Aristote, père de la théorie du droit naturel

IMG Auteur
From the Archives : Originally published February 13th, 2012
821 words - Reading time : 2 - 3 minutes
( 17 votes, 4.4/5 ) , 4 commentaries
Print article
  Article Comments Comment this article Rating All Articles  
0
Send
4
comment
Our Newsletter...
Category : Fundamental

 

 

 

 

En cette période de débat électoraux, de slogans et de petites phrases, il nous paraît salutaire de rappeler, avec les penseurs du droit naturel, que la politique n’est pas le tout de la vie en société. Elle n’est ni un commencement, ni une fin. Avant la politique, il y a des individus qui s’associent pour rechercher leur subsistance en même temps que leur bonheur. Et s’ils ont recours à la force du gouvernement, c’est pour protéger ce qui leur appartient : leur vie, leur liberté et leurs biens. Mais le politique ne dispose pas de la propriété des individus, il est à leur service.


Or c’est précisément ce qu’affirme la théorie du droit naturel. Elle affirme qu’il y a un contenu dans tout système juridique qui ne dépend pas de la volonté du législateur et qu’il y a donc des règles qui s’imposent au législateur. Est dit de droit naturel ce qui est universellement valide, en tout lieu et en tout temps. Est dit de droit positif ce qui est en soi indifférent mais qui s’impose à tous par suite d’un choix conventionnel et contingent.


Alain Sériaux, auteur d’un Que Sais-je sur le sujet[1], rappelle que « le terme relativement récent de « droit » n'appartient pas au vocabulaire des Anciens. Chez eux, le droit se dit « le juste » : to dikaïon, en grec ; iustum, en latin. Aussi, lorsqu'Aristote consacre le livre V de son Éthique à Nicomaque à l'étude de la vertu de justice, c'est sans hésitation aucune qu'il lui donne le « juste » pour objet spécifique. Dix-sept siècles plus tard, Saint Thomas d'Aquin, dans la Somme Théologique, adoptera encore la même démarche : elle est au cœur de la pensée classique ».[2]


Ainsi Aristote distingue entre un juste naturel et un juste positif ou conventionnel :


« La justice politique elle-même est de deux espèces, l'une naturelle, l'autre légale. Est naturelle celle qui a partout la même force et ne dépend pas de telle ou telle opinion : légale celle qui à l'origine peut être indifféremment ceci ou cela, mais qui une fois établie, s'impose : par exemple, que la rançon d'un prisonnier est d'une mine, ou qu'on sacrifie une chèvre et non deux moutons, et en outre toute les dispositions législatives portant sur des cas particuliers, comme par exemple le sacrifice en l'honneur de Brasidas et les prescriptions prises sous formes de décrets ».[3]


Il y a donc bien l'idée d'un juste naturel chez Aristote, la justice naturelle étant celle qui a partout la même force et ne dépend pas de telle ou telle opinion. Distinguer entre le juste et l’injuste suppose un travail de la raison pour découvrir ce qui est conforme ou non à la nature universelle de l’homme dont la fin, le bonheur, exige la réalisation de certaines dispositions de l’âme, elles-mêmes naturelles et universelles.


Dans la pensée grecque, est naturel ce qui correspond à la croissance normale d’un organisme vivant. Tout être vivant a une finalité interne. Quand la croissance est atteinte, cette finalité interne est atteinte. Or il y a une dimension téléologique dans l’existence humaine. Il y a même une pluralité de fins qu’on peut hiérarchiser : la conservation de la vie, le bonheur, la liberté, la justice. C’est aussi ce qu’on appelle les biens fondamentaux.


L’expression « droits de l’homme », à laquelle se rallient beaucoup de juristes, souscrit implicitement à l’idée d’un droit naturel car elle vise les droits liés avant toute législation positive à l’humanité même de l’homme. Sans cette norme morale supérieure, il n’y aurait plus d’instance critique capable d’interpréter et de mettre en question l’ordre juridique.


Cette idée rappelle que le Prince (tout comme les présidents actuels) ne dispose pas de la justice elle-même mais qu’il est lui-même soumis à une loi qui le dépasse et doit réguler son jugement. Le droit positif pose l’ordre du juste politique, mais ne dispose pas de la justice elle-même. S’il n’y a que le droit positif, dit Aristote, Créon aura toujours raison, même quand il a tort. Mais si nous maintenons l’idée régulatrice d’un droit naturel, Antigone pourra se dresser le moment venu et invoquer contre une loi injuste, le droit supérieur de la loi non écrite.


La politique, dans la pensée d’Aristote, ne peut donc être séparée de la morale. Ainsi, selon Aristote « la fin de la Politique sera le bien proprement humain. » (Éthique à Nicomaque, L.I, ch.1) La question : « Comment dois-je vivre ? » se prolonge dans la question : « Comment la cité doit-elle être gouvernée ? ». En effet, dit en substance Aristote dans Les Politiques, l’homme ne peut s’accomplir pleinement que dans une vie en société, par la coopération et l’amitié. La morale conduit à la politique et la politique a une fin morale.


 

 



[1] Le droit naturel, n°2806, PUF, 1993.

[2] A. Sériaux, op. cit., p. 34.

[3] Aristote, Éthique à Nicomaque, V, 10, 1134b 18-23. 

<< Previous article
Rate : Average note :4.4 (17 votes)
>> Next article
Damien Theillier est professeur de philosophie en terminale et en classes préparatoires à Paris. Il est l’auteur de Culture générale (Editions Pearson, 2009), d'un cours de philosophie en ligne (http://cours-de-philosophie.fr), il préside l’Institut Coppet (www.institutcoppet.org).
Comments closed
  All Favorites Best Rated  
Je m'étonne qu'il n'y ait aucune considération d'aucune sorte pour le concept de devoir : exemple, le devoir de conservation notre biotype naturel .... (entre autre)
Rate :   1  0Rating :   1
EmailPermalink
Encore un article intéressant, dans la pure continuité du concept d'homme animal politique et de la fonction du langage au sein de la communauté de la dimension polisémique du terme de "discussion"
cordialement.
Les anciens et aristote entre autre sont une source inépuisable pour comprendre notre héritage démocratique et culturel. Mais tout ces concepts sont sérieusement mis en danger par l'impérialisme corporatocrate mercantile américain.
Rate :   3  1Rating :   2
EmailPermalink
Pour bien séparer le noumène du phénomène, je propose le concept de jugement apriori sachant que le glissement sémantique introduit une confusion regrettable dans l'aperception phénoménologique transitoire au sens kierkegaardien... HAHAHA!
Rate :   1  0Rating :   1
EmailPermalink
lol, j'ai rien compris, mais vous êtes très fort quand même :-)
Latest comment posted for this article
lol, j'ai rien compris, mais vous êtes très fort quand même :-) Read more
samideano - 2/14/2015 at 5:22 PM GMT
Top articles
World PM Newsflow
ALL
GOLD
SILVER
PGM & DIAMONDS
OIL & GAS
OTHER METALS
Take advantage of rising gold stocks
  • Subscribe to our weekly mining market briefing.
  • Receive our research reports on junior mining companies
    with the strongest potential
  • Free service, your email is safe
  • Limited offer, register now !
Go to website.