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article tiré du "Symposium
sur l'immigration"
publié par The
Journal of Libertarian Studies, volume 13 (2), été
1998;
[Le numéro du "Journal of Libertarian Studies" dont
est tiré cet article offre différents points de vue pour et
contre une immigration incontrôlée, NdT]
On prétend
fréquemment que le "libre échange" va de pair avec la
"libre immigration" comme le "protectionnisme" avec
"l'immigration contrôlée". Par-là, on affirme
que s'il n'est pas impossible que quelqu'un puisse combiner protectionnisme
et libre immigration, ou libre échange et immigration
contrôlée, ces positions sont intellectuellement
incohérentes, et donc erronées. Ainsi, pour autant que les gens
cherchent à éviter les erreurs, ces exemples devraient
être l'exception plutôt que la règle. Les faits, pour
autant qu'ils soient significatifs, semblent conforter cette affirmation.
Comme le montrent, par exemple, les primaires des élections
présidentielles du Parti républicain de 1996, la plupart de
ceux qui défendaient le libre échange étaient des
avocats d'une immigration relativement (si ce n'était pas totalement)
libre et non discriminatoire, alors que la plupart des protectionnistes
étaient des défenseurs de politiques d'immigration
limitée et sélective.
Je soutiendrai ici,
contrairement aux apparences, que cette thèse et son affirmation
implicite sont fondamentalement erronées. En particulier, je
démontrerai que le libre échange et l'immigration
contrôlée sont non seulement des positions parfaitement
cohérentes mais même qu'elles sont des politiques qui se
renforcent mutuellement. Ce qui veut dire que ce ne sont pas les avocats du libre-échange
et d'une immigration limitée qui sont dans l'erreur, mais les adeptes
du libre-échange et de la libre immigration. En supprimant la
"culpabilité intellectuelle" de la position "libre
échange et immigration limitée" et en la replaçant
où elle doit se trouver, j'espère promouvoir un changement dans
l'état actuel de l'opinion et faciliter un réalignement
politique substantiel.
Pour le libre échange
Depuis l'époque de
Ricardo, les bienfaits du libre-échange sont logiquement
irréfutables. Pour les besoins de l'argumentation, il est utile de
résumer rapidement pourquoi. La preuve consistera en une
démonstration par l'absurde de la thèse protectionniste,
présentée le plus récemment par Pat Buchanan [qui fut le
candidat de l'alliance des paléo conservateurs et des
paléolibertariens (le John Randolph Club) dont faisaient partie Murray
Rothbard et Lew Rockwell (l'autobiographie de Pat Buchanan parle de Rothbard
comme d'un "cherished friend of mine" et Buchanan avait par
ailleurs déclaré que le "Rothbard-Rockwell Report"
était son périodique favori). Rothbard et Rockwell ont cependant
toujours défendu ou défendent encore le libre échange
total. Il ne faut par ailleurs pas confondre Pat Buchanan, ancien membre du
gouvernement Reagan, et James Buchanan, l'économiste
co-créateur de l'Ecole des choix publics. Ndt].
L'argument central offert
en faveur du protectionnisme est la préservation des emplois
nationaux. Comment les producteurs américains qui paient 10 dollars de
l'heure peuvent-ils concurrencer les Mexicains qui paient moins d'un dollar
par heure ? Ils ne le peuvent pas, et les emplois américains seront
perdus à moins que des tarifs douaniers soient imposés pour
isoler les salaires américains de la compétition mexicaine. Le
libre échange ne serait ainsi possible qu'entre pays avec des salaires
égaux, et se concurrençant ainsi "dans des conditions
égales". Tant que ce n'est pas le cas - comme entre les
États-Unis et le Mexique - il faudrait égaliser les conditions
par des tarifs douaniers. Buchanan et l’autre protectionniste
prétendent que la puissance intérieure et la
prospérité sont les conséquences d'une politique de
protection du travail national. Comme soutien à cette thèse, on
cite les exemples des pays qui appliquaient le libre échange et qui
ont perdu leur position économique autrefois prédominante,
comme l'Angleterre du 19ème siècle, et les exemples des pays
protectionnistes qui ont pris leur place, comme les États-Unis du
19ème siècle.
