|
Pour
clore cette
série en beauté, nous évoquerons aujourd’hui
la dernière pièce du puzzle de la gabegie
européenne : les quotas de production agricole. Et puisque le lait
fait toujours l’actualité, nous parlerons plus
particulièrement des quotas laitiers.
Nous
avions donc laissé la Politique Agricole Commune (PAC) au début
de l’année 1984, lorsque la Commission décide de vendre
à bas prix du beurre de Noël, histoire d’écouler ses
montagnes de beurre invendu.
Plus
de la même chose
Au
cours des années 70, la production laitière avait achevé
de se découpler totalement de la réalité du
marché. Alors que la consommation de lait baissait partout en Europe,
la production, elle, augmentait à un
rythme régulier : 1,5% par an dans la première moitié de
la décennie, 2,5% par an ensuite.
Logique :
le raisonnement économique de base prévoit qu’un
producteur continuera à produire jusqu’à ce que son
coût marginal de production (le coût de production d’une
unité supplémentaire de lait) soit égal à son
prix de vente, car c’est à ce moment qu’il maximisera son
bénéfice. Comme le prix d’intervention (voir notre chronique
précédente) est supérieur au prix du marché, il
en résulte une surproduction. Celle-ci est en outre aggravée
par les progrès technologiques du secteur agricole, qui permettent de
baisser le coût de production (et donc le coût marginal du lait).
Encore une fois, à ce stade, la sagesse recommanderait de mettre un
terme à cette politique de prix garanti, et de laisser les forces du
marché « faire le nettoyage », forçant
les fermes les moins efficaces à arrêter leurs activités
ou à se réorienter vers d’autres secteurs.
Pour
les plus acharnés partisans de l’État Providence, il
aurait même été possible de distribuer des aides aux
fermiers afin de financer leur reconversion. Mais politique et sagesse font
rarement bon ménage.
Sicco Mansholt,
à la fin des années 60, propose une première forme
d’intervention correctrice. Bien sûr, il ne s’agit pas
d’un retour à l’économie de marché. Au
contraire, on va juste intervenir un peu plus pour en perturber encore le
fonctionnement. Mansholt recommande simplement de maintenir les prix tout en
incitant certains fermiers, à l’aide de subsides, à
réduire leur cheptel ou à arrêter leurs activités.
Mais même cela, c’est déjà trop. La mesure sera vidée
de toute substance. Fin des années 70, première nouvelle
tentative : la taxe de coresponsabilité. Cette dernière
frappe les producteurs laitiers. Admirez au passage la subtilité de la
chose : au lieu de diminuer les prix d’intervention, la Commission
préfère taxer les producteurs pour récupérer une
partie de l’argent qu’elle leur distribue à cause des prix
d’intervention.
Vivent
les quotas !
Au
début des années 80, la situation devient intenable.
L’augmentation de la production laitière atteint 3,5%. La PAC
coûte de plus en plus cher, les surplus s’accumulent et les gouvernements
s’inquiètent. Mais pas question de détricoter la PAC. La
Commission rajoute une nouvelle couche de bureaucratie en introduisant
des « quotas ». Chaque exploitant (ou chaque laiterie)
se voit allouer une quantité de référence à
produire avec pour consigne de ne pas la dépasser. Chaque
dépassement donne lieu au paiement d’un
prélèvement supplémentaire de 100% du prix indicatif du
lait. Petit à petit, le régime est renforcé. Les achats
d’excédents par la Commission, par exemple, seront peu à
peu limités. Enfin, relativisons : en 1988, il reste quand
même entre 100 et 150 000 tonnes de beurre dans les stocks publics de
la Communauté européenne.
C’est une quantité gigantesque : 10% de la
production annuelle mondiale de beurre à la même
époque !
En
1992, la première réforme sérieuse a lieu sous
l’égide du Commissaire MacSharry. Pour
la première fois, certains produits agricoles voient leur prix
indicatif et leur prix d’intervention diminuer. Suit une
énième réforme : la réforme Fisher. Les
quotas laitiers ne disparaîtront finalement qu’en 2007. Depuis,
les producteurs sont dans la tourmente. Une situation prévisible,
puisque les réformes successives n’ont pas eu l’effet
salvateur d’un retour à la logique de marché.
Résultat : la surproduction est malgré tout restée
la norme. Aujourd’hui, les agriculteurs, et notamment les producteurs
de lait, qui ont été parmi les plus
« protégés » du marché, se
retrouvent à devoir
supporter les conséquences de décisions prises, il y a un
demi-siècle.
Créatrice
de problèmes depuis 1957
Outre la situation délicate des fermiers
européens et un demi-siècle de ponction des contribuables, la
PAC aura eu une kyrielle de conséquences négatives. Parmi
celles-ci, la création d’une agriculture intensive
forcenée qui aura sans doute contribué, pêle-mêle,
à la crise de la vache folle, à la pollution des nappes
phréatiques, et à la baisse constante de goût et de
variétés que les chantres du bio, grands économistes
devant l’Éternel, attribuent à la « logique de
marché ultralibérale ». La prochaine fois
qu’un rebelle à la José Bové vous parle de
malbouffe, rappelez-vous ces deux grandes vérités : les
agriculteurs ont reçu des montagnes d’argent de nos impôts
pour créer cette malbouffe dont ils se plaignent aujourd’hui
amèrement.
|
|