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Comment
acquiert-on une terre ou des ressources naturelles initialement
dépourvues d’un propriétaire ? Voici une des
questions juridiques les plus complexes qui soient.
Le premier
philosophe à y avoir répondu de la manière la moins
insatisfaisante possible fut John Locke. En effet, Locke expliquera, dans son Second Traité du Gouvernement civil,
qu’une personne devient propriétaire de ressources naturelles ou
d’une terre qu’elle convoite si elle y mêle son travail.
Mêler
son travail à une terre ou à des ressources naturelles semble,
a priori, le moyen le plus adéquat et le plus juste de se les
approprier. Car il ne suffit pas d’arriver sur un terrain immense et
d’y planter un drapeau pour se décréter
unilatéralement propriétaire. De trop importants conflits de
propriété y surviendraient et l’ordre social serait alors
rompu. Le « droit du premier occupant » –
même s’il est consacré en jurisprudence – est ainsi
beaucoup trop vague et mérite d’être
complété.
Certains
argueront du fait que le coût d’une clôture de
propriété est beaucoup trop élevé et ne permettra
qu’aux plus riches de devenir propriétaires. Tout d’abord,
rien ne permet concrètement d’affirmer une telle assertion qui
va à l’encontre de la pratique et, par ailleurs, comme le rappela
très justement le philosophe américain, Edward Feser, la théorie lockéenne de la
propriété est la seule à décrire « le
début d’une histoire rendant claire la manière dont
quelqu’un peut devenir propriétaire de quelque chose ».
Enfin, Murray Rothbard, s’il n’accepte
pas le proviso lockéen, expliquera que la
question de la clôture n’est pas fondamentale pour
déterminer l’identité du propriétaire. Dans son
ouvrage majeur, L’Éthique
de la Liberté, Rothbard écrira
clairement qu’un homme qui n’a pas fait clôturer son
terrain, le laissant même longtemps à l’abandon,
n’est pas pour autant « déchu » de son
titre de propriétaire. Il pourra même faire chasser le nouvel
occupant.
De son
côté, le philosophe américain, Robert Nozick,
tentera de compléter le proviso
lockéen, affirmant qu’il ne suffit pas de mêler son
travail pour s’approprier une chose mais qu’il faut, en sus, lui
donner de la valeur en l’améliorant. Il propose, pour ce faire,
le fameux exemple de l’homme qui verserait une bouteille de jus de
tomate dans l’océan, y faisant ainsi diffuser ses
molécules. L’individu qui aurait mêlé son travail
à l’océan serait-il pour autant subitement
propriétaire de ce dernier ? L’exemple, à
première vue caricatural, ne manque pas d’intérêt.
On le voit, la
question de la propriété débouche sur des
problématiques insolubles et on ne peut que procéder par
élimination pour aboutir à une esquisse de théorie en la
matière. Mais, malheureusement, ni le proviso
lockéen, ni les thèses de Rothbard et
de Nozick n’apportent de réponses
convaincantes, d’autant plus qu’il est extrêmement
compliqué de fournir des solutions générales. Il est
peut-être préférable, au moins sur certains points, de
raisonner au cas par cas. Enfin, force est de reconnaître que Locke,
comme plus tard, Rothbard et Nozick
ont introduit un dangereux virus dans leurs théories de la
propriété : la propriété de soi, notion
inacceptable, juridiquement parlant, puisqu’elle supposerait une
dualité entre le corps et la personne. La propriété de
soi devient ainsi un oxymore. Parler de droits de propriété sur
soi désacralise dangereusement le corps humain en le réduisant
au même rang qu’un bien meuble ou immeuble alors que ledit corps
mérite une protection supérieure et qu’il est de toute
façon indissociable de la personne. Il forme un tout avec elle.
Hélas,
à la lecture du Second
traité du gouvernement civil, on s’apercevra que ce concept
est au cœur du proviso lockéen.
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