Tout ceci, comme les
autres preuves empiriques de la thèse protectionniste doivent
être rejetées immédiatement, car elles consistent
à commettre l'erreur de conclure que ce qui suit un fait doit en
être une conséquence (post hoc, ergo propter hoc). La
déduction d'après des données historiques n'est pas plus
convaincante que de tirer, du fait que les riches consomment plus que les
pauvres, la conclusion que c'est la consommation qui rend riche. En fait, les
protectionnistes comme Buchanan n'arrivent pas à comprendre ce qui est
en jeu lorsqu'ils défendent leur thèse. Tout argument en faveur
du protectionnisme international est en même temps un argument en
faveur du protectionnisme interrégional et inter-quartiers. Tout comme
il existe des différences de salaires entre les États-Unis
d'une part, le Mexique, Haïti ou la Chine d'autre part, il existe
également de telles différences de salaires entre New York et
l'Alabama ou encore entre Manhattan et le Bronx ou Harlem. Ainsi, s'il
était vrai que le protectionnisme international pouvait rendre une
nation entière prospère et forte, il devrait être vrai
aussi que le protectionnisme régional ou local pourrait rendre des
régions ou des quartiers prospères et forts. En fait, on
pourrait même aller plus loin. Si l'argument protectionniste
était valide, il reviendrait à mettre en accusation tout
échange, et à défendre la thèse selon laquelle
tout un chacun serait le plus prospère et le plus fort s'il
n'échangeait avec personne et restait dans un état d'isolement
autosuffisant. Il est évident que dans ce cas plus personne ne
perdrait son emploi et le chômage dû à une
compétition "injuste" serait réduit à
zéro. En allant jusqu'au bout des implications de l'argument
protectionniste nous avons ainsi montré son absurdité
complète, car une telle "société de plein
emploi" ne serait pas forte et prospère ; elle serait
composée de gens qui, malgré un travail de jour comme de nuit,
seraient condamnés à la misère, voire à la famine
et à la mort.
Le protectionnisme
international, bien qu'à l'évidence moins destructeur qu'une
politique de protectionnisme régional ou de quartier, aurait
précisément les mêmes effets et constituerait une recette
infaillible pour un déclin économique américain plus
grand. Bien sûr, quelques emplois et industries américains
seraient sauvés, mais à un certain prix. Le niveau de vie et le
revenu réel des consommateurs américains de produits étrangers
serait forcément réduit. Les coûts monteraient pour tous
les producteurs des États-Unis qui emploient des produits du secteur
protégé comme matière première, et ces
producteurs seraient moins compétitifs au niveau international. De
plus, que peuvent donc faire les étrangers avec l'argent qu'ils ont
gagnés en exportant vers les États-Unis ? Ils peuvent soit
acheter des biens américains, soit l'investir en Amérique.
Ainsi, pour sauver quelques emplois inefficaces aux États-Unis, un
bien plus grand nombre d'emplois efficaces américains serait détruit
ou empêchés de voir le jour.
Par conséquent, il
est absurde de prétendre que l'Angleterre a perdu sa
prééminence à cause de sa politique de libre-échange.
Elle l'a perdu malgré sa politique libre-échangiste
et à cause des politiques socialistes qu'elle a
adoptés par la suite. De même, il est absurde de dire que la
montée en puissance de l'économie américaine au cours du
19ème siècle était due au protectionnisme. Les
États-Unis ont obtenu leur position prédominante malgré leur protectionnisme et à cause de leur politique intérieure
de laisser faire sans égale. En réalité, le
déclin économique actuel de l'Amérique, que Buchanan
veut inverser, est le résultat, non pas des politiques de libre
échange, mais du fait qu'elle a, au cours du 20ème
siècle, adopté petit à petit les mêmes politiques
socialistes qui avaient auparavant ruiné l'Europe.
Echange et immigration
Ayant défendu le
libre échange, nous allons maintenant développer la
défense de la combinaison de restrictions à l'immigration et
d'une politique de libre-échange. Plus particulièrement nous
construirons une défense de plus en plus forte pour les restrictions
à l'immigration : nous partirons de l'affirmation initiale faible que
libre échange et immigration limitée peuvent aller ensemble et
ne s'excluent pas mutuellement pour aboutir à l'affirmation finale
forte que les principes soutenant le libre échange demandent en fait
de telles limitations.
Dès le départ,
il faut souligner que même la politique de restriction de l'immigration
la plus sévère ou la forme la plus exclusive de la
ségrégation n'ont rien à voir avec un rejet du libre-échange
et avec l'adoption du protectionnisme. Du fait que l'on ne veuille pas
s'associer ou vivre avec des Mexicains, des Haïtiens, des Chinois, des
Coréens, des Allemands, des Catholiques, des Musulmans, des Hindous,
etc., il ne suit pas que l'on ne veuille pas échanger avec eux
à distance. De plus, même s'il était vrai que le revenu
réel augmenterait suite à l'immigration, il ne s'ensuivrait pas
que l'immigration soit "bonne", la richesse matérielle
n'étant pas la seule chose qui compte. Plus exactement, ce qui
constitue le "bien-être" et la "richesse" est subjectif, et on peut préférer
un niveau de vie matériel plus faible avec une distance plus grande
vis-à-vis de certaines autres gens à un niveau de vie
matériel plus élevé et une distance plus faible. C'est
précisément le caractère absolument volontaire de
l'association et de la séparation humaines - donc l'absence de toute
forme d'intégration forcée - qui rend possible les relations
paisibles - le libre échange - entre des peuples racialement,
ethniquement, linguistiquement, religieusement ou culturellement distincts.
