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Le 4 juillet n’a pas toujours
représenté le jour anniversaire de la militarisation de la
société Américaine et de la quête éternelle
de la domination du monde par le gouvernement fédéral (sous le
prétexte de ‘défendre les intérêts des
Etats-Unis à l’étranger’). Les Américains
d’autrefois ne se rendaient pas à l’église le
dimanche précédent le 4 juillet pour ‘honorer’
leurs ‘héros militaires’ et prier pour que leurs troupes
assassinent toujours plus d’innocents dans des pays qui ne leur ont
jamais fait aucun mal. Fut un temps, les Américains lisaient et
comprenaient la Déclaration d’Indépendance pour ce
qu’elle est réellement : la déclaration officielle
de séparation des Etats-Unis et de l’Empire Britannique visant
à la création d’un nouvel état opposé
à toute forme de centralisation et de militarisation.
La Déclaration
d’Indépendance représentait au départ l’acte
ultime de sécession des Etats-Unis et de protection du droit des
Etats. ‘Les gouvernements sont instaurés parmi les
Hommes’, écrivait Thomas Jefferson, ‘pour garantir ces droits, et
leur juste pouvoir émane du consentement des gouvernés. Toutes
les fois qu’un gouvernement s’éloignera de cet objectif,
le peuple aura le droit de l'abolir et d'établir un nouveau
gouvernement, en le fondant sur les principes et en l'organisant sous la
forme qui lui paraîtront les plus propres à lui apporter
sûreté et bien-être. Et à chaque fois qu’une longue
suite d'abus et d'usurpations marquera le désir de son gouvernement de
le soumettre au despotisme absolu, il sera de son droit et de son devoir de
le rejeter et de pourvoir à sa sécurité future’.
Le ‘peuple’ était
supposé exercer son pouvoir sur le gouvernement par le biais
d’organisations politiques étatiques et locales. Ainsi, dans le
dernier paragraphe de la Déclaration, Jefferson écrit que
‘En
conséquence, nous, les représentants des États-Unis
d'Amérique, assemblés en Congrès général,
prenant à témoin le Juge suprême de l'univers de la
droiture de nos intentions, publions et déclarons solennellement au
nom et par l'autorité du bon peuple de ces Colonies, que ces Colonies
unies sont et ont le droit d'être des États libres et
indépendants ; qu'elles sont dégagées de toute
obéissance envers la Couronne de la Grande-Bretagne ; que tout
lien politique entre elles et l'État de la Grande-Bretagne est et doit
être entièrement dissous ; que, comme les États
libres et indépendants, elles ont pleine autorité de faire la
guerre, de conclure la paix, de contracter des alliances, de
réglementer le commerce et de faire tous autres actes ou choses que
les États indépendants ont droit de faire’.
Il est important de noter que les Etats
individuels sont décrits comme étant ‘libres et
indépendants’. Ainsi, les Etats libres, indépendants et
souverains ont été unifiés dans le seul objectif de
gagner leur indépendance face à l’Empire Britannique. Les
mots ‘Etats-Unis d’Amérique’ ne signifient en rien
‘gouvernement des Etats-Unis’, comme nous pourrions le penser
aujourd’hui. Le mot ‘Etats’ est toujours sous sa forme
plurielle, afin de transmettre l’idée que les Etats
indépendants et libres sont unis dans le seul objectif de protéger
la vie, la liberté et le bien-être de leur peuple. Aux yeux de
Jefferson et des autres signataires de la Déclaration
d’Indépendance, chaque Etat Américain est tout aussi
souverain que la Grande-Bretagne, la France et l’Espagne. Ce sont les
‘représentants des Etats-Unis’ qui devaient être
chargés d’exprimer leur accord (ou leur refus) des lois qui leur
étaient imposées.
Ce fut Abraham Lincoln, que Murray Rothbard a un jour décrit comme étant un
‘menteur et un manipulateur’, qui commença le premier
à détourner les Américains de leur compréhension initiale
du texte de la Déclaration d’Indépendance. Les tournures
de phrases utilisées par Lincoln dans son Adresse de Gettysburg
– discours se concentrant exclusivement sur le paragraphe de la
Déclaration voulant que ‘tous les hommes aient été
créés égaux’ - avaient pour objectif de
transformer ce document sécessionniste en un document
anti-sécessionniste. C’est ainsi qu’il parvint à
faire croire aux électeurs du Nord qu’il était un
Jeffersonien.
