Les
Américains – tout comme le reste du monde – ont
été dépourvus de l’important moyen
d’établissement et de maintien d’une société
libre qu’est le fédéralisme, ou droit des Etats. Ce
n’est ainsi pas une coïncidence que le droit des Etats ait
été relégué dans le tiroir du souvenir, ou encore
dénigré comme un
instrument de racisme ou de toute autre forme de mécréance. Le
droit des Etats imaginé par Jefferson était – et est
– la clé nous permettant de comprendre pourquoi le meilleur des
gouvernements est celui qui gouverne le moins, et comment
l’établissement d’un gouvernement constitutionnel est
possible.
Qu’est-ce que le droit des Etats ?
L’idée
de droit des Etats est liée à la philosophie de Thomas
Jefferson et de ses héritiers politiques. Jefferson lui-même
n’a jamais développé l’idée que les Etats
devaient avoir des droits, comme ont pu le prétendre certains
critiques peu cultivés. Il est évident que les Etats ne peuvent
pas disposer de droits. L’essence même de l’idée de
Jefferson est la suivante : si les citoyens devraient être les
maîtres plutôt que les servants de leur gouvernement, alors ils
devraient se voir attribuer les moyens nécessaires au contrôle
de ce gouvernement. Ces moyens, dans la tradition de Jefferson, sont
représentés par les communautés politiques
organisées à l’échelle étatique et locale.
Elles donnent aux citoyens la possibilité de contrôler, de
discipliner, voire même si besoin d’abolir leur propre
gouvernement.
Ce fut
Jefferson qui, après tout, écrivit dans la Déclaration
d’Indépendance des Etats-Unis que les pouvoirs du gouvernement
ne devraient s’étendre que par l’accord de son peuple. Et
que si le gouvernement tendait à abuser de la liberté de ses
citoyens, il était dans le devoir de ces derniers que d’abolir
ce gouvernement et de le remplacer par un autre. Comment les citoyens
sont-ils supposés achever une telle chose ? De la même
manière que lors de l’adoption de la Constitution, par le biais
de conventions politiques organisées par les différents Etats.
Les Etats sont supposés être des nations indépendantes,
tout comme l’Angleterre et la France le sont entre elles. La
Déclaration d’Indépendance s’adresse à ces
Etats comme tant ‘libres et indépendants’, du moins
suffisamment pour lever des taxes et déclarer la guerre, comme tout
autre Etat du monde.
C’est
pourquoi les Démocrates du Sud, héritiers politiques de Thomas
Jefferson du milieu du XIXe siècle, organisèrent des
conventions politiques et des votes populaires afin de déterminer
s’ils devaient ou non demeurer membres de l’union
créée par les Pères Fondateurs. L’article 7 de la
Constitution expliquait en effet que les Etats étaient libres de
choisir de joindre (ou de ne pas joindre) l’union par un vote des
représentants du peuple (et non des corps législatifs)
organisé au cours d’une convention politique, et qu’ils
avaient également le droit de demander une sécession de leur
gouvernement national.
Jefferson
n’était pas uniquement l’auteur de la Déclaration
de la Séparation de l’Amérique et de l’Empire
Anglais : il développa aussi l’idée
d’annulation de lois fédérales inconstitutionnelles dans
ses Kentucky Resolutions de 1978. Il pensait
également que le dixième amendement de la Constitution en
était la pierre angulaire. Jefferson était un bâtisseur
strict, persuadé que tout devait être mis en place pour que le
gouvernement central ne puisse posséder plus que les pouvoirs qui lui
étaient délégués par la section 8 de
l’article 1 de la Constitution. Le pouvoir du gouvernement lui est
délégué par les Etats. Tous les autres droits, selon le
dixième amendement, sont réservés aux Etats
eux-mêmes ainsi qu’à leurs citoyens.
Le
droit des Etats, ou fédéralisme, ne signifie pas que les hommes
politiques des Etats aient une conscience morale supérieure à celle
des hommes du gouvernement, ou soient moins corrompus que les hommes
politiques nationaux. Mais les idées dominantes étaient
toujours les suivantes :
1. Il est plus facile pour les citoyens de
contrôler un gouvernement qui leur soit proche.
