En 1949, le Japon est en ruine. Quatre ans se sont écoulés
depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, mais
l’économie du pays demeure moribonde. Les villes les plus importantes,
détruites et brûlées durant la guerre, ne sont pas encore
en reconstruction. Seuls deux trains par jour circulent sur le plus important
réseau ferroviaire du pays, reliant Tokyo à Osaka.
L’hyperinflation rend le commerce impossible. Les biens industriels que
la guerre ait épargnés, tels les usines et centrales
électriques, ont été démantelés par
l’armée de l’occupation en tant que
‘réparations de guerre’, et transportées à
l’étranger. Le gouvernement précédent a
été dissolu, et une nouvelle constitution et un nouveau
gouvernement sont établis. La population est au bord de la famine.
Voici
ce à quoi ressemblait le commencement de l’une des plus
spectaculaires évolutions technologiques du XXe siècle.
En
comparaison à ce qu’était la situation au Japon, les
problèmes actuels de la Grèce sont dérisoires. Les
banques sont insolvables ? Ce n’est là qu’un
problème de comptabilité. Assistez de vos propres yeux au
bombardement de vos villes, et au massacre de vos jeunes sur les îles
du Pacifique... Le gouvernement fait défaut ? Et alors.
L’hyperinflation ? Elle n’est pas encore en vue.
L’occupation d’un pays par une force militaire hostile ?
Cette situation ne fait aujourd’hui partie des inquiétudes de
personne.
Rien
de bien méchant ne s’est jusqu’alors abattu sur la
Grèce. Le défaut et l’insolvabilité ne sont rien
qu’un simple ajustement de bilans financiers. Pourquoi la Grèce
ne pourrait-elle pas surmonter vingt années de dépenses
excessives, comme le Japon l’a fait dans les années 1950 et
1960 ?
De
nombreuses personnes acceptent le fait que les conséquences de ces
dépenses excessives se manifesteront inévitablement par une
génération entière de stagnation et de déclin.
C’est en réalité une situation relativement commune. Il
n’est pas rare de voir des pays ayant autrefois été
prometteurs s’effondrer pour ne jamais vraiment se relever.
L’Argentine, fut un temps, était le pays le plus riche du monde
– son nom lui-même signifie ‘pays de la monnaie’. Il
n’en est pas moins qu’aujourd’hui, elle a du mal à
être reconnue en tant que ‘marché émergeant’.
Qui
sait, les Etats-Unis sont peut-être aujourd’hui sur le point de
subir le même déclin ?
J’ai
souvent répété que la formule magique pour le
succès économique n’est autre que ‘faibles taxes + monnaie
stable’. Aujourd’hui, il semblerait que la Grèce fasse
tout le contraire. Les citoyens du pays appellent à la création
d’une nouvelle drachme, dont le seul objectif semble être la
dévaluation. L’unique raison pour laquelle instaurer une
nouvelle monnaie serait que cette dernière puisse apporter plus de
stabilité et être plus fiable que l’Euro. Qu’en
est-il des taxes ? Le gouvernement Grec ne cesse de les augmenter, bien
que le seul résultat qui semble en découler soit une
détérioration de l’économie et une hausse de la
fraude fiscale. Cela ne permet pas uniquement une réduction des
rentrées fiscales, mais rend également les citoyens de plus en
plus dépendants face aux services sociaux et aides de l’Etat,
avec des dépenses gouvernementales impossible à réduire.
La
Grèce est aujourd’hui en chemin vers vingt années de
détérioration. C’est du moins ce que tout le monde croit.
Son
destin pourrait néanmoins être différent. La reprise du
Japon a commencé avec un rêve s’étant
développé parmi les hommes politiques et la classe des
affaires. Dans leurs esprits, le Japon finirait par renaître de ses
cendres et devenir une nation prospère.
Ce
rêve déboucha rapidement sur l’élaboration
d’un plan d’action. La situation de 1949, faite
d’hyperinflation et d’augmentation incessante des taxes,
n’allait simplement pas de pair avec l’idée d’un
Japon prospère. Les dirigeants du pays ont donc pris des initiatives
en ce sens.
Le
Japon n’avait alors virtuellement aucune ressource. Son économie
consistait en grande partie de la subsistance du marché noir. Ses
rentrées fiscales étaient négligeables, et son
émission de dettes impossible. Dans la mesure où les
rentrées fiscales étaient bien inférieures aux besoins
du gouvernement, ce dernier imprima de la monnaie, et accepta les
conséquences que cela impliquait.
L’une
des premières décisions que les hommes politiques prirent fut
de rendre l’émission de dette par le gouvernement
illégale. Il en fut ainsi jusqu’en 1965. Ils refusèrent
également toute aide économique.
En
1949, ils lièrent le yen à l’or, ce qui mit
immédiatement fin à l’hyperinflation.
