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On le dit ennuyeux, technocrate, sans charisme, et
pourtant, cet homme a dans les mains les dernières cartes qui peuvent
peut être, encore, sauver la situation européenne non pas d'une
récession, là, c'est beaucoup trop tard, mais, à tout le
moins, d'un écroulement généralisé.
Mariano Rajoy va prendre en mains le destin de
l'Espagne. Avant même les premières heures de son mandat, il
fera face à la menace d'une strangulation budgétaire par risque
d'incapacité, pour son pays, d'emprunter à des taux soutenables,
les dernières enchères de bons à 10 ans s'étant
conclues autour de 7%. Pour l'instant, aucun signe ne montre que la hausse de
ces taux pourrait s'arrêter. Avec un taux de chômage officiel
excédent 21%, les perspectives de l'économie ibérique
semblent sombres.
Une courte fenêtre de tir
Pourtant, fin 2011, la dette espagnole sera de "seulement" 67% de
son PIB. Même si cela dépasse le défunt seuil
indépassable fixé par le traité de Maastricht, cela
reste nettement moins que pour la France et l'Allemagne, à plus de
80%. Pourquoi, alors, tant de craintes sur l'économie
péninsulaire ?
Parce que l'Espagne est plombée par des anticipations
particulièrement pessimistes sur son secteur financier. Cela est
dû principalement à l'éclatement d'une bulle
immobilière de dimensions spectaculaires, le taux officiel de
prêts non performants dans les bilans bancaires atteignant 7%, et
risquant fort d'augmenter encore. Ajoutons à cela que de nombreuses
collectivités locales, qui ont très mal géré les
revenus exceptionnels nés de la période de bulle
immobilière, sont au bord de la faillite.
Aussi, les investisseurs sur la dette souveraine sont confrontés au
risque d'un besoin de "sauvetage" massif, auquel l'état, de
toute façon, ne pourrait pas faire face. L'Espagne semble
financièrement piégée. Mais que cette peur d'un
sauvetage bancaire disparaisse, et la dette espagnole redeviendrait
certainement remboursable vue des investisseurs, et du coup, les taux
demandés pourraient décroître.
Mariano Rajoy a un avantage sur la plupart des
chefs de gouvernement nouvellement élus : il n'a fait aucune promesse
démagogique pour arriver au pouvoir, et n'a promis
qu'austérité, sueur et larmes. Par conséquent, M. Rajoy aura l'opportunité de prendre des
décisions réellement innovantes qui pourraient effectivement
enclencher un processus d'inversion de la spirale négative qui affecte
non seulement l'Espagne, mais toute l'Europe. Comment cela ?
Eloigner le spectre d'un "bailout"
Tout d'abord, notons que l'austérité, à elle seule, ne
suffira pas, si chaque point de PIB de coupe dans les dépenses est
effacé par une hausse des taux d'intérêts sur les
tranches d'emprunt arrivées à échéance.
En complément d'indispensables coupes dans les dépenses
publiques, M. Rajoy doit impérativement
casser ce cycle d'augmentation des taux. Le seul moyen d'y parvenir est de
lever l'hypothèque, c'est le cas de le dire, d'un gigantesque
écroulement désordonné d'un secteur bancaire too big to save,
propulsant l'Espagne, et avec elle la zone Euro, dans un chaos financier sans
précédent.
Comment peut il y arriver ? Simplement en
introduisant une loi de gestion ordonnée des faillites bancaires sans
implication du contribuable. Et comment de telles faillites sont-elles
possibles ? Par échange de dettes contre capital, l'opération
étant effectuée en un week-end sur toute banque insolvable sous
supervision de l'autorité judiciaire gérant les faillites
d'entreprises, selon des règles écrites à l'avance*. Le
processus a été de nombreuses fois décrit ici, et
permettrait d'éviter que les comptes bancaires des simples
déposants et des entreprises ne soient gelés, évitant un
choc fatal pour l'économie. Naturellement, si un détenteur
d'obligations bancaires venait à être lui-même
placé en faillite par la disruption de cash née de cette
conversion, il subirait le même sort, ce qui initierait certainement
une vague de faillite financières ordonnées qui
éclabousserait le moins possible l'économie privée non
financière ou immobilière.
