
« monopole sur les salaires » des syndicats fut le
professeur Mises. Voir sa discussion brillante dans Human Action, pp. 373-374. Voir aussi P. Ford, The Economic of Collective Bargaining (Oxford: Basil Blackwell, 1958), pp. 35-40. Ford
réfute aussi la thèse soutenue par la récente
« École de Chicago » selon laquelle les
syndicats rendraient un service en tant que vendeurs de travail:
« Un syndicat ne produit pas lui-même, ni ne vend d'article
ou de travail, ni ne reçoit de paiement pour cela [...] Il peut plus
précisément être décrit comme [...] fixant les
salaires et les autres conditions dans lesquelles ses membres ont le droit de
vendre leur services à des employeurs individuels. » Ibid, p.
36.
59. On peut obtenir un prix de restriction,
plutôt qu'un prix de monopole, parce que le nombre de travailleurs est
tellement important relativement au nombre d'heures possibles de
travail d'un travailleur individuel, que ce dernier paramètre peut
être ignoré. Si, cependant, l'offre total
de travail était initialement limitée à quelques
personnes, alors un salaire horaire obligatoire plus élevé
diminuerait le nombre d'heures achetées aux travailleurs ayant un
emploi, à un point tel peut-être que le prix de restriction se
révèlerait non profitable pour eux. Il serait alors
approprié de parler de prix de monopole.
60. Cf. Mises, Human Action, p. 764.
61. Voir Charles E. Lindblom, Unions and Capitalism (New Haven: Yale University Press, 1949), pp. 78 et suivantes, 92-97, 108, 121, 131-132, 150-152, 155. Voir aussi Henry C. Simons,
« Some Reflections on Syndicalism » in Economic Policy dor a Free Society (Chicago: University of Chicago Press, 1948), pp. 131,
p. 139; Martin Bronfenbrenner, « The
Incidence of Collective Bargaining », American Economic Review, Papers ans Proceedings, Mai, 1954, pp. 301-3002; Fritz Machlup, « Monopolistic Wage Determination as
a Part of the General Problem of Monopoly » in Wage Determination and the Economics of Liberalism (Washington D. C.: Chamber of Commerce of the United
States, 1947), pp. 64-65.
62. Voir Murray N. Rothbard, « Mises'
‘Human Action': Comment », American Economic Review, Mars 1951, pp.
183-184.
63.
Ceci est également vrai, et de façon encore plus flagrante,
pour comprendre l'effet des mesures de l'intervention du gouvernement sur le
marché. Voir le chapitre 12 de cet ouvrage [Man, Economy, and State].
64. Voir James Birks, Trade Unionism in Relation to Wages (Londres, 1897), p. 30.
65. Voir James Birks, Trade's Unionism: A Criticism and a Warning (Londres, 1894), p. 22.
66.
Nous pouvons ne nous occuper ici que des conséquences catallactiques
directes du syndicalisme. Ce dernier a également d'autres
conséquences que beaucoup considèrent comme encore plus
déplorables. La principale est de réunir dans un groupe unique
le compétent et l'incapable. Les règles de l'ancienneté
sont, par exemple, une disposition favorite des syndicats. Elles mettent en
pratique des salaires de restriction élevés pour les
travailleurs les moins aptes et abaisse la productivité de tous. Mais
elles réduisent aussi les
salaires des plus capables – ceux qui doivent rester prisonniers de la
progression abrutissante à l'ancienneté pour leurs promotions.
Cette règle de l'ancienneté diminue aussi la mobilité
des travailleurs et crée un type de servage industriel en
établissant des droits acquis dans des emplois, selon le temps qu'y
ont passé les employés. Cf. David McCord Wright, « Regulating
Unions » in Bradley, op. cit., pp. 113-121.
67.
Ceux qui étudient les syndicats ont presque toujours ignoré
l'usage systématique de la violence par les syndicats. Pour une
exception bienvenue, voir Sylvester Petro, Power Unlimited (New York:
Ronald Press, 1959). Voir aussi F.A. Hayek,
« Unions, Inflation, and Profits »,op. cit., p. 47.
68. Sur la nature et les conséquences de
ces divers critères de détermination des salaires, voir Ford, op. cit., pp. 85-110.
69. Voir l'excellente critique de Hutt, The Theory of Collective Bargaining, passim.
70. Sur l'effet Ricardo, voir Mises, Human Action, pp. 767-770. Voir aussi la critique
détaillée de Ford, op. cit., pp. 56-66, qui montre comment les pratiques
syndicales ont empêché la mécanisation, en imposant des
règles du travail restrictives et en agissant rapidement pour
recueillir tous les gains possibles résultant d'un nouvel
équipement.
Article
originellement publié par le Québéquois
Libre ici
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