Les dirigeants européens sont dans l’attente
inquiète des résultats des prochaines élections
législatives grecques, dans moins d’un mois. À constater
la multiplication des tentatives d’en cerner les conséquences,
l’accent est manifestement davantage mis par les commentateurs sur la
sortie de la Grèce de la zone euro que sur son maintien.
Le souhait qu’elle y reste est émis de tout
côté, mais en y ajoutant que cela dépend en fin de compte
des Grecs eux-mêmes (oubliant que la BCE dispose du moyen de prendre la
décision à leur place). Les pressions ne manquent pas dans la
perspective des élections. En préconisant la tenue d’un
referendum sur la sortie de l’euro afin de biaiser la consultation,
Angela Merkel s’est fourvoyée sur ce
terrain scabreux et a dû vite faire machine-arrière. Der Spiegel
confirmera demain lundi qu’elle a effectivement tenté cette
manœuvre ratée. Wolfgang Schäuble,
le ministre allemand des finances, vient d’ailleurs de revenir à
la charge dans une interview accordée à Kathimérini,
expliquant que les Grecs ne voteront pas seulement pour un parti le 17 juin
prochain, mais également pour le maintien ou non de la Grèce
dans l’euro. Un « oui » à l’euro signifiant
selon lui un « oui » à l’austérité.
Ces pressions qui vont se renouveler ne sont pas sans
naïveté, car même si une coalition Nouvelle
Démocratie-Pasok trouve en fin de compte une majorité
parlementaire, celle-ci reposera sur la promesse d’une renégociation
du « mémorandum » de la Troïka, qui pourra
très difficilement être reniée, quitte à
l’engager à minima. Par ailleurs, plus personne n’a foi
dans le business plan de la Troïka, ce qui imposera
tôt ou tard de le revoir de toute façon.
Dans l’immédiat, les dirigeants européens
naviguent entre deux écueils. L’Allemagne craint qu’un
souhait trop prononcé de voir la Grèce rester au sein de la
famille euro ne soit traduit par les Grecs comme la possibilité
d’une négociation, mais à l’inverse la
reconnaissance que la Commission fait des préparatifs dans
l’éventualité d’une sortie pourrait
être comprise comme l’annonce qu’une décision en ce
sens a déjà été prise.
Les conséquences financières de cette
dernière sont très difficilement chiffrables, elles ne le sont
pas davantage au plan politique. Certains s’y essayent et cela donne
des montants qui font réfléchir. Pour les finances publiques,
les coûts directs pourraient être au maximum de 350 milliards
d’euros pour les pays de la zone euro, Grèce exclue. Cela
comprend les prêts consentis au pays, y compris la quote-part du FMI
qui revient aux pays européens, ainsi que le montant des obligations
grecques détenues par la BCE et les banques centrales nationales.
Cette somme correspondrait à un défaut total et pourrait
être moindre en cas de défaut partiel. Suivant l’ampleur
de celui-ci, le coût pourrait varier entre 150 et 225 milliards
d’euros (42% et 64% de dépréciation), selon Barclays
Capital et UBS. Pour mémoire, la restructuration de la dette grecque
détenue par les banques qui a déjà été
opérée a porté sur une réduction de la valeur des
actifs de 53,5%. Pour les créanciers privés, les banques et
compagnies d’assurance, il est estimé qu’elles perdraient
dans l’affaire une centaine de milliards d’euros.
L’évaluation des coûts indirects
induits est une toute autre affaire. Les retraits massifs des
dépôts enregistrés dans les banques grecques et à
la Bankia espagnole suggèrent que ce
scénario pourrait se répéter, cette fois-ci sous une
forme plus aigüe et atteindre toutes les banques espagnoles, ainsi que
les italiennes. Les marchés boursiers et obligataires connaitraient un
sévère coup de tabac, à la baisse pour le premier et
à la hausse pour le second.
Il pourrait en résulter la mise sur pied dans
l’urgence d’un système de garantie de
l’épargne, afin de stopper les retraits et de limiter leurs
conséquences pour les banques. Ainsi que l’activation du Fonds
de stabilité (FESF) au profit des banques espagnoles, et probablement
de l’État. La mise sur pied du Mécanisme européen
de stabilité serait accélérée à toutes
fins utiles, et les banques centrales nationales pourraient être
recapitalisées. Enfin, la BCE pourrait également lancer une
troisième opération massive de prêts en direction des
banques.
L’Irlande et le Portugal obtiendraient une
renégociation du calendrier de sortie de leurs plans de sauvetage
respectifs et l’Espagne une nouvelle révision à la baisse
de ses objectifs de réduction du déficit. Le sort de
l’Italie est l’inconnue majeure. La Grèce, enfin, dans le
pire des états, devrait tout de même être aidée au
nom d’une solidarité politique européenne qui ne pourrait
pas être totalement abandonnée.
Le paradoxe de cette accumulation
d’événements est qu’ils reviendraient à
réaliser ce que l’Allemagne se refuse à négocier !
Le coût politique est tout aussi difficile à
cerner. La sortie de la Grèce pourrait donner le coup d’envoi
d’un détricotage de la zone euro, au
lieu de la poursuite de son élargissement. D’autres pays
pourraient être tentés de suivre son exemple, si les épreuves
endurées devenaient par trop insupportables. Au plan symbolique, le
coup serait rude car l’entrée de la Grèce au sortir de la
dictature visait à la prémunir du retour de ce genre
d’expérience.
L’élan européen, déjà
bien affaibli, serait brisé au profit du repli sur les
intérêts nationaux, ou présumés tels. Seuls
d’incorrigibles optimistes (ou d’aveugles idéalistes)
veulent encore croire aux vertus d’une saignée qui
préluderait à son rebondissement. Mais un nouvel épisode
de la construction européenne devrait se faire cette fois-ci aux
conditions allemandes, ce qui le rend irréaliste. Un nouveau deal,
à l’image de celui qui avait présidé à la
naissance de l’euro il y a treize ans, ne se présente pas du
tout dans les mêmes conditions. Et la crise financière ne peut
être réduite à celle de la dette publique.
Depuis le début, la Grèce a
été présentée comme le laboratoire de la
stratégie européenne. Elle le reste, mais d’une
manière imprévue. Au jeu des comparaisons, la renégociation
du sauvetage de la Grèce coûterait moins cher que sa
sortie de l’euro. Mais cela ouvrirait la porte à d’autres
négociations qui, de fil en aiguille, risqueraient de mettre en
question les bases mêmes de la stratégie actuelle. Si
l’affaire se conclut par une sortie grecque, on saura au moins combien
coûtera la volonté de persévérer dans
l’erreur, entre le coût d’un nouveau sauvetage et celui du
défaut.
Une dernière question : ce défaut peut-il ou
non intervenir ? Devant l’inconnue qu’il représente, les
dirigeants européens vont chercher à reprendre la main par tous
les moyens. Mais la situation est en train de leur échapper des
doigts. Stay tuned !
Restez à l’écoute !
Billet
rédigé par François Leclerc
Son
livre, Les CHRONIQUES
DE LA GRANDE PERDITION vient de paraître.
Un « article presslib’
» est libre de reproduction numérique en tout ou en partie
à condition que le présent alinéa soit reproduit
à sa suite. Paul Jorion est un «
journaliste presslib’ » qui vit
exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il
pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui
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