|
Répudier
la dette publique ? Affirmer simplement et brutalement que l’on ne
paiera pas ? L’idée semble farfelue, relevant davantage de
la discussion à table que de la politique économique. Immorale,
aussi, envers les
créanciers de l’État. Suicidaire enfin, et cela sur tous
les plans. Celui de l’État, tout d’abord, qui
s’interdirait par là-même tout recours futur à
l’endettement. Celui de l’économie dans son ensemble,
ensuite. D’une part, l’incapacité de l’État
à emprunter impliquerait une chute brutale des dépenses
publiques, et donc de la demande globale. D’autre part, la contagion
aux banques entraînerait elle-même une restriction considérable
du crédit, avec les mêmes conséquences.
La
répudiation de la dette publique a pourtant été
défendue par l’un des grands économistes du XXº
siècle, Murray Rothbard, auquel on doit le
renouveau, au milieu même des années 60, de
l’approche libérale
en économie politique.
Ardent
défenseur des droits de propriété, et farouche opposant
à l’arbitraire de l’État, comment cet auteur
pouvait-il accepter que l’État vole les détenteurs de ses
obligations ? N’y a-t-il pas là une flagrante
contradiction ? Absolument pas, prétendait Rothbard
car, malgré leur apparente proximité, emprunt public et emprunt
privé sont de nature différentes. Lorsqu’un acteur de
l’économie prête son épargne à
l’État, le revenu dont il achète le droit par ce contrat
qu’est l’obligation souveraine, est en effet une taxation future.
Or, du point de vue de Rothbard, c’est cette
taxation qui relève du vol, car elle est un transfert contraint et
forcé de propriété. Pour cette raison, tout titre de
créance sur un État serait, par principe, nul et non
avenu ; et la répudiation de la dette, la simple reconnaissance
d’un état de fait prenant les créanciers à leur
propre piège.
Qu’en
est-il, maintenant, des conséquences dramatiques d’un
défaut définitif ? La théorie des cycles
économiques développée par Rothbard
s’oppose diamétralement à l’approche keynésienne.
D’après lui, le règlement d’une crise ne peut
passer par une politique de relance, mais doit nécessairement prendre
la forme d’une « liquidation » des mauvais
investissements engendrés, précisément, par de telles
« stimulations » de l’activité.
Cette approche
est souvent jugée simpliste, se contentant de
« laisser faire ». Du point de vue de Rothbard, la liquidation est pourtant le seul moyen de
connaître les problèmes mis en évidence par la crise,
ainsi que de les résoudre, en les laissant se régler par le
même processus qui les met en évidence : la faillite.
De ce point de
vue, le chaos tant redouté (celui d’une contagion des
banqueroutes bancaires) apparaît comme une remise en ordre
spontanée et positive. Certes, ses coûts immédiats peuvent
être terribles. Là encore, la théorie rothbardienne
se distingue pourtant des autres analyses de l’économie. Selon
elle, l’intensité et l’extension de la crise, sources de
tant de crainte, sont d’une importance relative comparée
à sa durée. Le pire, en effet, serait que le politique
s’empare de la crise, donc de l’économie, et,
prétendant contenir ses effets, la transforme en une longue
dépression.
C’est
dans cette même perspective que Rothbard
analysait les conséquences d’une répudiation en termes
d’impact sur les dépenses publiques. Certes, celles-ci seraient
drastiquement réduites. Mais c’était là,
d’après lui, un argument en faveur de la répudiation, et
l’un de ses plus grands bénéfices. L’idéal,
ironisait-il, serait qu’elle empêche effectivement les
États de s’endetter à l’avenir, et discipline leurs
budgets.
En effet, ce
n’est pas la répudiation qui est irrationnelle, mais bien
plutôt l’objection selon laquelle il faudrait maintenir la
dépense publique pour maintenir l’activité. Car le
problème est précisément que l’activité
dépende à ce point de la dépense, et surtout de
l’endettement publics.
On a coutume
de dire que l’on commence à se droguer pour se sentir bien, mais
que l’on continue et que l’on ne peut s’arrêter ni
cesser d’augmenter les doses pour ne pas se sentir mal. Qui irait dire
qu’une cure de désintoxication est une solution simpliste et
illusoire ?
|
|