La relation entre
l'échange et la migration est une relation de substituabilité
élastique (plutôt que d'exclusivité rigide) : plus (ou
moins) vous avez de l'un, moins (ou plus) vous avez besoin de l'autre. Les
autres choses étant égales, les entreprises partent vers les
zones de faibles salaires et le travail part vers les zones de hauts
salaires, ce qui conduit à la tendance à égaliser les
salaires (pour le même type de travail) et à l'optimisation de
l'emplacement du capital. Avec des frontières politiques
séparant les zones de hauts et de faibles salaires, et avec des
politiques d'échanges nationaux (à l'échelle de la
nation) et d'immigration, ces tendances naturelles - d'immigration et
d'exportation du capital - sont affaiblies par le libre échange et
renforcée par le protectionnisme. Tant que les produits mexicains -
les produits de la zone à faibles salaires - peuvent entrer librement
dans une zone à hauts salaires comme les États-Unis,
l'incitation des Mexicains à émigrer vers les États-Unis
est réduite. Au contraire, si les produits mexicains sont
empêchés d'entrer sur le marché nord-américain, la
tentation des travailleurs à partir pour les États-Unis
augmente. De même, quand les producteurs nord-américains sont
libres d'acheter et de vendre aux producteurs et consommateurs mexicains, les
exportations de capital des États-Unis vers le Mexique seront réduites
; cependant, si les producteurs nord-américains sont
empêchés de le faire, la tentation de délocaliser la
production des États-Unis vers le Mexique augmente.
De façon similaire,
la politique des échanges intérieurs affecte l'immigration tout comme la
politique des échanges extérieurs des États-Unis. Le libre
échange intérieur est ce qui est typiquement appelé le
capitalisme de laissez-faire.
En d'autres termes, le gouvernement national suit une politique de
non-intervention en ce qui concerne les transactions volontaires entre
partenaires intérieurs (citoyens) sur leur propriété
privée. La politique du gouvernement consiste à protéger
les citoyens et leur propriété privée de l'agression
intérieure, des dommages ou de la fraude (tout comme dans le cas des
échanges internationaux et des agressions de l'étranger). Quand
les États-Unis suivent une politique stricte de libre échange
intérieur, l'immigration en provenance de régions à
faibles salaires, comme le Mexique, est réduite, alors que quand ils
poursuivent une politique "sociale", cette même immigration
est rendue plus attractive.
"Frontières
ouvertes", invasion et intégration forcée
Si les États-Unis
s'engagent dans la voie du libre-échange sans entrave, au niveau
international comme au niveau national, la pression de l'immigration en
provenance des pays à bas revenus sera faible ou réduite et,
donc, la question de l'immigration sera moins urgente. D'un autre côté,
si les États-Unis s'engagent dans la voie d'une politique
protectionniste à l'encontre des produits en provenance des pays
à bas revenus et dans la voie d'une politique d'Etat-providence
à l'intérieur, la pression de l'immigration restera
élevée ou même augmentera, et la question de
l'immigration prendra une grande importance dans le débat public.
A l'évidence, la
plupart des régions à hauts revenus - l'Amérique du Nord
et l'Europe de l'Ouest - sont dans la deuxième situation, dans
laquelle l'immigration est devenue un sujet public de plus en plus urgent. A
la lumière d'une immigration sans cesse croissante en provenance des
pays à bas salaires, trois stratégies générales
d'immigration ont été proposées : immigration totalement
libre, immigration libre conditionnelle et immigration limitée. Bien
que nos préoccupations se portent principalement sur les deux
dernières possibilités, quelques remarques sur l'immigration
totalement libre sont nécessaires, ne serait-ce que pour illustrer
l'étendue de la faillite intellectuelle.
A en croire les partisans
de l'immigration totalement libre, les États-Unis en tant que zone à hauts salaires
bénéficieraient toujours de l'immigration ; ainsi, ils
devraient conduire une politique de frontières ouvertes, sans prendre
en compte les conditions existantes, i.e., même si les
États-Unis mènent une politique de protectionnisme ou d'Etat
providence. Il est sûr qu'une telle proposition est
considérée par toute personne raisonnable comme folle.