2.
Un
système de gouvernements décentralisés consistant en une
multitude d’Etats offre aux citoyens Américains un moyen
d’échapper à la tyrannie.
Par exemple, si l’Etat du
Massachussetts venait à créer une théocratie, ceux qui
ne désireraient pas vivre sous la tutelle de théocrates
puritains pourraient fuir en Virginie ou dans quelque autre Etat.
L’idée de droit des Etats ne signifie pas que les Jeffersoniens
désiraient créer un ‘laboratoire
d’expérimentation’ de l’interventionnisme
d’Etat, comme le pensent de nombreux politologues modernes.
La
sécession, ou la menace de faire sécession, avait pour but de
protéger à la fois l’union Américaine et le
gouvernement constitutionnel. L’idée était que le
gouvernement central proposerait uniquement des projets de lois conformes
à la Constitution, dans la mesure où toute proposition de loi
inconstitutionnelle mènerait à une demande de sécession
ou à la nullification de cette loi. Ces deux droits ont
été imaginés dans un seul et même objectif.
C’est pourquoi le grand historien Britannique de la liberté,
Lord Acton, écrivit cette lettre au général Robert E.
Lee le 4 novembre 1866, dix-sept mois après sa défaite à
Appomattox :
‘J’ai vu en le
droit des Etats une arme de contrôle de l’absolutisme
étatique, et la possibilité de faire sécession m’a
rempli d’espoir, non pas comme forme de destruction mais comme forme de
rédemption de la démocratie. Les institutions de votre
république (la Constitution Sudiste) n’ont pas su exercer sur le
vieux monde l’influence salutaire et libératrice qu’elles
auraient dû lui inspirer. Je suis d’avis que cet exemple de
Réforme pourrait apporter au genre humain une liberté
réelle, et le protéger des dangers et des désordres des
Républiques. Je juge par conséquent que vous vous battez pour
notre liberté, notre progrès, et notre civilisation, et pleure
plus la défaite de Richmond que je me réjouis des bilans de la
bataille de Waterloo’.
Ce que
le général Acton explique ici, c’est qu’il
considère l’abolition du droit de sécession par la guerre
comme étant un désastre pour l’Humanité. Le XXe
siècle deviendrait le siècle de la consolidation de
gouvernements monopolistiques en Russie, en Allemagne, aux Etats-Unis, et
partout ailleurs, cela s’avèrerait bien vite être un
désastre pour le monde entier. Si les droits de sécession et
d’annulation avaient été conservés, si
l’esclavage avait été aboli de manière aussi
pacifique qu’elle l’a été partout ailleurs, les
Etats-Unis auraient été un contrexemple de gouvernement
décentralisé et limité aux yeux du reste du monde.
Le
général E. Lee avait bien compris cela. Le 15 décembre
1866, dans sa réponse à Acton, il écrivait :
‘Bien que j’ai
considéré le pouvoir constitutionnel du gouvernement comme
étant la fondation même de notre paix et de notre
sécurité, aussi bien sur nos terres qu’à
l’étranger, je suis d’avis que le maintien des droits et
de l’autorité du peuple soient non seulement essentiels à
l’ajustement et l’équilibre du système tout entier,
mais aussi les gardiens du maintien d’un gouvernement libre. Je les
considère comme étant la source même de stabilité
de notre système politique, tandis que la consolidation des Etats en
une seule et même république est certaine de nous mener vers la
création d’un gouvernement agressif à
l’étranger et despotique à l’intérieur de
ses frontières, et ne sera que le précurseur de la ruine ayant
bouleversé tous ceux lui ayant précédé.
C’est un passage
oublié de l’histoire des Etats-Unis. Les avocats de la
centralisation, ayant prévenu l’Indépendance des Etats du
Sud, ont réécrit l’Histoire, comme le font toujours les
vainqueurs.
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