Non pas que Lincoln ait jamais
pensé que les Hommes étaient – ou devraient être
considérés – égaux en droits. Voici ce qu’il
a déclaré le 18 septembre 1858 lors d’un débat
avec Stephen Douglas : ‘Je ne suis pas,
et n'ai jamais été, en faveur de l'égalité
sociale et politique des races blanche et noire, je ne suis pas et n'ai
jamais été en faveur de faire des Nègres des
électeurs ou des jurés, ni de les qualifier à exercer
des fonctions, ni de se marier avec des personnes blanches; et je dirai en
plus de ceci qu'il y a une différence physique entre les races blanche
et noire qui je crois interdira à jamais aux deux races de vivre
ensemble dans des conditions d'égalité sociale et politique. Et
d'autant qu'ils ne peuvent pas vivre ainsi, aussi longtemps qu'ils seront sur
un même territoire, une position de supériorité et
d'infériorité devra être maintenue. Autant que n'importe
quel autre homme, je suis d’avis à ce que la position
supérieure soit attribuée à la race blanche’.
Lors de son premier discours
d’investiture, Lincoln disait supporter le Fugitive Slave Act et la proposition d’amendement Corwin, ayant préalablement été
approuvée par le Sénat, et qui visait à interdire au
gouvernement des Etats-Unis d’abolir l’esclavage dans les Etats
du Sud. Il est même allé jusqu’à proposer à
ce que l’esclavage soit enchâssé à la Constitution
de manière irrévocable. Vous pourrez constater que ceci
n’a absolument rien à voir avec les idéaux d’une
personne croyant en l’égalité de tous les Hommes.
A l’époque, presque tout
le monde dans les Etats du Nord comprenait la signification réelle de
la Déclaration d’Indépendance, et s’opposait
à la volonté de Lincoln de modifier le document. Ce point est
parfaitement documenté dans un ouvrage en deux tomes intitulé Northern Editorials
on Secession, et édité par
Howard Cecil Perkins. Il est composé de 495
éditoriaux issus de différents journaux publiés entre
septembre 1860 et juin 1861. La plupart des journaux publiés dans les
Etats du Nord, écrit Perkins, étaient
en faveur d’une sécession pacifique, dans la mesure où
une majorité des éditorialistes du Nord croyaient en
l’idée Jeffersonienne voulant que les gouvernements tirent leur
pouvoir de l’accord de ceux qu’ils gouvernent. Les Etats du Sud
ne désiraient plus être gouvernés par Washington DC, et
devaient donc être autorisés à quitter l’Union de
manière pacifique, et ce peu importe les raisons les ayant
poussés à demander leur indépendance. ‘Au cours des
quelques semaines ayant suivi l’élection de Lincoln’,
écrit Perkins, ‘les éditeurs du
Nord étaient d’avis que le droit constitutionnel qu’est
celui de faire sécession ne devait pas être remis en question.
Au contraire, la volonté des Etats du Sud à se retirer de
l’Union devait leur être garantie par le principe de consentement
des gouvernés’.
Perkins met également en avant un
article écrit par Horace Greeley pour le journal New York Tribune le 9 novembre 1860, qu’il considère
être une ‘description classique’ de son propre point de
vue : ‘Nous espérons ne jamais vivre dans une
république au sein de laquelle une partie de la population serait
contrôlée par les baïonnettes d’une autre’. A
l’époque, New York Tribune
était le journal le plus influent des Etats-Unis. Une douzaine
d’autres citations similaires pouvaient également être
trouvées dans les éditoriaux d’autres journaux du Nord.
Le 17 décembre 1860, le New York
Tribune publia dans son éditorial que ‘si le principe de
consentement des gouvernés inscrit par Jefferson dans la
Déclaration d’Indépendance était effectivement en
vigueur, et qu’il avait permis aux millions de colons Etats-Unis de se
libérer de la domination Britannique en 1776, alors les cinq millions
de citoyens des Etats du Sud de l’Union Fédérale
devraient également se voir accorder leur indépendance’.
