Une
grande partie de ce que fait l’État
est justifié par l’idée selon laquelle les gens ne
peuvent pas faire les choses par eux-mêmes. L’État doit donc le faire
pour eux : il intervient.
Le
résultat de cette intervention est souvent un système bancal,
rapidement inefficace, mal financé et où
tout choix et toute diversité de solution disparaissent malgré
les besoins différents des personnes.
En
France, le résultat critiquable de l’intervention de l’État dans
l’instruction des enfants, l’assurance maladie ou
l’épargne retraite vient immédiatement à l’esprit.
Bien
sûr, les échecs qui en résultent ne sont jamais
reprochés à l’État :
au contraire, celui-ci explique alors bientôt qu’ils sont apparus
parce que son intervention n’était pas assez absolue.
Elinor Ostrom, première femme
à avoir reçu le Prix Nobel d’économie
L’économiste
Elinor Ostrom est
décédée le 12 juin 2012. Elle avait reçu en 2009
le Prix Nobel d’économie pour ses travaux innovants.
Elinor Ostrom
s’est penchée sur la manière dont les personnes
résolvent un des problèmes les plus épineux : la
gestion efficace d’une ressource commune, comme par exemple une
prairie, une forêt, une rivière ou une pêcherie.
La tragédie des
biens communs…
Dans
ce type de biens collectifs, chaque individu a une incitation à tirer
le maximum de la ressource commune sans jamais participer à son
entretien ou son renouvèlement. Il existe une forte incitation au
resquillage : tous les individus sont incités à utiliser la
ressource au maximum et n’ont aucune incitation à investir afin
de l’améliorer ou de la perpétuer.
Si
je pêche du poisson au sein d’une pêcherie,
c’est-à-dire une zone de pêche qui n’appartient
à personne, je m’approprie complètement ces poissons.
Mais si je réalise un investissement pour augmenter le nombre futur de
poissons dans cette zone (changer de filets pour en élargir le
maillage, épandre des nutriments pour nourrir et attirer les poissons,
etc.), d’autres que moi profiteront aussi de mes efforts. Pourquoi
devrais-je donc risquer de faire cet investissement si d’autres qui ne
font rien en tireront aussi le bénéfice ?
Je
vais plutôt attendre que d'autres réalisent cet investissement.
Mais si tout le monde fait le même calcul, la communauté se
retrouverait à terme avec une ressource épuisée :
une prairie surexploitée où
plus rien ne pousse, une pêcherie où
tous les poissons ont été pêchés. C’est ce
que les économistes appellent la tragédie des biens communs.
… ou pas
Mais
Elinor Ostrom a
montré que cette tragédie ne se réalise pas sous
certaines conditions. Elle a démontré en divers endroits
à travers le monde qu’une gestion efficace et durable de biens
communs peut fonctionner si des règles informelles existent.
Alors
que la plupart des hommes d’État,
confrontés à la gestion
inefficace d’une ressource commune, s’orientent vers la
privatisation ou la nationalisation de cette ressource, Elinor
Ostrom a trouvé des exemples fructueux
d’une troisième voie sous la forme de systèmes
autogérés d’action collective. Il s'avère que les
personnes libres ne sont pas aussi impuissantes que les théoriciens
l’ont cru.
Des
études de terrain dans toutes les régions du monde ont
constaté que des groupes locaux d'utilisateurs de ressources ont
créé une grande diversité d'arrangements institutionnels
rendant possible et soutenable l’exploitation de ressources communes de
manière coopérative.
Elinor Ostrom a par
exemple étudié l'autogestion réussie de systèmes
d'irrigation au Népal. Les systèmes d'irrigation qui sont
créés et gérés par les agriculteurs
eux-mêmes sont en moyenne en meilleur état et ont une plus
grande productivité agricole que ceux réalisés et
gérés par une agence de l’État.
En fonction de leurs particularités géographiques et
culturelles, les agriculteurs ont élaboré leurs propres
règles, compensant les effets pervers relatifs à la
tragédie des biens communs.
Ces
règles qui peuvent être presque invisibles pour
l’observateur extérieur sont souvent les suivantes :
·
Des limites clairement définies et l'exclusion
effective des acteurs ne prenant pas part à cette
coopération ;
·
Une prise de décision collective qui inclut les
parties prenantes à cette ressource ;
·
Des surveillants (utilisateurs eux-mêmes) chargés de rendre des
comptes aux agriculteurs ;
·
L’application de sanctions pour ceux abusant de la
ressource ;
·
Des systèmes d’arbitrage peu dispendieux pour
la résolution de conflits;
·
La reconnaissance de ce droit communautaire par les
autorités étatiques.
Coopération
versus domination
On
parle ici d’une coopération entre personnes privées pour
l’exploitation commune d’une ressource dans un cadre limité. Dans son ouvrage
« Governing the Commons »,
elle explique ainsi le fonctionnement de villages japonais combinant propriété
privée des champs et autogestion des forêts.
Certains
commentateurs considèrent que les travaux d’Elinor
Ostrom sont autant une critique de
l’économie de marché
qu’une charge contre l’économie étatique. Mais ces
commentateurs ne comprennent pas qu’il s’agit de libre
coopération entre personnes pour créer, développer et
arbitrer une ressource commune.
Reste
que ce type de coopération a toute sa place dans la
société libérale car la ressource est divisée en
unités privées et repose sur la libre coopération entre
les personnes. Il permet d’éviter la tragédie des communs
propre à la gestion publique des ressources.
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