Fin juillet, Arnaud Montebourg, cet avocat devenu ministre
du « redressement productif » et, apparemment,
économiste et spécialiste de l’industrie automobile, a dévoilé
un plan en sept points destiné à sauver le secteur. Nous
évoquerons dans ce premier aticle les 5 premiers points de ce plan
« ambitieux. »
Le premier consiste à renforcer le bonus-malus
écologique, c’est-à-dire à accroître le
montant des subventions accordées, ainsi que des taxes
imposées, aux acheteurs de véhicules plus ou moins polluants.
Officiellement, cette mesure ne devrait rien coûter
à l’État, les taxes finançant les subventions.
Elle n’en devrait pas moins avoir deux immenses
bénéfices : stimuler la demande, et donc la production
automobile, et écologiser le parc français.
L’expérience semble pourtant invalider le
premier calcul. Mi-2008, quelques mois après la mise en place du
dispositif suite au « Grenelle de l’environnement, »
le gouvernement annonçait ainsi que les ventes de petites voitures peu
émettrices avaient augmenté de 15%, mais que celles de grosses
cylindrées étaient en recul de près de 30%, pour un
coût de 200 millions d’euros à la charge de
l’État.
Remarquons d’ailleurs qu’il semble assez peu
logique de chercher à renflouer les constructeurs en pénalisant
l’achat de quelque véhicule que ce soit.
Mais, la subvention des voitures les plus vertes est-elle
elle-même une bonne idée ? Boostée par des primes de
2000€ à 5000€, la part des électriques et des
hybrides s’éleva à 0,5% des immatriculations en 2009 pour
les secondes, et à une part infinitésimale pour les
premières. Comment attendre quelque salut que ce soit de ce
côté-là, y compris avec une aide supplémentaire de
2000€ ?
Le problème n’est pas seulement celui du
manque d’autonomie et d’équipement, mais d’abord
celui du prix. Une Prius 3 coûte ainsi, aides comprises, à peu
près autant qu’une Mercedes Class A. Autant dire que la mesure
en question a tout du socialisme pour les riches, au sens où elle
revient à subventionner des compagnies privées telles que PSA,
dont la famille Peugeot détient plus de 25% du capital, ainsi que
leurs clients les plus fortunés. Qui sont, en effet, les acheteurs d’hybrides
et d’électriques ? Pour l’essentiel des bobos (soit
dit au sens sociologique, et sans mépris), souvent en quête
d’une seconde ou d’une troisième voiture.
Parmi les mesures du Plan Montebourg, certaines
prêtent franchement à rire. On ne manquera donc pas de les
mentionner, même rapidement.
Tout d’abord, on relève
l’ « ouverture d’un chantier social »
visant la production de la voiture « verte et
populaire » censée être celle de l’avenir. Bref, des sommes seront dépensées
en conciles oiseux visant à determiner quelles autres sommes
dépenser dans d’autres plans tout aussi futiles.
Ensuite, des cinéastes tels que Cédric
Klapisch et Luc Besson réaliseront des publicités mettant en
valeur le « made in France. »
Traduction : des millionaires profitant depuis des décennies de
subventions alimentant une industrie incapable de se soutenir d’elle-même
recevront des commandes officielles de propagande destinées à
vanter les mérites d’une autre industrie nationale tout aussi
peu viable sans perfusion publique.
D’après le quatrième point,
l’État s’engagerait à ce que 25% de ses nouveaux véhicules
soient électriques ou hybrides. Une fois chiffrée, une telle
mesure apparaît cependant comme un pur effet d’annonce. S’il
était décidé à remplacer 25% de la totalité du parc du
gouvernement, des collectivités locales, et des entreprises publiques,
cela ne ferait jamais qu’une cinquantaine de milliers de ventes en plus
pour les véhicules les moins polluants… et en moins pour les
véhicules moins coûteux dont l’État se contente
d’ordinaire.
Le cinquième point du Plan Montebourg concerne la
remise en cause de l’accord de libre-échange avec la
Corée. Ironiquement, le ministre socialiste se fait ici le porte-voix des
grands patrons de cette industrie, lesquels ont été les
premiers à recourir à cet argument de mauvaise foi.
En réalité, Hyundai et Kia
représentent à peine plus de 1% du marché
français. De plus, si le constructeur asiatique a écoulé
un million de véhicules en Europe en 2011, un tiers était
produit en République Tchèque, et un autre en Slovaquie - soit
plus de la moitié au sein de l’Union européenne (UE). La
Corée, quant à elle, représente un marché
à peine plus grand que celui de l’Espagne.
