A
quelques jours de l’élection du président français,
un constat s’impose. Nous sommes malheureusement en train de
gâcher un rendez-vous vérité d’autant plus
important que la crise rend urgent la remise à plat de nos modes de
fonctionnement.
L’humeur
générale en France est à la sinistrose,
l’attentisme, la peur, l’impuissance. De plus en plus de
français comprennent que notre modèle est à bout de
souffle et qu’on ne peut pas continuer à creuser les
déficits, en demandant à l’État de faire toujours
plus. Pour autant ils s’interrogent sur notre capacité
collective à surmonter les épreuves. Or nous ne sommes pas
nécessairement dans une impasse et il existe des raisons
d’espérer. Notre histoire, comme celle de plusieurs pays, nous
montre qu’il n’y a rien d’inéluctable. Des réformes
courageuses, permettant de libérer les forces pour s’en sortir
par le haut, sont toujours possibles.
Que
nous enseigne donc notre histoire ? Que pendant près de 44 ans,
de 1914 à 1958, la France a glissé sur le terrain d’une
inflation rampante si bien qu’en 1959, le Franc ne valait plus que 0,4%
de ce qu’il valait en 1914. Entre 1914 et 1958, l’offre de
monnaie papier (et de dépôts à vue) a été
multipliée par 632, le service de la dette par 370, le coût de
la construction dans la région parisienne par 320, la dette nationale
par 240, l’indice des prix au détail par 200 et le prix des
loyers par 60.
Cela
ressemblait bien à une réelle descente aux enfers : les
français – pour chercher à se protéger contre
l’érosion de leur pouvoir d’achat – ont placé
leur épargne à l’étranger, l’ont
transformée en or et l’ont thésaurisée
plutôt que de la mettre au service de projets d’investissements.
Ils ont ainsi dépensé une énergie incroyable à
essayer de conserver – avec plus ou de moins de succès –
leur richesse plutôt que d’en créer de nouvelles.
En 1958, le
déficit de l’État s’élevait à 600
milliards d’anciens francs et le déficit prévisionnel
pour 1959 atteint le double, soit 1200 milliards. La situation est critique lorsque
le général de Gaulle prend la tête du gouvernement. L’économiste
Jacques Rueff et le ministre des finances Antoine Pinay échafaudent
alors un plan de redressement qui va mettre fin à cette période
désastreuse.
Ce plan, sans
être révolutionnaire, marque un vrai retour aux réalités.
Les mots d’ordre sont simples : les revenus doivent couvrir les
dépenses ; ces dernières doivent avant tout servir
à financer les fonctions essentielles de l’État ; il
faut cesser de monétiser la dette et repousser les problèmes
à demain ; il est vital de limiter l’État providence
et la bureaucratie et de s’ouvrir au marché commun naissant.
Plus
près de nous, il suffit de regarder vers le Canada des années
1990 pour constater que, là aussi, des réformes radicales ont
pu être conduites. La dette publique canadienne dépassait les
100 % du PIB au milieu des années 1990, soit l'un des niveaux les plus
élevés parmi les pays de l'OCDE. En une vingtaine
d’années, la dette fédérale par personne a
été réduite d'environ 40 % déduction faite de
l’inflation. Les déficits ont été
considérablement réduits, au point de disparaître durant l'exercice 1997-98. En 2007-2008, le Canada enregistrait son onzième
budget excédentaire consécutif, alors que nous
réalisions en France notre trente troisième déficit
d’affilée depuis 1974.
Comme
lors du retour au pouvoir du général de Gaulle, ce
résultat fut obtenu grâce à un réexamen du
rôle de l’État. Cette remise en cause fut d’autant
plus consensuelle que le délabrement prolongé des finances
avait de facto réduit les capacités d’intervention
publiques. Cela donna lieu à des coupes importantes dans les
dépenses de nombreux ministères entre 1994-95 et 1997-98, avec
des budgets parfois réduits de moitié. Les transferts aux provinces ont
baissé de 20%, le nombre d’employé dans le secteur public
fédéral de 17%. Il faut aussi noter que parallèlement,
la baisse des dépenses a été accompagnée de
recettes budgétaires plus importantes, dues en partie à la
croissance économique retrouvée, mais aussi à de
nouvelles levées fiscales. C’est grâce à ces
réformes structurelles radicales que le Canada affronte la crise
actuelle avec beaucoup plus de sérénité que nombre de
pays européens, en évitant par exemple de tomber dans des débats
ne pouvant rien amener de bon, tels celui sur l’intérêt
d’un retour au protectionnisme.
Il
n’y a pas de fatalité. Il est cependant dommage de n’avoir
pas profité de la campagne présidentielle française pour
tenir un discours de vérité. C’est un fait que notre État
a des limites et qu’il faut revoir ce qui doit relever de sa
responsabilité et de celle de tout un chacun. C’est un sujet que
le futur Président français ne pourra pas se permettre de
reporter aux calendes grecques.
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