Supposons que les États-Unis, ou mieux encore la Suisse, annoncent
qu'il n'y aura plus de contrôles aux frontières, que tous ceux
qui peuvent payer le voyage auront le droit d'entrer dans le pays et, en tant
que résidents, auront droit à toutes les mesures sociales
intérieures "normales". N'y a-t-il pas de doute sur le
caractère désastreux d'une telle expérience dans le
monde actuel ? Les Etats-Unis, et plus rapidement encore la Suisse, seraient
envahis par des millions d'immigrants du tiers-monde, parce que la vie dans
les rues publiques des États-Unis ou de la Suisse est confortable
comparée à la vie dans de nombreuses zones du tiers-monde. Les
coûts sociaux grimperaient très vite et l'économie
étranglée se désintégrerait et s'effondrerait,
car les moyens d'existence - le stock de capital accumulé dans le
passé et hérité de celui-ci - serait pillé. La
civilisation disparaîtrait aux États-Unis ou en Suisse, comme
elle a disparu à Romme ou en Grèce.
Comme l'immigration
totalement libre doit être considérée comme conduisant au
suicide national, la position typique des libre-échangistes est
l'immigration libre conditionnelle. D'après cette idée, les
États-Unis et la Suisse devraient d'abord revenir au libre-échange
total et abolir tous les programmes sociaux financés par les
impôts, et alors seulement ils pourraient ouvrir leurs
frontières à tous ceux qui voudraient venir. Dans l'intervalle,
quand l'Etat-providence est encore en place, l'immigration devrait être
sujette à la condition que les immigrants soient exclus des droits aux
mesures sociales.
Bien que l'erreur de cette
idée soit moins évidente et les conséquences moins
dramatiques que celles associées à l'immigration libre
inconditionnelle, ce point de vue est néanmoins erroné et
dommageable. Il est certain que la pression de l'immigration sur la Suisse et
les États-Unis serait réduite si l'on suivait cette
proposition, mais elle ne disparaîtrait pas. En fait, avec des
politiques de libre échange, tant international que national, les
salaires en Suisse et aux États-Unis pourraient augmenter encore
relativement à ceux des autres zones (soumises à des politiques
économiques moins éclairées). Donc, les deux pays
pourraient devenir encore plus attirants. En tout état de cause, la
pression immigrationniste subsisterait et une politique d'immigration devrait
continuer à exister. Les principes de base du libre-échange
impliquent-ils une politique "d'immigration libre" conditionnelle ?
La réponse est non. Il n'y a pas d'analogie entre libre échange
et libre immigration, entre limitation des échanges et limitation de
l'immigration. Les phénomènes de l'échange et de
l'immigration sont fondamentalement différents, et la signification
des mots "libre" et "limité" en conjonction avec
les deux termes est totalement différente. Les individus peuvent
bouger et migrer ; les biens et les services ne le peuvent pas par
eux-mêmes.
Pour le dire autrement,
alors que quelqu'un peut aller d'un endroit à un autre sans qu'un
autre veuille qu'il le fasse, les biens et les services ne peuvent se
déplacer d'un endroit à un autre à moins que celui qui
les envoie et celui qui les reçoit ne soient d'accord. Aussi triviale
que cette distinction puisse être, elle a des conséquences
capitales. Car libre en conjonction avec l'échange
veut dire échange uniquement à l'invitation de propriétaires
et d'entreprises privés ; et échange limité ne veut pas dire protection des
propriétaires et des entreprises par rapport à des biens et des
services non voulus, mais invasion et abrogation du droit des
propriétaires et des entreprises privés à lancer ou
refuser des invitations sur leur propre propriété. Au
contraire, libre en conjonction avec l'immigration ne
veut pas dire immigration par initiation lancée par des
propriétaires et des entreprises privés, mais invasion non
voulue et intégration forcée ; et immigration limitée veut en
réalité dire, ou au moins peut vouloir dire, protection des
propriétaires et des entreprises par rapport à une invasion non
désirée et une intégration forcée. Par
conséquent, en défendant le libre échange et l'immigration
limitée, on suit le même principe : demander une invitation pour
les individus comme pour les biens et les services.
Au contraire, les avocats
du libre-échange et du marché libre qui adoptent l'immigration
libre (inconditionnelle) sont intellectuellement incohérents. Libre
échange et marché libre signifient que les propriétaires
privés peuvent recevoir ou envoyer des biens entre eux sans
intervention du gouvernement. Le gouvernement reste inactif vis-à-vis
du processus d'échange avec l'étranger et entre concitoyens
parce qu'il existe quelqu'un qui accepte de payer pour recevoir le bien ou le
service vendu, et donc tous les changements de lieu des biens et services
sont mutuellement bénéfiques en tant que résultat d'un
accord entre expéditeur et destinataire. La seule fonction du
gouvernement est de maintenir le processus d'échange (en
protégeant le citoyen et la propriété
intérieure).