Ils
éliminèrent ensuite la taxe à la consommation (taxe sur
les ventes nationales).
En
1950, le calendrier de rentrées fiscales fut révisé. Le
taux maximal d’imposition chuta de 85 à 55%. Plus important
encore, le niveau de revenu pour lequel ce taux d’imposition
était applicable augmenta significativement. Ce taux
s’appliquait originellement aux revenus supérieurs à
500.000 yens. En 1957, le taux de 55% fut appliqué aux revenus
supérieurs à 10 millions de yens, soit à des revenus
vingt fois supérieurs à 500.000 yens.
En
1951, intérêts et dividendes étaient imposés
à des taux inférieurs aux impôts sur les revenus. En
1953, les gains sur capital furent exemptés de toute forme
d’imposition. Les intérêts sur les revenus furent
taxés à hauteur de 10% ; et les entreprises se virent
offrir de nombreux privilèges, sous forme d’exemptions, de
déductions et d’amortissements. En 1955, les
intérêts sur les revenus furent à leur tour exemptés
de taxes.
Tout
au long des années 1950-1960, le gouvernement du Japon avait un
objectif spécifique : maintenir les rentrées fiscales et
la taille du gouvernement à hauteur de moins de 20% du PIB. Ils
pensaient que cela serait favorable à la croissance du secteur
privé. Et ils ne s’étaient pas trompés.
Les
Japonais, comme nous le savons, ont formé leur richesse au cours de
ces années. Les riches sont plus en mesure de payer des impôts
que les pauvres. Entre 1950 et 1970, les rentrées fiscales du
gouvernement central furent multipliées par 16, le tout en yens
liés à l’or.
Alors
que le pays devenait de plus en plus riche, et que son PIB grandissait, les
services que le gouvernement pouvait se permettre de fournir grâce
à 20% du PIB augmentaient également. Les aides sociales et
médicales furent améliorées. Les chemins de terres
furent pavés. Des réseaux de distribution d’eau furent
créés. Aucun conflit n’existait entre le gouvernement et
le secteur privé. Les deux secteurs devinrent prospères simultanément.
Cette
histoire est très connue des amateurs de ce type de situation. Si
quelqu’un se pose la question – comment produire une
avancée économique ? – et entreprend suffisamment de
recherches, il finit toujours par trouver une réponse qui ne soit ni
complexe, ni obscure.
La
réelle question est la suivante : Pourquoi certaines personnes
trouvent aisément la réponse à cette question, alors que
d’autres semblent s’y désintéresser
complètement ? Pourquoi certains désirent avancer et font
tout en ce sens, comme les dirigeants du Japon en 1949, alors que
d’autres se lancent tête baissée vers des
générations de détérioration ?
La
Grèce pourrait aujourd’hui adopter une attitude similaire. Elle
se doit simplement de se donner un objectif : devenir prospère.
Puis d’élaborer un plan. Elle pourrait décider
d’adopter un plan d’action similaire à celui des
réformes d’impositions ayant été adoptées
en Albanie et en Bulgarie et qui semblent fonctionner parfaitement. Elle
devrait trouver un moyen de créer une monnaie stable – soit en
gardant l’Euro, soit en utilisant une forme de monnaie alternative.
C’est ce que l’Allemagne met en œuvre en ce moment
même, en préparant le lancement d’un Euro Nordique, dans
l’éventualité où la mauvaise gestion de
l’Euro par la BCE devenait inacceptable.
La
taille du gouvernement devrait être limitée, peut-être
à 20% du PIB si l’on suit l’exemple du Japon, voire
même à moins, comme par exemple à 14% du PIB, comme
c’est le cas à Singapour. Elle aurait ensuite à ajuster
le nombre d’employés du gouvernement et leur compensation de
manière à pouvoir offrir des services de la manière la
plus efficace qui soit.
Pourquoi ne pas se débarrasser
de la TVA à 23%, juste comme ça ? C’est ce
qu’a fait le gouvernement du Japon, dans le même temps
qu’il rendait l’émission de dette illégale !
Ne
voyez-vous pas la différence entre grandeur et
médiocrité ?
C’est
ainsi que cela fonctionne. Fixez-vous un objectif. Elaborez un plan
d’action. Et rendez les choses possibles. Il semblerait malheureusement
que même le Japon ait aujourd’hui oublié comment faire. Il
semblerait qu’il se soit lui aussi embarqué pour une vingtaine
d’année d’épreuves.
Si
la Grèce adoptait un plan tel que celui-ci, dans le même temps
que le reste de l’Europe continue de cheminer vers la destruction, nous
pourrions nous rendre compte dans vingt ans que les prédictions
d’aujourd’hui auront été fausses.
En
l’an 2032, nous pourrions découvrir que la Grèce est
devenue le pays le plus riche d’Europe.
Nathan Lewis
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