La
série noire continue : après la défaite de Nicolas
Sarkozy, la chute électorale des deux grands partis grecs (impliquant
de nouvelles élections sans trop d’illusion sur leur résultat),
et la raclée reçue par David Cameron aux élections
locales, voici la débâcle municipale de la droite italienne qui
se confirme.
Sous
ces pesants auspices, Angela Merkel et François Hollande entament la
recherche d’un compromis stratégique, un plan A’. Ils sont
pris de vitesse, la fragilité extrême du système bancaire
espagnol enfin reconnue par Mariano Rajoy, prélude à un
sauvetage inévitable, et le ralentissement du rythme du
désendettement public le devenant également en Grèce,
à moins d’accepter sa sortie de la zone euro. Le
bénéfice devrait alors en être étendu à
l’Espagne, puis au Portugal et à l’Irlande. Dans les deux
cas, il y aura toutefois un prix à payer.
Ecartant
ces sinistres présages, la croissance est devenue le maître mot
du discours, prenant abruptement la succession de
l’austérité. Ayant l’avantage de ne pas être
opérationnels, Christine Lagarde et Olli Rehn tentent pour leur part
de réaliser l’impossible synthèse entre les deux, comme
s’ils siégeaient en commission de résolution d’un
congrès ! D’autres, comme David Cameron, prennent le train en
marche et expliquent que « nous devons faire les deux choses à
la fois », sans expliquer comment. Inflexible, Jörg Asmussen de la
BCE, entend qu’« il doit être tout à fait clair que
le pacte budgétaire – augmenté d’une
élément sur la croissance – ne doit pas être
affaibli dans sa substance », sans « passer par une hausse de la
dépense publique ».
Une
grande négociation européenne s’engage à la mode
des précédentes sous ce tir groupé de déroutes
électorales. Mais l’offre de croissance présumée
qui en sortira sera-t-elle à la hauteur de la situation et
répondra-t-elle à la demande pressante ? Les «
décisions essentielles » que la chancelière allemande
s’apprête à prendre avec le nouveau président
français ne vont-elles pas se résumer, une fois de plus,
à l’expression insatisfaisante d’un compromis de
circonstance ?
L’attente
en est partagée par tous les dirigeants européens,
confrontés chez eux au même échec stratégique. Une
première réponse tactique va lui être donnée
à l’occasion du dîner informel des chefs
d’État et de gouvernement, le 23 mai prochain. En faisant dire
que le gouvernement allemand ne pouvait pas bloquer toutes les portes
à la fois – l’intervention de la BCE et les euro-obligations
– François Hollande a laissé entendre qu’il allait
tenter d’obtenir des project bonds (des obligations
destinées à financer des investissements et non un
déficit). Mais le volume financier qu’ils représenteront
reste à négocier.
Jacques
Attali et Pascal Lamy avancent pour leur part le montant de mille milliards
d’euros, un montant devenu unité de compte par les temps qui
courent. Ils ont estimé le moment venu pour exposer leur plan
d’action, en tentant de slalomer entre les difficultés, rejoints
par des personnalités européennes. Il comporte deux volets,
l’un concernant les investissements et leur financement, l’autre
la dette à résorber. Des project bonds pourraient
être émis par la Banque européenne
d’investissement, dont le remboursement serait financé par une
rétrocession d’un point de TVA des États, ainsi que par
deux taxes, l’une liée aux émissions de carbone,
l’autre aux transactions financières. La Commission ne manque
pas dans ses cartons, comme elle vient de le rappeler, de projets
consacrés aux secteurs de l’énergie, des transports, du
numérique, de la recherche cognitive…
Le
second volet implique de « circonscrire les dettes du passé en
en mutualisant une partie ». On pense immédiatement à la
partie qui dépasse le ratio de 60% du PIB. La perspective de la
création d’un Trésor Européen est tracée,
l’équivalent de l’institut monétaire
européen qui avait précédé la création de
la BCE, ce qui permet d’occulter l’épineuse question des
euro-obligations en la dépassant. L’accent est mis pour conclure
sur une avancée fédéraliste de l’Europe, afin de
donner une « légitimité démocratique »
à l’ensemble, selon les auteurs du document.
Comment
ne pas relever dans cet exercice l’absence d’un troisième
volet, indispensable à toute stratégie de désendettement
? et ne pas constater que rien n’est prévu au chapitre du
désendettement du système bancaire européen, dont
l’exemple espagnol montre qu’il mérite quelque attention ?
Quant
à l’offre de croissance qui sera annoncée à grand
fracas d’ici la fin de mois, comment va-t-elle être accueillie si
elle ne se traduit pas concrètement dans la vie quotidienne de ceux
qui font les frais d’une austérité que David Cameron
préfère renommer « efficacité », afin de
chercher refuge derrière les mots ? Le temps est aux
reconsidérations et il est en train de survenir ce que le gouvernement
allemand craignait, le conduisant à ne rien vouloir céder : des
premières mises en cause risquent d’en appeler d’autres.
Les
Grecs viennent d’enrayer une machinerie péniblement lancée
: il y a une limite à l’insupportable, au-delà de
laquelle toute révolte trouve la première occasion qui lui
tombe sous la main pour s’exprimer. Pour y répondre dans toute
l’Europe, une inflexion stratégique fera-t-elle l’affaire,
comme si ce n’était qu’une simple question de degré
et de curseur ? Chaque chose en son temps : un deuxième moteur de la
crise européenne vient d’être mis en route.
Billet
rédigé par François Leclerc
Son
livre, Les CHRONIQUES
DE LA GRANDE PERDITION vient de paraître.
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