Le
désendettement est pris en Europe dans un cercle vicieux qu’il
faudrait briser. Mais comment ? La détérioration des conditions
économiques et le poids des problèmes non résolus
pèsent sur le système bancaire européen, aboutissant au
final à une diminution du crédit et au maintien d’une
croissance globalement atone. Les banques sont confrontées à la
baisse de leurs revenus et à la dépréciation de leurs
actifs, ce qui accentue leurs besoins de désendettement et diminue
encore leurs encours de crédit. Le tout associé au
dysfonctionnement du marché interbancaire, qui se poursuit.
Les
dérèglements du système financier sont plus que jamais
le principal moteur de la poursuite de la crise et leur résolution
devrait être au cœur de toute stratégie. Ils vont appeler
une nouvelle intervention de la BCE, mais celle-ci ne réglera pas ses
problèmes de solvabilité, toujours niés, jamais
réglés et plus que jamais présents.
Le
dernier « rapport sur la stabilité financière globale
» du FMI a dressé le décor en annonçant que les 58
plus importantes banques européennes allaient devoir – suivant
l’hypothèse modérée – réduire leurs
bilans de 2.000 milliards d’euros d’ici à la fin 2013 (le
FMI compte 2.600 milliards en dollars). L’impact en termes de
crédit à l’économie est de -7 % pour la zone euro
et en points de PIB de -1,4 %, selon cette même hypothèse.
Eurostat,
l’institut statistique européen, a de son côté
mesuré l’impact de la dette privée sur la dette publique
en additionnant seulement ce qui traîne sous les tapis. Il est
arrivé à un total de 603 milliards d’euros,
l’Allemagne se détachant en tête avec une contribution de
près de la moitié de ce montant, reconnue par la Bundesbank,
devançant nettement le Royaume Uni, l’Irlande et les Pays-Bas.
Il ne faut pas chercher bien loin les données à l’origine
de ces calculs : elles proviennent des bilans des bad
banks créées dans ces pays. En
Allemagne, ce sont les actifs toxiques de Hypo Real Estate
et de WestLB qui y sont parqués, avec la
garantie de facto de l’État. D’après Handelsblatt,
le quotidien économique allemand, 100 milliards d’euros
d’actifs toxiques supplémentaires devraient être
ajoutés prochainement à ce compte, en provenance de WestLB.
La
mode est à nouveau aux bad banks, le gouvernement autrichien venant de
réinjecter 1,27 milliards d’euros dans KA Finanz,
dont l’État est l’unique actionnaire, où sont
retenus les actifs toxiques de Kommunalkredit,
nationalisé dès 2008. Sans compter les garanties qui vont aller
avec et dont le montant n’a pas été communiqué.
Mais
Eurostat ne s’est pas arrêté à ce constat
général et vient de sévir en Irlande. L’institut a
intégré dans les comptes publics 5,8 milliards d’euros
consacrés par le gouvernement au sauvetage des banques, et
contesté le traitement comptable de 32 milliards d’euros de
dette détenue par NAMA (la bad bank irlandaise), faisant à
l’arrivée plonger le déficit 2011 à -13,1 %, bien
au-dessus de l’objectif de -10,6 % fixé par la Troïka.
Rappel : le gouvernement irlandais a injecté 64 milliards
d’euros ces trois dernières années dans ses banques.
La
situation en Irlande apparaît comme préfigurant ce qui attend
l’Espagne, en beaucoup plus grand pour cette dernière. Ce qui
explique que la gravité et l’ampleur de la situation n’y
est reconnue qu’à reculons, faute de disposer d’une
solution. Les analyses sur la bulle immobilière espagnole n’en
finissent pas de démontrer qu’elle est loin d’avoir encore
produit tous ses effets dévastateurs sur le système bancaire
espagnol, acculant le gouvernement et les autorités européennes
à finir par trouver une solution afin de le renflouer et
d’éviter son écroulement. Une fois de plus, des centaines
de milliards d’euros sont évoqués.
La
part des logements vides s’accroit désespérément,
terminés, en cours de construction ou bien en attente d’acheteurs
après expulsion des occupants n’ayant pu payer leurs
mensualités de remboursement de prêt. Selon le New York Times
qui a dernièrement consacré une enquête fouillée
au sujet, des professionnels de l’immobilier chiffrent à 1,9
million de logements le parc d’invendus et à 3,9 millions le
nombre de ceux qui pourraient être mis sur le marché dans les
années à venir. Par rapport à leur pic de 2007, les prix
seraient destinés à chuter de 60 %… Les chiffres donnent
le tournis, d’autres estimations concluant à l’existence
de 21.000 promoteurs immobiliers devant 126 milliards d’euros aux
banques, selon un consultant immobilier interrogé par Reuters. Les
promoteurs seraient artificiellement maintenus en vie par leurs
créanciers afin que ces derniers n’aient pas à constater
leurs pertes.
Les
banques ne sont pas uniquement menacées par cette situation, les
Espagnols aussi, dans un pays où les patrimoines reposent sur 80 % de
valeurs immobilières. La baisse du marché représente un
appauvrissement généralisé du pays, un de plus.