*Mes lecteurs réguliers diront que je radote et que je recycle la
même idée en boucle. J'assume. Nous ne sommes pas assez nombreux
à défendre l'idée.
Les banques qui, malgré cette conversion des dettes
financières, présenteraient un bilan trop dégradé
pour pouvoir continuer, se verraient liquidées par la banque centrale
espagnole selon la méthode expérimentée avec
succès par l'ancien gouverneur de la banque centrale serbe Mladjan Dinkic au tournant du
nouveau millénaire. Dans cette configuration, la banque déchue
est fermée, et les comptes des déposants sont
transférés pour une période courte à la banque
centrale qui honore les instruments de paiement simples (virements
électroniques, éventuellement chèques) et permet des
retraits en liquide limités, le déposant ayant trois à
six mois pour indiquer à l'autorité vers quelle nouvelle
banque, cette fois assainie, transférer ses avoirs. Les actifs encore
sains de la banque liquidée fourniraient le collatéral, les
fonds assuranciels accumulés par les autorités, ou, au pire, et
sous de très strictes conditions, une monétisation de dernier
ressort, permettant de combler le probable léger écart entre avoirs
transférés et valeur du collatéral.
Redresser la balance budgétaire
La seconde étape susceptible de sortir l'Espagne de ses
problèmes budgétaires actuels, également en
complément d'une coupe dans les dépenses, est de permettre une
réintégration aussi large que possible de son important secteur
informel dans son assiette taxable. Ceci n'aura pas seulement pour effet
d'améliorer les rentrées fiscales, mais aussi et surtout de
permettre à des dizaines de petites entreprises qui doivent
aujourd'hui limiter leur croissance (ou acheter les autorités !) pour
ne pas "se faire prendre", de concentrer leur gestion sur leur
création de valeur et non sur les façons d'échapper au
fisc.
Et pour cela, rien ne vaut la magie de ces impôts à assiette
large et taux unique faibles que l'on nomme "flat tax",
expérimentés avec succès par nombre de pays de l'Est
pourtant sortis de crises bien plus dures que celle vécue par
l'Espagne aujourd'hui, et qui ont pour principale caractéristique de
renforcer considérablement les incitations au "civisme
fiscal". Bien sûr, le gouvernement espagnol aura tout
intérêt à coupler cette transformation de son imposition
à des réformes plus profondes de ses modes d'action, mais je ne
puis dire lesquelles vu de mon fauteuil ligérien.
Le sauvetage de l'Europe, encore possible ?
Un tel exemple de restructuration réussie des banques les moins
solides sans ponction sur les contribuables, et un tel changement de
paradigme fiscal, briserait les barrages érigés par le
politiquement correct socialisant, qui a entravé la
prospérité de la zone euro cette dernière
décennie, et pourrait déclencher des réformes similaires
dans d'autres pays. La Grèce et l'Italie, et leurs gouvernements de
technocrates, pourraient alors plus facilement suivre l'exemple espagnol. Et
même notre vieille France, malgré la sclérose de ses
esprits et de ses politiciens, pourrait alors se dire que, peut-être,
"la solution est ailleurs". Et tout cela, sans recours à des
schémas de Ponzi tels que l'EFSF ou à
une impression monétaire massive par la BCE.
Cela suffirait-il à sauver l'Europe d'un écroulement
généralisé ? Je l'espère, mais je ne puis en
être certain, car le temps manque et la situation est très
dégradée. De plus, rien ne dit que Mariano Rajoy
saura écouter les bons économistes de son pays. Le fait est que
j'accorde au scénario qui précède moins de 10% de
probabilités de se produire.
Mais si cela était le cas, alors cela nous permettrait d'envisager,
sinon plus sereinement, du moins sans panique financière, des
évolutions structurelles plus importantes au niveau européen :
Etalon Or ? Vraie subsidiarité de la base vers le sommet, façon
helvétique ? Mais c'est une autre histoire...
Vincent
Bénard
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