Cependant, en ce qui
concerne les mouvements des individus, le même gouvernement devra, pour
remplir sa fonction protectrice, faire plus que permettre aux
événements de suivre leur cours, parce que les individus,
à l'inverse des produits, possèdent une volonté et
peuvent migrer. Ainsi, un mouvement de population, à l'opposé d'un
envoi de produits, n'est pas en
soi un
événement mutuellement bénéfique parce qu'il
n'est pas toujours - nécessairement et invariablement - le
résultat d'un accord entre un destinataire spécifique et un
expéditeur spécifique. Il peut y avoir des envois (immigrants)
sans destinataires consentants dans le pays. Dans ce cas, les immigrants sont
des envahisseurs étrangers et l'immigration représente un acte
d'invasion. Il est certain que le rôle protecteur de base du
gouvernement comprend la lutte contre les invasions étrangères
et l'expulsion des envahisseurs étrangers. Et il est tout aussi
certain que, pour le faire et soumettre les candidats à l'immigration
aux mêmes exigences que les importations (être invités par
des résidents du pays), le gouvernement ne peut pas autoriser la libre
immigration défendue par la plupart des libre-échangistes.
Imaginons à nouveau que les Etats-Unis ou la Suisse ouvrent leurs
frontières à tous les candidats - à la seule condition
que les immigrants soient exclus des programmes sociaux,
réservés aux citoyens américains ou suisses. Mis
à part le problème sociologique qui résulte de la
création de deux classes distinctes de résidents et les
tensions sociales qui s'ensuivraient, il y a peu de doute sur le
résultat d'une telle expérience dans le monde actuel. Ce
résultat serait moins drastique et moins immédiat qu'avec un
scénario de libre immigration inconditionnelle, mais il conduirait
également à une invasion massive étrangère et
à la fin à la destruction de la civilisation américaine
ou suisse. Ainsi, pour remplir sa fonction première de protecteur de
ses citoyens et de leur propriété, le gouvernement d'une zone
à hauts salaires ne peut pas suivre une politique d'immigration de
laisser passer mais doit prendre des mesures restrictives.
Le modèle anarchie-capitaliste
A partir de la
reconnaissance du constat que les partisans du libre-échange et du
marché libre ne peuvent soutenir la libre immigration sans devenir
inconséquents et sans se contredire et du constat que l'immigration a
besoin - en toute logique - d'être limitée, il n'y a pas qu'une
petite étape pour dire comment elle doit être limitée.
En réalité, tous les gouvernements d'un pays à hauts
salaires limitent actuellement l'immigration d'une façon ou d'une
autre. Nulle part l'immigration n'est "libre", inconditionnellement
ou conditionnellement. Pourtant, les restrictions imposées aux
immigrants par les États-Unis ou par la Suisse, par exemple, sont
assez différentes. Quelles restrictions devraient alors avoir lieu ? Ou, plus
précisément, quelles sont les limitations à l'immigration
qu'un défenseur du libre-échange et du marché libre doit
défendre et promouvoir ? Les principes qui doivent guider un pays
à hauts revenus pour sa politique d'immigration sont une
conséquence de l'analyse selon laquelle l'immigration, pour être
libre au sens où l'échange est libre, doit être une immigration invitée.
Les détails proviennent de l'éclaircissement et de
l'illustration du concept d'invitation opposée à invasion et
intégration forcée.
Dans ce but il est
nécessaire de supposer, tout d'abord, en tant que
référence conceptuelle, l'existence de ce que les philosophes
politiques ont représenté comme une anarchie fondée sur
le droit de propriété, l'anarchie-capitalisme ou anarchie
ordonnée : tout le territoire est détenu par des
propriétaires privés, y compris les rues, les rivières,
les aéroports, les ports, etc. Pour certains territoires, le titre de
propriété peut être sans limite, le propriétaire
pouvant faire de sa propriété ce qu'il veut aussi longtemps
qu'il ne se heurte pas physiquement à la propriété des
autres. Pour d'autres territoires le titre de propriété peut
être plus ou moins limité. Comme c'est actuellement le cas dans
certains développements, le propriétaire peut être
lié contractuellement par certaines restrictions sur ce qu'il peut et
ne peut pas faire avec sa propriété (obligations restrictives,
répartition volontaire en différentes zones), qui peuvent
concerner l'usage résidentiel plus que commercial, l'interdiction des
constructions de plus de quatre étages, l'interdiction de la vente ou
de la location à des couples non mariés, à des fumeurs
ou à des Allemands, par exemple.