Le 22 décembre 1860, le journal
pro-Lincoln Indianapolis Daily Journal
publiait dans son éditorial que ‘la Déclaration
d’Indépendance voudrait que les Etats-Unis accordent son
indépendance à la Caroline du Sud, et ce sans aucune
résistance’. Le 11 janvier 1861, le journal Democrat de l’Etat du
Wisconsin ajoutait à cela que ‘la liberté accordée
à tout citoyen individuel réfute l’idée
d’association forcée, que ce soit entre Etats, entre
communautés ou entre individus… Le droit de faire
sécession appartient donc aux citoyens de chaque Etat des Etats-Unis.
Les fondateurs de notre gouvernement étaient sécessionnistes,
non seulement en théorie, mais également en pratique’.
‘Si une désunion venait
à être inévitable, laissons-lui place dans un climat de
paix’, écrivait le journal d’Albany, New York, Atlas and Argus le 12 janvier 1861.
Une guerre signifierait ‘ruine de sociétés, destruction
de propriétés, dettes oppressantes, augmentation des taxes et sacrifice
de milliers de vies’. Le même jour, le New York Journal of Commerce préconisait la
sécession pacifique des Etats du Sud, décrétant
qu’une guerre menée par les Etats-Unis envers les Etats du Sud
transformerait le gouvernement fédéral volontaire en un
gouvernement despotique traitant ses citoyens tels des esclaves.
Le 19 février 1861, le Detroit Free Press
écrivait qu’en ‘reconnaissant l’indépendance
des Etats Confédérés du Sud, les Etats-Unis
libéreraient les peuples de ces Etats de l’hostilité qu’ils
ressentent naturellement envers les gens du Nord’. Il demandait
également à ce que les deux ensembles d’Etats qui
ressortiraient de cette désunion établissent des liens
commerciaux et tissent des relations qui pourraient un jour déboucher
sur une nouvelle union des Etats du Sud et des Etats du Nord.
Le 11 mars 1861, Daily True American, journal de
Trenton, New Jersey, déclarait que si le gouvernement
fédéral refusait d’accepter la sécession pacifique
des Etats du Sud, il ‘se lancerait dans une tentative de conquête
et de maintien sous son contrôle des Etats ayant fait
sécession’. Il indiquait également que l’argument
de Lincoln ‘n’a rien de nouveau : il existait
déjà à l’époque où George III et ses
minions tentaient d’étouffer la volonté
d’indépendance des Etats Américains. Empêcher
l’indépendance d’un Etat par la force ne serait donc autre
que pure moquerie’.
Le 21 mars 1861, le New York Times déclarait que
‘les abolitionnistes ont depuis le début été
favorables à une dissolution de l’Union’, dans la mesure
où cela leur permettrait d’isoler politiquement les Etats du Sud
et de les forcer à mettre fin à l’esclavage (notons au
passage que New York n’a émancipé ses esclaves
qu’en 1853). ‘Laissons l’Union se dissoudre en paix.
L’usage de la force devrait être hors de question’.
Même le Springfield Daily
Illinois State Journal, publié dans la ville natale de Lincoln,
écrivait le 3 avril 1861 que ‘plus tôt les Etats
sécessionnistes se verront accorder l’indépendance, mieux
se portera la nation’. ‘L’opinion publique du Nord est
largement favorable à la reconnaissance de la nouvelle
Confédération par le gouvernement fédéral’,
écrivait le journal Daily
Courant, publié au Connecticut, le 12 avril 1861.