Un
éclairage inédit a également été
apporté par l’enquête du New York Times. Suivant
l’exemple donné par les banques américaines, leurs consoeurs espagnoles n’ont pas manqué
d’évacuer de leurs bilans à destination du marché
européen beaucoup de leurs crédits immobiliers en les titrisant après les avoir packagés. Afin de
préserver leur crédit sur le marché, les banques
espagnoles ont dans un premier temps rachetés ces actifs à
leurs acquéreurs, lorsqu’ils étaient particulièrement
douteux. Mais elles doivent désormais les racheter avec une
décote de 10 à 30 %, n’ayant plus les moyens de payer
plein pot.
La
bulle immobilière n’est pas dans les moyens de l’Espagne ;
sera-t-elle dans ceux des dirigeants européens qui vont devoir se
faire violence ? Tout du moins une fois évacués les bricolages
du gouvernement espagnol qui évalue encore deux montages possibles :
la création de bad banks déguisées en
sociétés immobilières, et des emprunts aux banques de
l’État pour que celui-ci en retour les finance…
Les
dirigeants européens seront placés devant un dilemme, car leurs
accords actuels ne permettent pas au FESF (fonds européen de
stabilité financière) de financer directement les banques, les
aides devant passer par les États. Ce qui reviendrait, si une telle
décision était prise, à accroître le
déficit public espagnol…
La
seconde grande question qui monte est celle de la croissance. D’autant
que le Royaume-Uni vient officiellement d’entrer en récession,
confirmant s’il en était besoin que la stratégie de David
Cameron – réaffirmée faute d’alternative par George
Osborne – est un échec total.
Mais,
une fois admis que sans croissance le désendettement des États
est mal parti, il reste à en dégager le financement. Car
c’est sous cet angle que la question est prioritairement
abordée, sans remettre en cause la priorité accordée au
désendettement, en se contentant d’énumérer les
secteurs d’activité qui pourraient être porteurs de
croissance et donc de revenus fiscaux, comme s’il s’agissait
d’une simple formalité.
Mais
comment faire, si les banques ne peuvent pas et les États non plus ?
Mario
Draghi, le président de la BCE, a admis de
son côté que la BCE n’y parvenait pas davantage. Il a
procédé aujourd’hui à l’analyse des
résultats de l’injection de 1.000 milliards d’euros dans
le système bancaire, pour reconnaitre qu’ils n’avaient pas
produit tous les effets escomptés, car « la demande [de
l'économie] est contenue, donc la demande de crédit est
contenue ». « Nous ne pouvons pas suppléer au manque de
demande » a-t-il déploré, faisant valoir toutefois que du
temps avait été gagné, « ce qui n’est pas
négligeable »… On n’était pas habitué
à un langage aussi direct, faut-il que les choses ne tournent pas rond
?
Il
a ensuite été nettement plus loin, en déclarant devant
le Parlement européen : « Nous avons un pacte budgétaire
(…) nous devons revenir en arrière afin de faire un pacte de
croissance ». Tout en réaffirmant la nécessité de
la politique d’austérité actuelle et les bienfaits des
réformes structurelles, pour retomber sur ses pieds. Estimant
qu’il faut persévérer et que « nous sommes au
milieu du gué », Mario Draghi
n’en a pas moins affirmé son attachement au «
modèle social européen », tout en considérant
qu’il ne peut être fondé sur l’endettement… Il
y en a donc pour tout le monde.
Angela
Merkel a ainsi pu réaffirmer : « Nous
avons besoin de croissance, de croissance sous forme d’initiatives
pérennes, pas juste de programmes de conjoncture – qui
creuseraient encore la dette publique – mais de croissance comme Mario Draghi l’a dit aujourd’hui, sous forme de
réformes structurelles ». Jean-Claude Juncker a repris la balle
au bond : « Il est évident qu’il faut compléter la
politique européenne par une stratégie de croissance »,
ajoutant en négociateur accompli : « Ce n’est pas
nécessairement une affaire de traité, mais c’est une
affaire à traiter. »
Dans
ce contexte très évolutif et contradictoire, François
Hollande a trouvé du champ pour exprimer les quatre points du
mémorandum qu’il envisage d’adresser aux chefs
d’États s’il est élu. Il propose de créer
des eurobonds ayant pour objet de financer «
des projets industriels d’infrastructure »,
d’accroître les moyens de la Banque européenne
d’investissement, de mobiliser les reliquats inutilisés des
fonds structurels européens et de créer une taxe sur les
transactions financières.
Est-ce
que ces mesures fondent une alternative à une stratégie en
déroute ? Sont-elles susceptibles de déclencher une croissance
salvatrice et miraculeuse ? Il est permis de ne les considérer que comme
l’expression prudente de la base de négociations difficiles avec
l’équipe allemande au pouvoir, tout au plus. Si cet obstacle
devait être franchi, peut-on croire que l’équation du
désendettement européen pourrait alors être
résolue ? Le silence qui subsiste sur les mesures à prendre en
direction du système financier – une taxe financière
n’étant somme toute qu’une mesure aussi symbolique que ne
l’est la taxation des revenus les plus élevés –
montre que le compte n’y est pas. Tout un volet essentiel de la crise
reste dans l’ombre.
Une
dynamique peut-elle néanmoins s’enclencher, qui conduirait
à des remises en cause nécessaires ? Les nouveaux
épisodes de la crise seront sans conteste le moteur le plus puissant.
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