Il est clair que, dans ce
type de société, il n'y a rien qui ressemble à une
liberté d'immigration, ou un droit de l'immigrant à aller et
venir. Ce qui existe est la liberté des propriétaires
privés indépendants d'admettre ou d'exclure les autres de leur
propre propriété en accord avec leurs titres de
propriété, limités ou non. L'admission sur certains
territoires peut être facile alors que celle sur d'autres serait
presque impossible. De plus, l'admission sur la propriété de
quelqu'un n'implique pas la "liberté de se déplacer aux
alentours", à moins que les autres propriétaires n'aient
consenti à ces mouvements. Il y aura autant d'immigration ou de
non-immigration, d'exclusivité ou de non-exclusivité, de
ségrégation ou de non-ségrégation, de
discrimination ou de non-discrimination, que le désirent les
propriétaires individuels ou les associations de propriétaires.
La raison de citer ce
modèle d'une société anarchie-capitaliste est que, par
définition, rien qui s'apparente à une intégration
forcée (migration non invitée) n'est possible (autorisé)
dans ce cadre. Dans ce scénario il n'y a pas de différence
entre les mouvements physiques des biens et la migration des populations. De
même que chaque mouvement d'un produit est le résultat d'un
accord sous-jacent entre un expéditeur et un destinataire, les
mouvements des immigrants vers et à l'intérieur d'une
société anarchie-capitaliste sont le résultat d'un
accord entre l'immigrant et un ou plusieurs propriétaires de cette
société. Ainsi, même si l'on rejette finalement le
modèle anarchie-capitaliste - et si pour des raisons de
réalisme on admet l'existence d'un gouvernement et de biens et de
propriétés "publics" (en plus des biens et
propriétés privés) - il met clairement en lumière
ce que devrait âtre la politique d'immigration d'un gouvernement, si et
pour autant que ce gouvernement tire sa légitimité de la
souveraineté du "peuple" et est considéré
comme la conséquence d'un accord ou "contrat social" (ce qui
est le cas, bien sûr, de tous les gouvernements post-monarchistes). Un
gouvernement "populaire" qui a accepté d'avoir comme
rôle premier la protection des citoyens et de leur
propriété (la protection de la sécurité
intérieure) devrait certainement chercher à préserver,
plutôt qu'à abolir, cette absence d'intégration
forcée qui caractérise l'anarchie-capitalisme !
Afin de se rendre compte
de ce qui en découle, il est nécessaire d'expliquer comment une
société anarchie-capitaliste est modifiée par
l'introduction d'un gouvernement, et comment ceci affecte le problème
de l'immigration. Comme il n'y a pas de gouvernement dans une
société anarchie-capitaliste, il n'y a pas de distinction
tranchée entre les membres du pays (les citoyens intérieurs) et
les étrangers. Cette distinction n'apparaît qu'avec
l'établissement du gouvernement. Le territoire sur lequel s'étend
le pouvoir de celui-ci devient le pays et tous ceux qui résident
à l'extérieur de ce territoire deviennent des étrangers.
Les frontières de l'Etat (et les passeports) naissent, distinctes des
frontières des propriétés privées (et des titres
de propriétés). L'immigration devient une immigration par des
étrangers qui franchissent les frontières étatiques, et
la décision d'accepter ou non une personne n'est plus du ressort
exclusif des propriétaires privés ou des associations de tels
propriétaires mais devient du ressort du gouvernement en tant que producteur de
sécurité intérieure. Dès lors, si le gouvernement
exclut quelqu'un, alors qu'il se trouve un résident qui voudrait
inviter cette personne sur sa propre propriété, le
résultat est une exclusion forcée ; et si le gouvernement
accepte quelqu'un, alors qu'aucun résident ne souhaite cette personne
sur sa propriété, le résultat est une intégration
forcée.
De plus, en liaison avec
l'institution du gouvernement arrive l'institution de la
propriété publique et des biens publics, c'est-à-dire
des biens et propriétés possédés collectivement
par tous les résidents, contrôlés et administrés
par le gouvernement. Plus ou moins important est le total de la propriété
publique gouvernementale, plus ou moins grand sera le problème potentiel
d'intégration forcée. Considérons, par exemple, une
société socialiste comme l'ex Union soviétique ou l'ex
Allemagne de l'Est. Tous les facteurs de production, y compris les terres et
les ressources naturelles, font partie de la propriété publique.
A cet égard, si le gouvernement admet un immigrant non invité,
il l'admet potentiellement à tout endroit du pays ; car sans
propriété privée des terres il n'existe pas de
limitations à ses migrations intérieures autres que celles
décrétées par le gouvernement. Sous le socialisme, par
conséquent, l'intégration forcée peut s'étendre
partout et donc s'intensifier. (En fait, dans l'Union soviétique et en
Allemagne de l'Est, le gouvernement pouvait loger un étranger dans
l'appartement privé ou la maison privée de quelqu'un d'autre.
Cette mesure - et l'intégration forcée très puissante
qui en résultait - était justifiée par le
"fait" que toutes les maisons privées étaient
situées sur le territoire public.)
