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Le
résultat est tombé : la BCE a prêté lors du second
round de son LTRO la modeste somme de 529,53 milliards d’euros
à 800 banques, deux chiffres en nette augmentation par rapport au premier.
Passons sur les commentaires hilarants du type « le nombre
élevé de banques qui se sont présentées au
guichet de la BCE témoigne de la dissipation du risque de
stigmatisation » (sic) pour aborder les choses sérieuses,
c’est à dire qui fâchent.
Le
fait est acquis, favorisant l’achat par les banques de la dette
souveraine, la BCE agit dans la pratique et sans le clamer sur les toits
comme prêteur en dernier ressort des Etats, en contournant cette
interdiction. Rien de très novateur dans le mécanisme, en
réalité, car elle ne fait que s’inspirer de la politique
menée par la Banque du Japon, qui a permis de rituellement affirmer,
sans chercher plus loin, que tout allait bien dans ce pays qui finance
lui-même sa dette (en n’oubliant que ce n’est pas uniquement
grâce à une abondante épargne interne, la BoJ y étant via les banques pour quelque chose !).
La poursuite de la détente sur les taux obligataires reste cependant
à être confirmée à échéance des mois
à venir.
Mais
l’arbre ne doit pas cacher la forêt. Si l’un des buts
poursuivis par la BCE est de ramener les marchés à la raison,
afin que les banques et les Etats puissent se financer à des taux
moins insupportables, on attend des banques qu’elles amplifient le
volume du crédit à l’économie réelle.
Or, il va falloir attendre pour savoir si cette seconde partie partie du plan fonctionne. Du dire même de Mario Draghi, le président de la BCE,
c’était difficile à cerner à la suite de la
première injection de liquidités de décembre dernier.
Qu’en sera-t-il cette fois-ci ?
La
BCE va-t-elle contribuer à la relance économique
espérée, afin de diminuer la charge du désendettement ?
Refinancer la dette comme elle le fait est une chose, faciliter grâce
à la croissance un désendettement public et privé
très chaotique dans les deux cas en est une autre, et c’est
toute la clé du problème. Prudent à cet égard,
Ewald Nowotny, le gouverneur de la banque centrale
autrichienne, a montré le bout du nez en déclarant que «
il n’y aura pas automatiquement de troisième round », ce qui
signifie qu’il pourrait y en avoir un… Ce qui ne l’a pas
empêché d’apercevoir « des premiers bourgeons
» qui nous rappellent avec émotion les « pousses vertes de
la croissance » de l’épisode précédent.
Dans
l’immédiat, après que les banques ont accepté de
prendre à leur charge une petite partie de la dette en restructurant
celle de la Grèce, la BCE ne fait en finançant les banques que
répartir autrement la charge de son risque en la reportant sur les
banques – lorsqu’elles rachètent de la dette publique
– et les Etats, qui en sont via les banques centrales nationales
concernées les garants ultimes. Suivons la piste, car nous assistons
à une course au trésor à l’envers…
Celle-ci
est semée d’embûches. Constatons d’abord que si les
banques sont soulagées du point de vue liquidité, il n’en
va pas de même en ce qui concerne leur solvabilité. Sur ce
terrain, c’est toujours à elles de faire face, au
prétexte de ne pas impliquer des fonds publics et, en réalité,
afin de ne pas porter atteinte à une indépendance jalousement
revendiquée. Il faut donc leur donner du temps pour qu’elles se
renforcent progressivement, soit en faisant appel au marché via
l’émission de dette sous la forme de titres hybrides, soit en
accumulant des réserves grâce à leurs résultats.
Ce qui ne les dispense pas de réduire leurs coûts, ainsi que de
céder des actifs et de diminuer leurs prêts afin
d’améliorer leur ratio fonds propres/engagements. Trois ans
seront-ils suffisants pour se renforcer suffisamment par cette méthode
? Cela reste à voir avec la récession qui sévit dans la
zone euro.
Deuxième
souci, la BCE n’inscrit pas à son bilan les actifs
risqués de la dette souveraine qui sont achetés par les
banques, à la différence de la Fed et de la Banque
d’Angleterre qui les acquièrent directement. Ce faisant, elle
pousse dangereusement les banques au crime, cette nouvelle accumulation de
ces titres à leur bilan allant renforcer leurs liens consanguins avec
les États. La BCE défait donc d’une main ce qu’elle
aménage de l’autre en finançant les banques, alors
qu’elles venaient de se délester de ces mêmes titres. Sans
doute pourra-t-on constater plus tard, quand les détails de
l’opération seront connus, que ce ne sont plus les mêmes
banques qui vont être les plus lestées, mais cela sera pour
observer que ce sont les plus vulnérables, comme les Espagnoles,
à qui va échoir le mistigri !
Enfin,
ce sont les banques centrales nationales (BCN) – tout du moins celles
qui ont accepté à titre individuel de le faire, rompant pour
l’occasion la solidarité de l’Eurosystème
– qui vont recueillir le collatéral apporté en garantie
par les banques. La BCE s’est défaussée sur ces BCN, qui
la garantissent en retour de ses prêts aux banques. Ce mécanisme
protège la BCE mais charge les BCN et par ricochet les États
qui en sont les actionnaires. Ce sont eux qui, au bout de la chaîne,
garantissent les prêts de la BCE aux banques, avec comme garantie
propre des actifs dont les règles d’éligibilité
ont été baissées. Mieux, il a été
laissé licence aux BCN de déterminer la hauteur où elles
placent la barre, en fonction des disponibilités en collatéral
de leurs banques nationales et de leurs besoins…
Le
bilan qui ressort sans attendre de l’opération est simple
à dresser :
1/
Du temps a été gagné mais rien n’a
été réglé, les facteurs structurels de
fragilité du système financier européen sont toujours
présents, voire dans certains pays renforcés (cas de
l’Italie et de l’Espagne). Que les banques d’un pays soient
créancières de leur État est un facteur de très
grande fragilité quand les choses tournent mal.
2/
On constatera selon toute vraisemblance l’équivalent de ce qui
se passe aux États-Unis : les grandes entreprises vont regorger de
liquidités sans pour autant investir ; les moyennes entreprises vont
continuer à souffrir car elles dépendent des banques et non du
marché pour se financer. La relance espérée ne sera
alors pas au bout du chemin, d’autant qu’il faudrait que se
manifeste une demande destinée à financer l’investissement
et non pas uniquement le roulement de la dette des entreprises.
A
quoi vont être utilisées les nouvelles liquidités
prêtées par la BCE ? Faute de transparence, il faudra
procéder par estimations successives et recoupements. Au second round,
le gâteau sera comme lors du premier, coupé en plusieurs parts. Une
pour le roulement des dettes des banques, une autre pour des achats
obligataires, une dernière pour des crédits à
l’économie, une fois soustraits les fonds qui ne vont faire
qu’un aller et retour et se retrouver confiés aux bons soins de
la BCE, en attendant une possible affectation.
Lors
du premier round, on a estimé que les achats obligataires avaient
entre autres pour objet de se fournir en collatéral pour le coup
d’après (atterrissant donc dans les bilans des BCN). Cette
motivation disparue, qu’en sera-t-il cette fois-ci ? Beaucoup
d’argent est déversé, créant beaucoup
d’inconnues…
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