Il faut bien comprendre le sens de cette attaque. De
grandes entreprises voyant leurs parts de marché diminuer au profit
d’un concurrent étranger, et cela parce que la population juge
que les produits de ce dernier satisfont mieux leurs besoins, en appellent au
gouvernement pour qu’il les « protège, »
c’est-à-dire empêche ses citoyens de
bénéficier de la meilleure offre qui soit, dégradant
ainsi leurs niveau et qualité de vie.
L’argument mis en avant est, bien entendu, celui de
la préservation de l’emploi. Mais c’est
précisément le refus constant des gouvernements de laisser
s’opérer les adaptations requises par les évolutions de
l’offre et de la demande qui a conduit à la situation
présente.
De l’avis général, l’industrie
automobile européenne connaît un grave excès de
capacités. Trop d’usines, trop peu utilisées par trop de
personnel, avec pour conséquence une flambée des coûts
pour les constructeurs et une pression à la baisse sur les prix. Pour
cette raison, l’alliance annoncée en début d’année
entre General Motors et PSA, source de 2 milliards d’économie,
peut être pris comme un contre-exemple de ce qu’il est possible
et souhaitable de faire, à l’écart de l’intervention
publique.
Les programmes de prime à la casse ont bien fait un temps
illusion : quatre ans après la crise, alors que les ventes ont
chuté de 20%, seules quelques fermetures ont eu lieu parmi la centaine
d’usines installées en Europe. Et ceci, notons-le, alors que les
chiffres sont encore artificiellement boostés par les facilités
de crédit permises par la politique de la Banque centrale
européenne (BCE), et que le concurrence chinoise est encore
inexistante dans ce secteur.
Pour survivre, l’industrie automobile
française doit se
restructurer, c’est-à-dire trouver les moyens les plus
performants de produire des véhicules satisfaisant au mieux les
besoins des ménages et des entreprises. C’est de cette
manière que l’économie et que la société
progressent. C’est d’ailleurs en suivant cette méthode que
Hyundai a su se faire une place sur un marché européen
encombré : en se concentrant sur l’offre de
véhicules simples, bon marchés et fiables, et offrant
d’importantes garanties.
D’ailleurs, tous les constructeurs de l’UE ne
sont pas dans la même situation. Les consructeurs allemands se trouvent
ainsi dans une bien meilleure posture. Focalisés sur le haut de gamme,
le luxe, et l’innovation, ceux-ci parviennent à offrir des
modèles supérieurs pour un premium qu’un nombre suffisant
de clients sont prêts à payer, même en temps de crise.
Du fait d’une production à forte valeur
ajoutée et d’un contrôle du coût du travail, les
constructeurs allemands ont ainsi réussi à assurer leur
compétitivité (en termes de coût unitaire du travail.)
En outre, ce sont eux, surtout, qui profitent le plus du
développement des marchés émergents. De ce point de vue,
les marques françaises souffrent d’un problème de
positionnement en dehors de leurs marchés traditionnels couvrant
l’hexagone et le sud de l’Europe. Sous l’influence de
l’État, celles-ci ont tenté de se placer sur le
marché des motorisations alternatives (électriques, hybrides).
Outre sa participation de 15% au capital de Renault, la
République Française a ainsi déjà accordé
100 millions d’euros à PSA en 2008 pour le développement
d’un diesel hybride, financé une prime à la casse
estimée à plus de 200 millions d’euros, octroyé 1
milliard en 2009 aux filiales bancaires des constructeurs pour faciliter leurs
offres de financement, ainsi que promis 1,5 milliard par an pour 5 ans afin
de financer l’innovation.
Comme le rappelait Thierry Koskas, Directeur du programme
« véhicule électrique » chez Renault, en
décembre 2011, l’histoire de cette dernière n’a
été, jusqu’ici, que celle de ses échecs. Bien
entendu, l’avenir dure longtemps, et est largement incertain. Un jour,
la commercialisation de véhicules alternatifs assurera peut-être
le succès de l’automobile française. Deux choses sont
sûres, en revanche, et ce dès à présent.
Premièrement, ce
n’est pas de là que l’on peut attendre le redressement immédiat
des constructeurs français qui leur sera nécessaire pour
entreprendre sérieusement de tels projets à long terme.
Deuxièmement, ce genre d’investissements hautement
spéculatifs (qui sait si les véhicules alternatifs seront un
jour porteurs ? À quel horizon ? Et lesquels ?) ne
devraient pas être le fait de l’État, mais
d’intérêts privés désireux de courir de tels
risques en raison des profits qu’ils espèrent en retirer.
A
suivre…
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