Les pays socialistes se
seront pas des zones à hauts salaires, bien entendu, ou au moins ne le
resteront pas longtemps. Leur problème n'est pas la pression à
l'immigration mais à l'émigration. L'URSS ou la RDA
interdisaient l'émigration et tuaient ceux qui cherchaient à
fuir le pays. Malgré tout, le problème de l'extension et de
l'intensification de l'intégration forcée continue à
l'extérieur du socialisme. Il est vrai que dans des pays non
socialistes comme les États-Unis, la Suisse, la République
fédérale allemande, qui sont des destinations favorites de l'immigration,
un immigrant accepté par le gouvernement ne peut se déplacer
où bon lui semble. La liberté de mouvement de l'immigrant est
limitée par l'étendue de la propriété
privée et de celle des terres en particulier. Mais, en empruntant les
routes publiques ou les moyens de transport publics, et en restant sur les
terres et parcs publics et dans les constructions publiques, un immigrant
peut potentiellement se trouver sur le chemin d'un résident
intérieur, et même se retrouver dans son voisinage
immédiat, pratiquement à sa porte. Moins la
propriété publique est importante, moins le problème
sera aigu. Mais tant qu'il existe une propriété publique quelconque, on ne peut
totalement y échapper.
Correction et
prévention
Un gouvernement populaire
qui cherche à sauvegarder ses citoyens et leur propriété
d'une intégration forcée et des envahisseurs étrangers a
deux méthodes pour le faire, l'une correctrice et l'autre
préventive. La méthode correctrice doit améliorer les
effets d'une intégration forcée une fois que celle-ci a eu lieu
(et que les envahisseurs sont là). Comme indiqué, pour
atteindre cet objectif, le gouvernement doit réduire la
quantité de propriété publique autant que possible. De
plus, quel que soit le mélange de propriété
privée et de propriété publique, le gouvernement doit
soutenir - plutôt que criminaliser- le droit de tout
propriétaire privé à admettre et à exclure les autres de sa
propriété. Si virtuellement toute la propriété
est privée et que le gouvernement soutienne les droits de
propriété, les immigrants non désirés, même
s'ils réussissaient à entrer dans le pays, n'iraient pas
beaucoup plus loin.
Plus cette mesure est
appliquée (plus le degré de propriété
privée est grand), moins il sera nécessaire de prendre des
mesures protectrices, comme la défense des frontières. Le
coût de protection contre l'invasion étrangère le long de
la frontière entre les États-Unis et le Mexique est, par
exemple, comparativement élevé, parce qu'il y a de grandes
étendues sans propriété privée du
côté des États-Unis. Cependant, même si le
coût de protection aux frontières peut être abaissé
par la privatisation, il ne disparaîtra pas tant que des
différences substantielles existeront entre les revenus et les
salaires des deux territoires. Ainsi, pour remplir sa mission protectrice de
base, le gouvernement d'une zone à hauts salaires doit
également prendre des mesures préventives. A tous les points
d'entrée et le long des frontières, le gouvernement, comme
représentant de ses citoyens, doit vérifier que toutes les nouvelles
personnes arrivant ont un ticket d'entrée - une invitation valide par
un propriétaire du pays - et doit expulser celui qui n'aurait pas un
tel ticket à ses frais.
Les invitations valides
sont des contrats entre un ou plusieurs destinataires privés du pays,
résidents ou commerciaux, et la personne arrivant. La partie
invitante, par son admission contractuelle, ne peut disposer que de sa propre
propriété privée. Ainsi, l'admission implique de
manière négative - comme dans le scénario d'une
immigration libre conditionnelle - que l'immigrant soit exclu des mesures
sociales financées publiquement. De manière positive, elle
implique que la partie accueillante assume la responsabilité
légale des actions de son invité pour la durée de son
séjour. La puissance invitante est responsable sur toute
l'étendue de sa propriété des crimes que pourrait
commettre l'invité contre une tierce personne ou sa
propriété (tout comme les parents sont tenus responsables des
crimes de leurs enfants tant qu'ils font partie du foyer familial). Cette
obligation, qui implique à proprement parler que ceux qui invitent
s'assurent de la responsabilité de leurs hôtes, se termine
dès que ceux-ci ont quitté le pays, ou qu'un autre
propriétaire a assumé la responsabilité de la personne
en question (en l'accueillant chez elle).
