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Et
les spéculateurs de CDS (Credit-default
Swaps) qui ne paient pas d’impôts ? Pourquoi on en parle
jamais ? On parle beaucoup des Grecs qui ne paient pas d’impôts
et, en ce moment, en raison de la maladresse de certains, on parle aussi des
fonctionnaires internationaux, en particulier ceux du Fonds Monétaire
International, qui ne paient pas d’impôts, mais sur les
spéculateurs de CDS qui ne paient pas d’impôts, allez
savoir pourquoi ? Motus !
Il
faut dire que ce n’est pas si simple de savoir qui ils sont exactement
puisqu’ils font partie du shadow banking, le secteur financier de l’ombre.
C’est quoi ça ? C’est la finance
non-régulée. Pourquoi n’est-elle pas
régulée ? Parce que c’est elle qui paie les salaires des
lobbyistes qui rédigent les textes de lois réglementant la
finance (et parfois les autres) que les députés
reçoivent clé en main et n’ont plus qu’à
signer.
Étant
dans l’ombre, on ne sait donc pas vraiment qui c’est.
N’expliquent-ils jamais qui ils sont vraiment ? Si, d’une
certaine manière : quand un spéculateur parle en son nom, il
emploie toujours la même expression : « un bon père de
famille ». Quand un spéculateur explique ce qu’il fait, il
commence sa phrase par « Un bon père de famille fait ceci ou
ça… ». Dans la suite de mon billet, j’appellerai
donc les spéculateurs, « bons pères de famille »,
et on saura de qui je parle.
Au
moment où se préparait la chute de la Grèce, on parlait
beaucoup de la responsabilité des CDS dans ce qui se passait.
Maintenant, à propos de l’Espagne, motus là aussi ! On ne
parle plus des CDS, pourquoi ? Je ne sais pas, ou alors si, comme dit la
chanson : « On n’oublie rien de rien, on s’habitue,
c’est tout ».
Comment
les CDS auront tué l’Euro ? J’explique. Je rappelle
d’abord qu’un CDS peut jouer le rôle d’une assurance
sur une dette. Vous avez prêté 100 € à Oscar. Comme
vous n’êtes pas sûr qu’il vous les rendra, vous vous
adressez à Eusèbe, qui vous assurera. Vous allez payer 5
€ tous les mois à Eusèbe, et en échange de cette
prime, Eusèbe vous paiera l’argent qui manque à
l’arrivée. Oscar ne vous rembourse que 75 € ?
Eusèbe vous donnera les 25 € qui manquent. Oscar a pris la
poudre d’escampette ? Eusèbe vous versera, rubis sur
l’ongle, les 100 € manquants.
Ça,
c’est pour ce qu’on appelle une position « de couverture
» sur CDS. Maintenant, les positions « nues ». Attention,
c’est plus compliqué, parce qu’il y a maintenant cinq
personnes : il y a Jules et Gontran en plus. Jules a prêté 100
€ à Gontran. Je me rends chez Eusèbe et je lui demande de
m’assurer contre le fait que Gontran ne remboursera peut-être pas
Jules. Pourquoi est-ce que je ferais ça ? Parce que je suis un bon
père de famille, pardi ! (Il y a des gens, je vous jure, qui posent de
drôles de questions !).
Je
ne vous expliquerai pas pourquoi on a pris l’habitude d’appeler
une position « nue » sur CDS : « s’assurer sur la
bagnole du voisin », je crois que vous avez compris.
Les
positions « nues » sur CDS seront interdites en Europe à
partir du mois du novembre. Pourquoi a-t-on attendu si longtemps alors que
les positions « nues » sur CDS faisaient déjà
chuter la Grèce en janvier 2010 ? Là aussi, je vous jure, il y
en a qui posent de drôles de questions ! parce qu’il restait
l’Espagne, l’Italie, la France…, à envoyer à
la casse, et qu’on pourra revendre par morceaux à un prix
intéressant aux pères de famille (prévoyants) qui auront
fait des économies.
Comment
font les bons pères de famille pour faire tomber des pays ? Là
aussi, je vais vite : ils s’assurent sur le pays du voisin. Comme ils
sont (au moins) quatre fois plus nombreux que ceux qui s’assurent sur
leur vrai pays (et qui ont vraiment quelque chose à perdre), ils
gonflent la demande et font monter le prix.
Pendant
ce temps-là les économistes qui regardent ça se disent :
« Mince alors, regardez comme le risque augmente que Gontran ne
rembourse pas Jules ! Ça donne les jetons ! »
Les
économistes ne comprennent donc pas que ce sont les bons pères
de famille qui font monter les prix ? Non, dans leurs livres
d’économistes, la spéculation n’existe pas :
ça n’est pas expliqué. Si, il y a une note en bas de page
qui dit : « Les bons pères de famille apportent de la
liquidité sur les marchés ». Point à la ligne.
Le
prix de la prime de CDS augmente, parce que la demande augmente. Les
économistes calculent le risque que les pays ne remboursent pas leur
dette en faisant le calcul dans l’autre direction : à partir du
montant de la prime du CDS.
Résultat,
le jour où Gontran se représente, le marché des capitaux
lui demande pour lui prêter, un taux d’intérêt dans
lequel on a glissé (on appelle ça le spread
dans les journaux) la prime de risque du marché des CDS
(véritables assurés ET bons pères de famille), et hop,
on demande à Gontran pour emprunter pendant 10 ans, un taux
d’intérêt de 28,9 % (comme la Grèce en ce moment
sur Bloomberg), et c’est fini pour Gontran : la Troïka frappe
déjà à sa porte pour lui expliquer comment on devient
serf, et qu’après tout, ce n’est pas si grave.
Attendez,
attendez, ce n’est pas fini : le plus drôle vient encore ! Un
assureur, on lui demande de faire des réserves, non ? Comme ça,
si quelque chose se passe d’imprévu, il pourra puiser dans ses
réserves. Dans la plupart des cas, ça suffira, et si ça
ne suffit pas, ben, le problème ne se posera que pour la
différence entre la somme à payer et les réserves, qui
auront au moins joué le rôle d’amortisseur. Mais dans le
cas des CDS (et là, j’en vois qui se fendent la pipe parce
qu’ils savent déjà ce que je vais dire), les CDS,
c’est le shadow banking,
le secteur de l’ombre, non ? Et à quoi ça servirait
d’être le secteur de l’ombre, si dans le secteur de
l’ombre on était obligé de faire des réserves
comme dans le (crétin de) secteur de la lumière ?
Donc,
pas de réserves pour amortir le choc en cas de pépin, et comme
il y a, je l’ai dit (au moins) quatre fois plus de pères de
famille qui se sont assurés sur le pays du voisin que ceux qui
couraient vraiment un risque…
Et
voilà pourquoi votre fille est muette, et les CDS auront tué
l’euro (enfin, au moins lui, vu que, de la manière dont
c’est parti…).
(*)
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condition que le présent alinéa soit reproduit à sa
suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses
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