Première
partie : Apports conceptuels et actualité
Éclipse en France et renaissance
aux États-Unis
Avec
le XXe siècle, la montée du socialisme chez les intellectuels
et l’irruption des régimes totalitaires en Europe, la
connaissance et la popularité de Bastiat ont disparu en France. Il
faut attendre la fin de la Seconde Guerre mondiale pour voir
réapparaitre Bastiat aux États-Unis. Un des artisans de ce
renouveau est Ludwig von Mises, qui a fui
l’Europe en 1940. Installé à New York, il organise des
séminaires qui attirent des esprits remarquables : George Stigler,
Milton Friedman, tous deux futurs lauréats du Prix Nobel
d’économie, Israël Kirzner, mais
aussi des écrivains comme Henry Hazlitt. Ce dernier popularise la
pensée de Bastiat à travers son livre L’économie en une leçon. En
1969, Dean Russell publie Frédéric
Bastiat : Ideas & Influence (Frédéric Bastiat :
Idées & Influence), le premier ouvrage entièrement
consacré à Bastiat jamais publié en anglais. Ce livre
fut publié par la Foundation for Economic Education. Mais dès les années
1950, la même organisation avait déjà publié The Law, une traduction anglaise de La loi qui se vendra à plus
d’un million d’exemplaires.
Bastiat
précurseur de l’école des choix publics.
Bien
avant les économistes du « Public Choice
» au XXe siècle, Bastiat a démystifié
l’État et a montré que lorsqu’un gouvernement
outrepasse sa mission de défense des personnes et des biens, il incite
les groupes d’intérêt à rechercher des
privilèges et à influer sur le pouvoir pour obtenir des
avantages au détriment des contribuables et des consommateurs. «
L'État, c'est la grande fiction à travers laquelle tout le
monde s'efforce de vivre aux dépens de tout le
monde », écrivait Frédéric Bastiat dans
un pamphlet intitulé L'État. Certains groupes
d'intérêts particuliers ont compris qu’il était
plus facile de gagner de l’argent par l’engagement politique que
par des comportements productifs. Ils cherchent à voler l'argent des
autres sous l'égide de l'État, sapant la capacité de
production du marché par la multiplication des lois, des taxes et des
contraintes bureaucratiques.
Aujourd’hui,
il est de plus en plus difficile de financer les promesses électorales
qui se multiplient au fil du temps. La crise de la dette publique souveraine
en est une preuve suffisante. Toute analyse rationnelle digne de ce nom
démontre que l’État est de plus en plus incapable de
s'acquitter de ses obligations et que les promesses de nouveaux droits ne
seront pas tenues.
Cela
n’empêche pas Dominique de Villepin, par exemple, de proposer
dans son programme présidentiel un revenu universel d'assistanat
de 850 euros par mois pour tous. Et cela n’empêchera pas non plus
l’électeur de voter pour lui. Malheureusement, l'électeur
moyen est rationnellement ignorant des conséquences économiques
des programmes qui lui sont proposés. Car la plupart des citoyens ne sont pas des militants
politiques mais des consommateurs. Quand ils votent, les
électeurs soutiennent les candidats qui leur promettent de vivre aux
dépens de l'État. Ils ignorent le fait que l'État vit
à leurs dépens.
En effet, Bastiat insiste sur le fait que le
gouvernement ne produit aucune richesse. « Sous la
dénomination d'État, on considère la collection des
citoyens comme un être réel, ayant sa vie propre, sa richesse
propre, indépendamment de la vie et de la richesse des citoyens
eux-mêmes, et puis chacun s'adresse à cet être fictif pour
en obtenir qui l'instruction, qui le travail, qui le crédit, qui les
aliments, etc., etc. Or, l'État ne peut rien donner aux citoyens qu'il
n'ait commencé par le leur prendre » (Propriété et Spoliation). L’État doit nécessairement prendre aux uns pour
donner aux autres. Déshabiller Pierre pour habiller Paul est l'essence
même de l’État.
Bastiat et
l’école autrichienne
Selon Bastiat, il est nécessaire de
considérer l'économie du point de vue du consommateur. Tous les
phénomènes économiques doivent être jugés
selon les avantages et les inconvénients qu'ils apportent au consommateur.
Bastiat souligne
constamment que la consommation constitue la finalité de toute
activité économique, la production n'étant qu'un moyen.
Le sacrifice de l'intérêt du consommateur à celui du
producteur n'est que le « sacrifice de la fin aux moyens ».
Ce
point a retenu particulièrement l’attention de Mises dans L’Action humaine. Selon Mises, les gens qui
s'imaginent que les grandes entreprises ont un pouvoir énorme se
trompent eux aussi, car les grandes entreprises dépendent entièrement
de la clientèle qui achète leurs produits : la plus grosse
entreprise perd sa puissance et son influence dès qu'elle perd ses
clients. Dans le système capitaliste, ceux qui commandent en dernier
ressort sont les consommateurs.
Mises
écrit par exemple dans Politique Économique :
« Dans tous les problèmes économiques, nous devons
avoir à l'esprit les mots du grand économiste français
Frédéric Bastiat, qui intitula l'un de ses brillants essais :
« Ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas ». Afin
de comprendre le fonctionnement d'un système économique, nous
devons prendre en considération non seulement les choses qui sont
visible, mais aussi prêter attention à celles qui ne peuvent
être perçues immédiatement. Par exemple, lorsqu'un patron
commande quelque chose au garçon de bureau, cet ordre peut être
entendu de toute personne présente dans la pièce. Ce qui ne
peut être entendu, ce sont les ordres donnés au patron par ses
clients. »
Jörg Guido Hülsmann, le biographe de Mises,
considère Bastiat comme « un précurseur des chercheurs
actuels qui unifient droit et économie en une seule
discipline ».
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