L'invitation peut
être privée (personnelle) ou commerciale, limitée ou
illimitée dans le temps, concerner uniquement le logement
(hébergement, résidence) ou le logement et l'emploi (mais il ne
peut exister de contrat valide concernant seulement l'emploi et pas le
logement). Dans tous les cas, cependant, toute invitation, vue comme une
relation contractuelle, peut être révoquée ou
terminée par celui qui invite et à la fin du contrat, l'invité
- qu'il soit un touriste, un homme d'affaires en déplacement ou un
résident étranger - doit quitter le pays (à moins qu'un
autre citoyen résident n'établisse un contrat d'invitation avec
lui).
L'invité ne peut
perdre son statut légal de non résident ou de résident
étranger, sujet à tout instant au risque potentiel d'expulsion
immédiate, qu'en acquérant la citoyenneté. En accord
avec l'objectif de rendre toute immigration (en tant qu'échange)
contractuellement invitée, la condition fondamentale d'obtention de la
citoyenneté est l'accès à la propriété
immobilière, ou plus exactement à la propriété
d'un bien foncier et d'une demeure résidentielle.
Au contraire, il serait
incompatible avec l'idée d'une immigration invitée de donner la
citoyenneté d'après le droit du sol, comme aux États-Unis,
où un enfant né d'un étranger résident ou
non-résident sur le sol d'accueil reçoit automatiquement la
citoyenneté de ce pays. En fait, un tel enfant obtient, comme la
plupart des autres gouvernements de pays à hauts salaires le
reconnaissent, la citoyenneté de ses parents. Que le gouvernement du
pays d'accueil puisse donner à cet enfant la citoyenneté
signifie, à la place, qu'il ne remplit pas sa fonction protectrice
fondamentale, et revient en réalité à un acte d'invasion
perpétré par le gouvernement contre ses propres citoyens. Bien
au contraire, devenir un citoyen signifie acquérir le droit de rester
de manière permanente dans le pays, et une invitation permanente ne
peut être assurée autrement qu'en achetant la propriété
d'un citoyen résident. Ce n'est qu'en vendant un bien immobilier
à un étranger qu'un citoyen montre qu'il est d'accord avec le
fait que cet invité reste définitivement (et ce n'est que
lorsque l'immigrant a acheté et payé le bien immobilier et la
demeure résidentielle dans le pays d'accueil qu'il montrera qu'il
porte un intérêt permanent au bien-être et à la
prospérité de son nouveau pays). En outre, trouver un citoyen
prêt à vendre sa résidence et avoir l'argent pour l'acheter,
bien qu'étant une condition nécessaire à l'acquisition
de la citoyenneté, peut ne pas être suffisant. Si la
propriété en question est sujette à des clauses
restrictives, les obstacles à franchir par un candidat à la
citoyenneté peuvent être bien plus élevés. En
Suisse, par exemple, l'obtention de la citoyenneté peut
réclamer que la vente de la résidence aux étrangers soit
ratifiée par la majorité ou même l'unanimité des
propriétaires locaux concernés directement par cette vente.
Conclusion
En jugeant sur la
politique d'immigration requise pour protéger ses propres citoyens
d'une invasion étrangère et d'une intégration
forcée - et pour rendre les mouvements de population internationaux
soumis à invitation et à des contrats - le gouvernement suisse
fait un bien meilleur travail que celui des États-Unis. Il est plus difficile
d'entrer en Suisse comme personne non invitée ou d'y rester comme
citoyen non désiré. En particulier, il est bien plus difficile
pour un étranger d'acquérir la citoyenneté, et la
distinction légale entre citoyen résident et étranger
résident est plus clairement préservée. Malgré
ces différences, les gouvernements de la Suisse et des
États-Unis poursuivent une politique d'immigration qui doit être
jugée bien trop permissive.
De plus, la
permissivité excessive de leurs politiques d'immigration et l'exposition
qui en résulte des populations suisse et américaine à
une intégration forcée par des étrangers est
aggravée par le fait que l'étendue de la
propriété publique des deux pays (et des autres zones à
hauts revenus) est assez substantielle ; que les mesures d'Etat-providence
financées par l'impôt sont fortes et en croissance, et que les
étrangers n'en sont pas exclus ; et que, contrairement aux annonces
officielles, l'adhésion à une politique de libre échange
est tout sauf parfaite. Par conséquent, en Suisse et aux
États-Unis, et dans les autres pays à salaires
élevés, les protestations populaires contre les politiques
d'immigration sont de plus en plus fortes.
Le but de cet essai
était non seulement de soutenir la privatisation du domaine public, le
laissez-faire intérieur, et le libre échange international,
mais aussi en particulier l'adoption d'une politique d'immigration
restrictive. En démontrant que le libre échange est
incompatible avec une immigration libre (inconditionnelle ou conditionnelle),
et qu'il réclame à la place que les migrations soient soumises
à la condition d'être invitées et contractuelles, nous
espérons avoir contribué à éclairer les
politiques futures dans ce domaine.
Traduction : Hervé de Qu’engon
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