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La
catastrophe de Fukushima entrée dans sa deuxième année,
il se confirme que la centrale reste vulnérable aux
événements climatiques et sismiques, dans un pays où ils
sont nombreux et violents. En premier lieu parce que ses installations ont
déjà été très éprouvées, aux
dommages impressionnants visibles pouvant s’ajouter d’autres qui
ne sont pas apparents et affectent les structures. En second parce que les
installations de secours, improvisées, se révèlent
fragiles. Notamment les très nombreux tuyaux assurant la circulation
de l’eau de refroidissement des réacteurs et des piscines. Or,
ce provisoire est destiné à durer de très nombreuses
années.
Il
se vérifie également que la centrale continue
d’être à l’origine d’une importante pollution
radioactive de son environnement, aux effets cumulatifs, en particulier en
raison des masses d’eau radioactive de refroidissement des réacteurs
qui ne sont que partiellement décontaminées ou stockées
et se répandent dans les sous-sols techniques et dans le sol, une
partie se déversant finalement dans la mer. L’image du circuit
fermé s’estompe, celle de la bouilloire qui fuit s’impose.
Douze
tonnes d’eau contaminée se sont ainsi partiellement
répandues dans la mer, le 5 avril, à la suite de la rupture
d’un joint de canalisation. Parmi les autres
dysfonctionnement récents : la panne des systèmes
d’injection d’azote dans les enceintes des réacteurs, afin
de prévenir de nouvelles explosions dévastatrices
d’hydrogène. Il a fallu d’urgence y suppléer
après un arrêt de plus d’une heure et demie.
Les
tentatives de mieux cerner la situation au sein d’installations en
état critique rencontrent de nombreux obstacles, en raison d’un
haut niveau de radioactivité au sein des réacteurs qui proscrit
non seulement les interventions humaines, sauf quelques rapides incursions
dans des secteurs délimités, mais également celles
d’équipements qui ne résistent pas longtemps aux
conditions extrêmes régnantes .
L’inventaire
de l’existant reste donc très sommaire, tendant à faire
apparaître une dégradation de la situation, soit par rapport
à des observations précédentes, soit par rapport aux
prévisions. Il en est par exemple de l’absence de
visibilité au sein de la piscine n°4, qui dans l’état
rendrait impossible toute tentative d’enlèvement du combustible
nucléaire, ou bien du niveau bas inquiétant de l’eau de
refroidissement dans le réacteur n°2 (60 centimètres
seulement), avec pour conséquence une élévation de la température,
dont l’origine a été incriminée dans un premier
temps à une panne de certains instruments de mesure. Les trois
réacteurs sont le siège de phénomènes dont seuls
les effets peuvent se faire sentir et qui restent largement méconnus.
Cette
situation illustre on ne peut plus clairement la nature des
difficultés qui vont devoir être surmontées quand il
s’agira de commencer d’abord l’enlèvement du
combustible nucléaire, puis le démantèlement de la
centrale, pour lesquels un calendrier purement estimatif a été
fourni à la va-vite, qui s’étale sur des
décennies. Il va falloir commencer par concevoir les outils techniques
qui permettront d’y procéder, et élaborer les
procédures qui devront être suivies. Tout reste à
inventer, sans certitude sur la possibilité de trouver des solutions
pour les questions les plus épineuses.
Ce
tableau est déjà assez inquiétant, en raison des risques
de dérapage de la situation et d’une manière
générale des incertitudes qui se multiplient. Mais il doit y
être ajouté pour le compléter l’inconnue majeure
que représentent les trois coriums, le mot
même étant tabou pour l’opérateur Tepco, ce qui n’est pour le moins pas signe de
transparence. Le début des investigations au sein du réacteur
n°2, rendu possible car c’est celui où la radioactivité
est la moins élevée, tend à montrer que le corium a effectivement percé non seulement la cuve
du réacteur mais également celle du confinement et qu’il
doit s’être répandu sur la semelle de béton,
dernière protection avant le sol sur lequel repose la centrale, selon
toute probabilité elle-même attaquée. On comprendrait
mal, sinon, la contradiction relevée entre la température
modérée et le faible niveau de l’eau de refroidissement
dans l’enceinte de confinement, étant donné celle du corium s’il était présent.
Une
telle situation est totalement inédite dans l’histoire de
l’industrie nucléaire, expliquant qu’elle soit
l’objet d’une totale rétention d’information, si
tant est d’ailleurs que l’opérateur en dispose de fiable.
Le danger ne provient pas seulement de ce que l’on appelle le «
syndrome chinois » – l’enfoncement progressif du corium dans le sol – mais de son contact avec les
masses d’eau utilisées pour refroidir le réacteur, qui se
répandent elles aussi d’une manière non maitrisée,
le contact de l’un avec les autres étant susceptible de
provoquer des explosions et dégagements de radioactivité
importants. Il n’est d’ailleurs pas exclu que cela ait
été le cas à une échelle restée
limitée au sein de la piscine torique du réacteur n°2, le
15 mars dernier.
Toute
attente de la suite des événements est par
nécessité, passive, aucun moyen existant ne permettant de
maîtriser les trois coriums afin de les
cantonner en attendant que, progressivement, ils se refroidissent, ce qui
supposerait en premier lieu d’avoir une idée précise de
leur situation, qui semble faire totalement défaut.
L’hypothèse de la réédition de la fabrication
d’un gigantesque sarcophage, façon Tchernobyl, étant
totalement inadaptée à la situation, il ne reste plus qu’a espérer que l’ensemble de ces
problèmes trouvera à terme solution, sans qu’aucun nouvel
épisode aigu n’intervienne entre temps. La vérité
est qu’aucune garantie ne peut à cet égard être
donnée. L’improvisation, quand ce n’est la dissimulation,
reste le lot commun.
Billet rédigé par
François Leclerc
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