Lorsque Lincoln parvint à manipuler
les habitants de Caroline du Sud et à les pousser à ouvrir le
feu sur Fort Sumter, il les accusa de tenter d’envahir son pays
(définition même de l’acte de trahison suprême selon
la section 3 de l’article 1 de la Constitution). Les journaux associés
au parti Républicain décrétèrent alors
qu’il existait une différence entre le droit de faire
sécession décrit par Jefferson et le ‘droit de mener une
révolution’. Bien que faire sécession ait
été un droit reconnu par la Loi, ce n’était pas le
cas d’une révolution. Ce n’est en rien ce en quoi
croyaient Jefferson et les autres Pères Fondateurs des Etats-Unis,
mais une invention du parti Républicain, perpétrée
aujourd’hui par des pseudo-historiens tels que Harry Jaffa et ses amis
néoconservateurs ‘Straussiens’.
L’autre réaction
Républicaine fut de dire que, puisque Lincoln avait
déclaré ‘tous les Hommes égaux’ lors de son
Adresse de Gettysburg, il était un Jeffersonien. Cette fiction
représente la pierre d’angle de l’histoire fictive de la
‘Guerre Civile’ inventée par Jaffa et les Straussiens.
(Jaffa n’a jamais rien écrit au sujet de la guerre. Ses livres
concernent tous principalement la rhétorique des discours de Lincoln).
Cette fiction est également la
pierre d’angle de la propagande supportant l’impérialisme
militaire Américain. Elle n’est pas très
différente de l’idéologie du propagandiste communiste du
XXe siècle Leon Trotsky,
connu principalement pour sa théorie de la ‘révolution
permanente’. (Il ne devrait donc pas vous surprendre de lire que bon
nombre des fondateurs du mouvement néoconservateur, qui étaient
des étudiants de Leo Strauss, s’identifiaient dans leur jeunesse
comme étant des Trotskystes. Irving Kristol
en est un parfait exemple).
A la fin du XIXe siècle, la
dégradation du langage de Jefferson par le président Lincoln
fut employée pour justifier l’impérialisme militaire
agressif des Etats-Unis autour du globe, ‘tous les Hommes’ ne
signifiant alors plus ‘tous les Américains’, mais littéralement
‘tous les Hommes’. Ainsi, en le nom de saint Abraham (Lincoln),
il fut enseigné aux Américains qu’il était de leur
devoir que d’envahir, de conquérir et d’occuper des
nations telles que les Philippines afin d’y apporter la paix en y
établissant un mode de vie à l’Américaine.
Aujourd’hui les Philippines, demain l’Europe. L’un des
principaux partisans à une guerre Hispano-Américaine
était le sénateur de l’Indiana Albert Jeremiah Beveridge,
selon qui ‘Le destin des Etats-Unis est d’étendre leur
modèle au reste du monde, et de ne jamais se retirer des territoires
sur lesquels la Providence leur aura fait planter leur drapeau. Il est le
devoir des Etats-Unis que de venir en aide au monde, et de répandre
liberté et civilisation’ (citation tirée du livre de
Gregg Jones, Honor in the Dust:
Theodore Roosevelt, War... Imperial Dream, p.95).
Plu de 200.000 Philippins furent
assassinés par les soldats Américains en le nom de la
‘protection de la liberté’. Quant aux Jeffersoniens qui
s’opposaient à une guerre Hispano-Américaine, ils
devinrent la risée de Beveridge, qui prit pour habitude de dire :
‘L’opposition nous dit que nous ne devrions pas contrôler
un peuple sans son consentement. Les Philippins n’ont jamais
été capables de s’autogouverner. Ils avaient besoin que
les Américains viennent les sauver des mains sanglantes du pillage et
de l’extorsion. C’est là le destin divin des
Etats-Unis’. De mon humble avis, pillages et extorsion étaient
plus les conséquences de l’invasion des Philippines par les
Etats-Unis que ses causes.
Si les Américains se mettaient
un jour à célébrer ce que signifie réellement la
Déclaration d’Indépendance, ils embrasseraient
également les idées de sécession et de nullification
comme moyens de lutter contre la tyrannie du gouvernement
fédéral. Ils cesseraient également de soutenir
l’impérialisme de leur gouvernement en s’opposant aux
guerres qu’il mène au Moyen-Orient et dans d’autres
parties du monde. Ils finiraient même peut-être par mettre fin
à la corruption inhérente à l’immense complexe
militaro-industriel des Etats-Unis ainsi qu’à sa source
principale de financement : la Fed.
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